Théorie générale des législatives ivoiriennes (II): Les grands enjeux du 18 décembre 2016
Une tribune internationale de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris, France
Le 18 décembre 2016 ivoirien approche à grands pas. Dans une bien étrange ambiance, convenons-en. L’élection législative qui inaugurera la troisième république de Côte d’Ivoire attise désormais toutes les curiosités, toutes les interrogations, et tous les appétits. Devant la configuration des forces en présence, et notamment, les nouveautés que constituent l’entrée en lice des opposants du FPI et du LIDER, mais aussi les candidatures concurrentielles au RHDP entreprises par l’UDPCI du docteur Mabri Toikeusse et l’UPCI de Gnamien Konan, sans oublier l’afflux massif de candidatures indépendantes aux stratégies aussi diverses, disparates que contradictoires, la pression monte dans la jeune démocratie ivoirienne. Il faut soit être naïf, soit être aveugle pour le nier. Des lignes, manifestement, sont entrain de bouger. Tous ceux qui, du côté du pouvoir RHDP comme du côté de l’opposition ou de la société civile, croyaient que cette élection ne serait qu’une formalité démocratique ont tôt fait de déchanter. Les urnes législatives de Côte d’Ivoire vont parler, et tout triomphalisme serait imprudent, tellement on sait la liberté de ton dont les Ivoiriens, notamment depuis le retour au multipartisme dans les années 90, sont capables envers la classe politique de tous les bords. Dès lors qu’on connaît les forces en présence que nous avons décrites dans la précédente partie de notre analyse, on évitera difficilement la question suivante: quels sont les enjeux des élections législatives du 18 décembre 2016? Comment comprendre lesdits enjeux? J’analyse dans les lignes qui suivent, cinq enjeux qui me paraissent cruciaux: le taux de participation, la cohésion interne des rassemblements et partis politiques, la représentativité des candidatures indépendantes, la structure de la future majorité parlementaire et l’opérationalité des institutions de la troisième république, issues de la constitution promulguée de 5 novembre 2016 par le président Alassane Ouattara.
Le taux de participation aux législatives 2016
Le référendum constitutionnel du 30 octobre 2016 a été sanctionné par un taux officiel de participation de 42,42%. Ainsi, 57, 58% des électeurs ivoiriens ont boudé la constitution référendaire. L’explication traditionnelle des taux d’abstention aux référendums aura suffi, certes pour rendre compte de cette non-participation majoritaire. Mais il est évident qu’elle ne saurait fonctionner pour les élections législatives à venir. Le système démocratique ivoirien de la 3ème république passera, à n’en point douter, son premier test décisif de crédibilité: une non-participation majoritaire obligerait à repenser l’inclusivité réelle du système, si l’on considère évidemment comme une urgence prioritaire, le chantier inachevé de la réconciliation nationale. Une participation majoritaire, en revanche, attesterait, en raison de l’entrée en lice de l’opposition et des candidatures civiles indépendantes, de l’attractivité et de l’opérationnalité du système politique instauré par la 3ème constitution ivoirienne.
La cohésion interne des rassemblements et partis politiques
Ces législatives devraient aussi permettre de mesurer le degré de crédibilité populaire des partis politiques au pouvoir comme de ceux de l’opposition. Une congruence de faits critiques méritent d’être pris en compte. Les arbitrages en vue de la désignation des candidats du RHDP, mais aussi des autres partis de la compétition législative ne se sont pas faits dans une ambiance sereine. On a vu au PDCI-RDA comme au RDR, apparaître de nombreuses contestations et de nombreuses désapprobations des bases militantes envers les décisions hiérarchiques. On a vu apparaître de profondes dissensions entre l’UDPCI, l’UPCI et le duo RDR-PDCI, dans le cadre du RHDP dont les candidats sont désormais en confrontation avec les candidatures des partisans de Mabri Toikeusse et Gnamien Konan. Les partis des deux derniers ministres limogés du gouvernement resteront-ils unis à leurs chefs pendant la traversée du désert qu’ils ont commencée ou seront-ils le théâtre de nouvelles scissions plus ou moins opportunistes? Rien de moins sûr. On a vu le FPI éclater une fois de plus en une aile pro-participation, menée par Pascal Affi Nguessan , et une aile-pro boycott menée par Aboudrahmane Sangare, grand prêtre de la secte des « Gbagbo ou rien ».
Que conclure de ce magma de faits? Que les structures traditionnelles des partis politiques craquent de toutes parts: ni le RDR, ni le PDCI-RDA, ni le FPI, ni l’UDPCI, ni l’UPCI, ni le MFA, ne peuvent à ce jour prétendre fermement tenir toutes leurs troupes. Les plaques tectoniques de la politique ivoirienne se sont remises en mouvement, comme vers la reconfiguration de l’infrastructure et de la superstructure politique nationales. L’ignorer à ce jour, n’est-ce pas risquer de l’apprendre à ses dépens demain?
