Par connectionivoirienne
Charles Lambert Tra-Bi (Président des Dp) fait le grand déballage:
«L’augmentation du prix des journaux a été nuisible à l’ensemble de la presse »
‘’Notre liberté est encadrée mais…’’
‘’Dommage que beaucoup d’entre nous restent tiraillés par des intérêts politiques !’’
‘’Contrôle de l’Unjci par MT ? Ce n’est pas fini !’’
En votre qualité de patron des Directeurs de Publication de Côte d’Ivoire, quel regard jetez-vous sur l’environnement de la presse ivoirienne d’un point de vue économique et du point de vue du contenu éditorial ?
Charles Lambert TRA-BI : Permettez que je me présente d’abord à vos lecteurs et que je dise un mot sur la structure des Directeurs de Publication que j’ai l’honneur de présider. Je suis Charles Lambert TRA-BI, journaliste professionnel, Directeur de Publication du Groupe TAF, qui édite le journal ‘’La Synthèse’’ et deux autres organes d’informations en temps réel : le site www.lasynthese.net et Alerte Actu, plus connu sous le vocable de Moov Actu. Depuis 2013, je suis le président du Forum des Directeurs de Publication de Côte d’Ivoire, en abrégé, FORDPCI, une organisation de patrons de presse qui regroupe une trentaine de journaux et de sites d’informations en Côte d’Ivoire, dont les plus représentatifs du pays. Ceci dit, vous nous demandez de jeter un regard sur l’environnement de la presse ivoirienne d’un point de vue économique et du point de vue du contenu éditorial. Nous allons évoquer d’abord le contenu éditorial puisque le Directeur de Publication, conformément à la loi no 2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse (toujours en vigueur), reste le garant du contenu éditorial de son journal. « Le directeur de publication est civilement responsable du contenu du journal. Sa responsabilité est engagée pour tout article publié. Les fonctions de Directeur de publication ne peuvent être déléguées », lit-on à l’article 21 du titre III de cette loi. Vous comprenez que nous, Directeurs de publication, sommes donc au centre de l’animation du contenu et de l’orientation éditoriale de nos organes de presse. Je puis vous dire qu’à ce jour, il existe une multitude de lignes éditoriales qui consacrent ainsi la liberté de la presse en Côte d’ Ivoire. Une liberté qui reste, bien sûre, encadrée par le code de déontologie du journalisme dans notre pays. Il est vrai que l’environnement socio-politique pèse et désoriente quelquefois les contenus éditoriaux des organes de presse, mais le cadre juridique de la gestion de la ligne éditoriale reste un repère pour le Directeur de publication.
Quant à son environnement économique, il faut dire que la presse ivoirienne connaît des soucis liés notamment là la mévente des journaux. L’Etat, il est vrai, continue de faire des efforts à travers son appui annuel aux entreprises de presse. Mais ces appuis, disons-le tout net, sont loin de résoudre les problèmes de la presse ivoirienne dans son ensemble. Si tout le monde se plaît à qualifier la presse de ‘’quatrième pouvoir’’, il faut donc lui donner les moyens d’exercer ce pouvoir-là. Vous savez, l’application de la convention collective interprofessionnelle n’est pas une réalité au sein des entreprises de presse ivoiriennes, sinon de la plupart d’entre elles. Il faut avoir le courage de le dire, poser les vrais problèmes à l’Etat et y apporter des solutions durables. C’est vrai qu’aujourd’hui est mieux qu’hier, mais ce qui est fait aujourd’hui ne résout pas les problèmes de la presse ivoirienne. Un pays fort et émergent doit avoir une presse de qualité. Une presse de qualité repose sur une entreprise forte dans son fonctionnement continu.
Récemment, un rapport du CNP établissait que la presse écrite dans son ensemble connaissait une baisse de chiffres de vente en 2015 par rapport à l’année précédente. Pourquoi, selon vous, la presse écrite ne fait plus recette ?
C. L. T. B. : Je disais tantôt que le problème principal de la presse ivoirienne aujourd’hui, c’est sa grande mévente. Si la presse ivoirienne ne fait plus recette, il faut y voir quatre raisons principales :
Premièrement, c’est la multitude de titres sur le marché. A moins d’une dizaine de journaux dans les années 90, on est aujourd’hui à plus d’une vingtaine de quotidiens et plus d’une trentaine de périodiques (bihebdomadaire, hebdomadaire, quinzomadaire, mensuel …..). Certains évoquent même une centaine de titres sur le marché. Ça fait trop. Le problème ici, c’est que si cinq à six journaux ont la même ligne éditoriale, donc la même orientation de l’information, le lecteur qui se reconnaît dans ce contenu éditorial se sent obligé de prendre un seul journal, au détriment des autres. C’est cela la réalité aujourd’hui.
