Jean-Claude Djéréké
Chez nous comme ailleurs, certains ont tendance à mettre politiciens et politiques dans le même sac. Ils les accablent alors des mêmes maux et les chargent des mêmes péchés. Je pense qu’ils ont tort parce que les uns et les autres ne font pas de la politique de la même manière, pas plus qu’ils ne poursuivent les mêmes objectifs. En quoi diffèrent-ils ? Avant de répondre à cette question, je voudrais rappeler la signification et le but de la politique.
But de la politique
Que recherchent les hommes au village ou en ville? Quelles sont leurs aspirations basiques? Que la loi soit pareillement appliquée à tous les habitants de la Cité (Polis en grec); que chacun puisse se soigner quand il est malade, scolariser sa progéniture, aller facilement d’un endroit à un autre, avoir des moyens ou un salaire lui permettant de faire face à ses besoins élémentaires, dire ce qu’il pense sans craindre d’être arrêté, bastonné, jeté en prison ou assassiné. C’est ce que Aristote appelle “une vie bonne”. Nous ne pouvons atteindre cette vie bonne, ajoute-t-il, que dans une société qui ne tolère pas l’injustice en son sein. Une société vit dans l’injustice lorsqu’une minorité y possède tout, y a droit aux avantages et privilèges de toutes sortes, pendant que la majorité est privée du strict minimum vital. On comprend dès lors pourquoi le Stagirite condamne le capitalisme excessif et l’esclavage (cf. Aristote, “La Politique”).
Ce qui oppose le politicien et le politique
D’abord, le politicien promet beaucoup mais réalise peu. En d’autres termes, il honore rarement ses promesses. Il ne se gêne point pour les renier le plus vite possible car, pour lui, “les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent” (une formule que l’on doit à Henri Queuille, ministre sous la IIIe République en France, et qui sera reprise par Charles Pasqua et Jacques Chirac en 1988). Lorsque quelqu’un promet de donner des milliards à toutes les villes du pays, de n’exercer qu’un mandat de 5 ans, de sévir contre tous les coupables de crimes contre l’humanité, d’être au service de tous les citoyens et qu’il fait autre chose, c’est un politicien. Le politique, lui, met un point d’honneur à tenir ses promesses; il est soucieux de faire ce qu’il dit, parce qu’il croit dur comme fer que la parole donnée doit être respectée.
Ensuite, le politicien ne voit pas la politique comme “l’art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent” (H. Queuille). Au début des années soixante, Charles Donwahi, Auguste Daubrey, Amadou Koné, Samba Diarra, Joachim Bony, Ernest Boka et d’autres jeunes cadres du PDCI avaient posé des problèmes qui méritaient l’attention du gouvernement et du parti. Grosso modo, ils ne comprenaient pas que, après l’accession du pays à l’indépendance, la France continue d’avoir la mainmise sur le pays. Mais comment Houphouët réagit-il? Il les emprisonna à Assabou après les avoir accusés de comploter contre lui. Plus tard, Houphouët admettra que c’était un faux complot et qu’il avait été induit en erreur par le commissaire Goba. Un faux complot dont le but était de fermer la bouche à ces valeureux cadres que le premier président devait trouver à la fois bruyants et turbulents (cf. Samba Diarra, “Les faux complots d’Houphouët-Boigny”, Paris, Karthala, 1997). Pour avoir soutenu qu’il y a un seul FPI présidé par Laurent Gbagbo, Hubert Oulaye et Assoa Adou furent incarcérés. C’était aussi une manière de les réduire au silence. Ceux qui se débarrassent ainsi de leurs adversaires qu’ils sont incapables de convaincre sont des politiciens. Parce qu’il reconnaît le droit au désaccord, parce qu’il sait que “à vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes” (John Fitzgerald Kennedy), le politique ne fait rien contre ceux qui ne partagent pas sa vision des choses. Charles de Gaulle savait que Jean-Paul Sartre ne le portait pas dans son cœur (celui-ci qualifiera le scrutin présidentiel de décembre 1965 d’élections pièges à cons) mais, quand il fut question de l’arrêter lors des troubles causés par la guerre d’Algérie, le général refusa en disant: “On n’emprisonne pas Voltaire.” Seul un politicien est en mesure d’emprisonner des professeurs d’université tout en laissant des criminels connus de tous se pavaner et faire ce que bon leur semble.