La représentativité des candidatures indépendantes
C’est la principale énigme de l’élection du 18 décembre 2016 prochain. Je pense avec le député Mébra Dosso, dont j’ai apprécié une récente analyse publiée sur facebook, qu’on a un peu trop négligé l’attrait socio-économique de la carrière de député chez de nombreux citoyens. Avant toute considération politico-politicienne en effet, n’oublions pas qu’une vie de député comporte son confort: indemnité substantielle, commodités de travail, reconnaissance sociale et extension du réseau d’influence sociale, accès aux facilités de déplacement international, immunité parlementaire, etc. Toutes convenances qui expliquent légitimement et évidemment de nombreuses candidatures à ces législatives du 18 décembre 2016.
Mais, la question politique de la représentativité des candidats indépendants n’en demeure pas moins valable. L’hypersensibilité des dirigeants du RHDP face à ce phénomène n’a pas manqué d’attirer l’attention des analystes les plus assidus. Y aurait-il péril en la demeure? Derrière le cortège d’injonctions intimidatrices, de sanctions et de contraintes juridico-administratives mis en oeuvre contre certains candidats indépendants, c’est sans doute la marge d’incertitude des résultats qu’on a voulu réduire pour les partis politiques. La démocratie progresse-t-elle quand l’expression des ambitions citoyennes est cadenassée par le haut? J’en doute objectivement. A moins qu’à l’issue des résultats, le RHDP, pragmatiquement, ne récupère l’ensemble de ses militants partis en indépendants à l’assaut des suffrages populaires… Mieux encore, si l’on fait l’hypothèse que des indépendants iront en indépendants au parlement, s’ils sont élus, la question suivante ne reste t-elle pas pendante: qui raflera la mise des indépendants? Cet enjeu devrait permettre à court terme de trancher le duel en cours entre la politique des partis et la politique des citoyens en Côte d’Ivoire.
La maîtrise de la majorité dans le premier parlement de la 3ème république ivoirienne
L’enjeu ultime est bien celui de la maîtrise de la majorité politique dans le parlement à venir. La nouvelle constitution donne, ne l’oublions pas, entière latitude à la majorité parlementaire de poursuivre les réformes institutionnelles. Elle reconnaît aussi , en cas de désaccord entre le sénat et l’assemblée nationale sur un projet de loi, la primauté au vote de l’assemblée nationale. La détention de la majorité parlementaire est dès lors un enjeu vital pour l’exécutif RHDP actuel, qui ne peut se payer le luxe de se voir réduit en minorité par un parlement conquis par ses adversaires politiques. La victoire du RHDP le 18 décembre 2016 est l’une des conditions sine qua non de sa survie comme alliance politique.
On peut donc comprendre, dans cette perspective, la mobilisation massive de nombreux membres du gouvernement actuel pour la conquête des mandats parlementaires. La crédibilité gouvernementale, paradoxalement , passe désormais en Côte d’Ivoire par la crédibilité parlementaire. La nomination exécutive se veut adoubement et sublimation d’un choix du peuple. Le régime présidentialiste ivoirien n’est-il pas finalement entrain de devenir un régime semi-parlementaire, en raison de la jurisprudence montante de l’onction populaire préalable à toute élévation dans la hiérarchie exécutive?
Le RDR et le PDCI-RDA, au sein du RHDP, repenseront sans doute le rapport de forces internes qui les lie à l’aune des résultats respectifs de leurs candidats communs. Les appétits ministériels et institutionnels des uns et des autres seront aiguisés ou refrénés en fonction des résultats. Ce ne sera pas une question innocente, pour les deux mastodontes de la majorité présidentielle, de savoir qui pèse quoi dans le système régnant.
Par ailleurs, la mobilité potentielle et éventuelle des futurs élus indépendants, vers le RHDP ou vers l’opposition du FPI-LIDER, demeure un enjeu de taille dans les négociations de stabilisation interne. Enfin, la politique étant l’art de l’impossible, que penser d’un cas de figure, certes improbable, où l’opposition emporterait le scrutin? Entrerions -nous alors en Côte d’Ivoire dans une ère de cohabitation de facto entre un Chef de l’Etat issu du RHDP et un premier ministre issu de l’opposition parlementaire majoritaire? Le système politique de la 3ème république n’exclut en rien, un tel cas de figure, qui augurerait alors d’une ère d’incertitudes dans la mise en oeuvre de l’émergence tous azimuts du pays à l’horizon tant évoqué de l’an 2020.
Nous l’avons donc dit et nous le répétons: c’est la crédibilité entière du nouveau système politique issu de la constitution de la troisième république de Côte d’Ivoire qui se jouera le 18 décembre 2016 prochain. Aux électrices et électeurs de prendre toute la mesure de leur responsabilité historique.
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