Deuxièmement, la question de l’augmentation du prix de vente du journal. En 2014, les prix des journaux ivoiriens ont augmenté de 50%, passant de 200 à 300 francs CFA pour les quotidiens et de 60% pour les hebdomadaires, désormais vendus à 500 francs CFA contre 300 francs CFA auparavant. Cette augmentation du prix unitaire de vente des journaux, il faut avoir le courage de l’avouer, n’a pas été sérieusement étudiée avant sa mise en application. La décision d’augmentation, annoncée en 2014 par le Groupement des éditeurs de presse (GEPCI) avait pour but, selon cette organisation des patrons de presse, de ‘’relever les ressources d’un secteur économiquement sinistré’’. Mais force est de reconnaître que, deux à trois ans après son application sur le terrain, c’est une augmentation qui est plutôt nuisible à l’ensemble des entreprises de presse ivoiriennes.
Troisièmement, il y a aussi que la presse en Côte d’Ivoire est affaiblie par les organes d’informations en temps réel ; je veux parler des sites d’informations, des réseaux de téléphonie mobile qui diffusent aussi des informations générales, et des réseaux sociaux (Facebook et autres). Les gens n’attendent pas forcément les journaux aujourd’hui pour s’informer. Ils le sont en temps réel et cela constitue un danger pour le journal qui voit ses lecteurs se diriger vers d’autres produits. Il y a, enfin, une quatrième raison, celle-là, liée au contenu de nos journaux. C’est vrai que pour avoir un journal qui puisse tenir la concurrence au plan de la vente, il faut aussi être professionnel et traiter des sujets d’intérêt. Nos journaux font des efforts, certes, mais beaucoup reste à faire pour égaler les grands canards du monde et même de la sous- région. C’est pourquoi le Forum des Directeurs de publication de Côte d’Ivoire (FORDPCI) organise des séminaires de formation à l’intention de ses membres, mais aussi de l’ensemble des journalistes. Question de palier aussi la performance économique de nos entreprises de presse.
Le CNP, l’organe de régulation, qui a souvent la main dure, n’y est-il pas pour quelque chose avec les nombreuses suspensions de journaux ?
C. L. T. B. : Non, je ne crois pas. Si la presse ne fait pas recette, le Conseil National de la Presse n’y est pour rien à mon avis. Ce n’est pas le CNP qui fait nos journaux, c’est nous qui les faisons. Le régulateur fait le travail qui est le sien. C’est un travail de régulation qui peut plaire et qui peut ne pas plaire, selon qu’on soit d’un camp comme de l’autre. Mais de là, à dire que le CNP est pour quelque chose dans le fait que la presse ne fasse pas recette en Côte d’Ivoire, je ne partage pas. Il y a même un ami qui me faisait remarquer un jour que plus le CNP sanctionne un journal, plus ce journal est recherché par des lecteurs qui croient que c’est là-bas que se trouve la vérité. Peut-être que ce que vous appelez ‘’la main dure du CNP’’ ferait l’affaire de certains journaux (rires…).
Quelles sont vos solutions à tous ces problèmes que vous releviez ?
C. L. T. B. : Il y a des solutions qui sont à la portée du FORDPCI, je veux dire des Directeurs de publication, et celles pour lesquelles il faut obligatoirement l’intervention de nos gouvernants. Pour ce qui est de la formation et de la responsabilisation des journalistes, le FORDPCI est à l’œuvre depuis sa création il y a trois ans. D’ailleurs, l’un des objectifs clefs qui fondent notre organisation, c’est la professionnalisation du secteur. Garant de la ligne éditoriale, le Directeur de publication qui ignore le rôle qui est le sien dans un organe de presse est un danger pour sa rédaction et même pour le pays. Chaque année, depuis sa création, le Forum des Directeurs de Publication est à l’initiative de séances de formations. En 2014, le FORDPCI a invité le président du CNP, M. Raphaël Lakpé, à entretenir les DP sur les «Prérogatives et Obligations du Directeur de publication au regard de la loi sur la presse». En 2015, nous avons tenu un Atelier de renforcement des capacités des Directeurs de Publication afin que ceux-ci s’approprient leurs rôles autour du thème, « techniques de management d’une entreprise de presse ». Pour cette année 2016 qui s’achève, nous avons organisé un séminaire sur le thème de la ‘’Gestion de la ligne et du Contenu éditorial en période de tension socio-politique’’. Nos solutions sont celles liées à la formation avec l’appui de nos partenaires. Pour le reste, la presse ivoirienne doit être soutenue davantage par l’Etat pour mieux se porter.
Le fait que la presse ivoirienne soit trop partisane, passionnée et au service des politiques, n’est-il pas aussi un problème avec la désaffection chez les lecteurs ?