Troisième différence : Le politicien cherche à faire carrière. C’est une obsession pour lui. Il veut monter en grade, encore et toujours. Il se gardera donc d’aborder les sujets qui pourraient compromettre cet objectif alors que le politique consacre son temps et sa vie aux autres. Le politique n’a donc pas peur de s’engager, de prendre position, de tonner, de déplaire, si l’intérêt du peuple l’exige. Il est un peu comme Jean-Baptiste disant à propos de Jésus: “Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue” (Jean 3, 30). Pour le politique, il est impensable que le peuple soit famélique pendant que les députés, maires, ministres et présidents sont gros, gras et dodus.
La quatrième différence, c’est que le politicien a fait de la politique son métier. Il ne fait que cela et ne vit que de cela. L’homme politique, par contre, a un métier (il est médecin, enseignant, agriculteur, ingénieur ou facteur comme Olivier Besancenot en France). Et, s’il fait autre chose que la politique, c’est pour une double raison: 1) il ne veut pas se couper du quotidien des gens; 2) il n’est pas entré en politique pour s’enrichir.
Ce qui les distingue aussi, c’est que le politicien est capable d’invoquer des grandes figures littéraires et humanistes (Zola, Hugo, Guevara, Jaurès, Jean Moulin, Mendès France, Gandhi, Luther King, Nelson Mandela, Mère Teresa…) mais fera le contraire de ce que ces hommes et femmes ont accompli. Hollande a ainsi eu recours à Jean-Jaurès, grande figure de la gauche française assassinée en 1914. Le 23 avril 2014, il se rendit à Carmaux (dans le Tarn), pour lui rendre hommage. Mais tout le monde voit aujourd’hui que sa politique ultra-libérale et sa propension à plaire au Medef n’ont rien à voir avec les idées de Jaurès. Ces soi-disant socialistes qui citent Jaurès ou Moulin à tout bout de champ tout en soutenant oligarques, dictateurs et criminels, le philosophe Michel Onfray les qualifie de guignols et parle volontiers d’une “mafia qui se réclame de la gauche”. En Côte d’Ivoire, Bédié et Ouattara se réclament d’Houphouët mais n’ont pas hésité en 2011 à faire bombarder la résidence du chef de l’État construite par le même Houphouët. Ils invoquent sans cesse le dialogue d’Houphouët mais les seules réponses qu’ils donnent aux légitimes revendications de l’opposition sont la prison, l’exil ou les gaz lacrymogènes. Pire encore, la capitale politique, abandonnée depuis 1993, se meurt pendant qu’ils s’enrichissent et thésaurisent. À gauche, des gens disaient suivre Laurent Gbagbo simple, généreux, courageux et refusant de courber l’échine devant la France mais, très vite, ils étalèrent leur arrogance, leur suffisance, leur méchanceté et leur promptitude à se jeter dans les bras de ceux qui faillirent tuer le fondateur du FPI. Le politique, en revanche, s’attelle à agir comme les figures dont il aime la vision et la méthode.
Enfin, le politique s’efforce d’être cohérent avec lui-même. Cela veut dire qu’il ne prendra pas part à des élections truquées et gagnées d’avance par le parti au pouvoir après avoir contesté la commission chargée d’organiser ces élections. Tel n’est pas le cas du politicien. Même s’il clame que seul le peuple est souverain (“le pouvoir au peuple”), même si le peuple est prêt à boycotter les élections bidon organisées par les tricheurs de la CEI, lui ne verra aucun convénient à y participer. Car l’important pour lui, ce n’est pas le peuple, mais sa petite personne: l’argent qu’il empochera avant ou après le scrutin, son poste et sa carrière.
Ce sont donc les politiciens qui donnent une mauvaise image de la politique. Sinon, celle-ci est au départ une activité noble. Comme disait le pape Pe XI en 1927, elle est “le champ de la plus vaste charité”. Il est temps de sanctionner les politiciens d’ici et d’ailleurs pour redonner à la politique ses lettres de noblesse.
Jean-Claude Djéréké
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