C. L. T. B. : Oui et non ! Oui, la presse trop partisane et passionnée au service des politiques peut être source de désaffection chez des lecteurs. Il y a, en effet, parmi nos lecteurs, celles et ceux qui se disent aujourd’hui fatigués et abusés par nos journaux et nos journalistes qui se substituent, quelquefois, aux hommes politiques au lieu de faire leur métier. Non, parce qu’une presse trop partisane et passionnée au service du politique reste, au contraire, très prisée par des Ivoiriens militants, qui y trouvent leur compte. D’ailleurs, les journaux les mieux vendus dans notre pays sont ceux qui traitent, en bonne partie, de l’actualité politique ; les sujets politiques étant, généralement, les plus lus en Côte d’Ivoire.
Il est souvent reproché aux journalistes ivoiriens d’être de simples relais de chapelles politiques, des gens qui ne suscitent pas le débat contradictoire. On l’a d’ailleurs remarqué au cours de l’adoption de la nouvelle constitution où les journalistes sont restés pratiquement muets pour un sujet de grande importance qui concerne leur pays. N’est-ce pas là une plaie de la presse ivoirienne ?
C. L. T. B. : C’est vrai que nous journalistes ivoiriens ne sommes pas souvent présents pour débattre des questions fondamentales qui engagent la vie de la nation. On se contente, le plus souvent, de rendre compte des positions de politiques et de décideurs. Et vous avez raison de dire que c’est une plaie pour la presse ivoirienne. Voyez-vous, notre absence dans les grands débats qui engagent le pays, nos divergentes prises de position en interne, sur des questions qui nous concernent directement, n’aident pas la presse ivoirienne. Et, disons-le clairement, beaucoup d’entre nous restent tiraillés par des intérêts politiques au point d’oublier ce qui est essentiel pour eux. Dommage tout ça !
M. le Président du FORDPCI, vous avez été un farouche opposant à l’actuel président de l’UNJCI lors de l’élection d’avril 2016. Vous avez même contesté sa victoire. Où en êtes-vous avec ce dossier aujourd’hui ? Envisagez-vous de faire la paix avec Moussa Traoré ou de poursuivre votre action en annulation du congrès en justice ?
C. L. T. B. : Traoré Moussa est un confrère et un ami. J’ai siégé avec lui au sein de deux Conseils Exécutifs de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI). J’ai été son vice-Président quand il était président de l’UNJCI avant le Congrès d’avril 2016. Moussa est un ami, et l’amitié se nourrit de vérités. Je vais vous épargner tous les actes gravissimes et déshonorants qui ont marqué sa présidence de 2012 à 2016. J’ai estimé, avec plusieurs autres membres du bureau sortant, que Traoré ne pouvait pas être à nouveau candidat, au regard des dispositions de nos statuts et Règlement intérieur et du fait qu’il ait été blâmé par le Conseil Exécutif. J’ai donc fait équipe avec la liste Coulibaly Vamara. Avec la complicité du Conseil d’Administration, il a forcé et on connaît la suite. Nous avons donc porté cette affaire de la validation de la candidature de Traoré Moussa devant le tribunal pour que la justice se prononce sur ce problème. Le Procès est à sa quatrième séance au Tribunal de Première Instance (chambre civile) d’Abidjan-Plateau. La liste Coulibaly Vamara a communiqué à la partie adverse et au Tribunal, ses 10 sous côtes (dix preuves) contre Traoré Moussa. Le Conseil de Traoré veut tenter de répondre à la prochaine audience, fixée par le Tribunal au jeudi 08 décembre 2016. A noter que les éléments de preuves juridiques qui ont prévalu dans la mise à l’écart de TRAORE Moussa du Conseil National de la Presse (CNP)- décision du Chef de l’Etat- font partie des pièces fournies par la Liste Coulibaly Vamara. Pour le reste, Traoré Moussa reste un confrère et un ami, en attendant la décision de la justice.
Ne voyez-vous pas dans tout cela des actes d’anti-confraternité et une posture de mauvais perdants ?
C. L. T. B. : C’est quoi un acte d’anti-confraternité ? Est-ce que porter un contentieux de l’UNJCI devant les tribunaux est un acte anti confraternel ? N’est-ce pas nous journalistes qui exigeons d’un politique qu’il démissionne parce que son nom est dans une mauvaise affaire ? Et qui vous a dit qu’un candidat malheureux qui porte plainte à l’issue d’un processus électoral est un mauvais perdant ? Pourquoi ouvre-ton alors une période de réclamations après des élections ? Non cher ami, restons lucides et voyons l’intérêt de l’UNJCI, cette grande organisation que nos devanciers ont créé et que nous n’avons pas le droit de détruire et de décrédibiliser.
Par SD à Abidjan
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