LE JEU POLITIQUE EN CÔTE D’IVOIRE par Samba Diakité
L’arbitre a sifflé la fin du match. Mais, en réalité, si l’enjeu était énorme, le jeu n’en valait pas la chandelle. Sur le terrain, pour cette grande finale, il n’y avait qu’une seule équipe. L’Équipe qui gagne toujours par manque d’adversaires sérieux et l’équipe qui ne joue jamais de matchs mais qui remporte, quand même, malgré elle, la médaille d’or du boycott et de l’absentéisme sur les terrains de jeu.
Paradoxe du jeu, révisionnisme des règles du jeu, démiurge de la pensée!
Pendant ce temps, les fidèles spectateurs commencent à ne plus remplir les stades et manquent aux réunions et aux assemblées générales. Dans les deux camps, on sent la grogne, on murmure des mécontentements. Ceux qui gagnent sur le terrain perdent des fidèles spectateurs et ceux qui gagnent dans les mots de l’absentéisme, en perdent également. Les spectateurs sont devenus infidèles et intransigeants parce que leurs équipes ne jouent plus franc -jeu, elles ne séduisent plus, elles n’arrivent plus à convaincre, les génies se font rares ou les rares génies sont fatigués et ont besoin de repos. Les spectateurs connaissent les systèmes de jeu par cœur; ils n’ont jamais changé; la nomenclature des équipes est toujours la même, elle ne changera pas d’un iota; quel que soit le match, ce sera les mêmes joueurs, avec les mêmes numéros, aux mêmes postes, dans le même stade, avec le même entraîneur, sous la direction du même arbitre, tous, jouant individuellement, chacun de son côté, le même rôle, gardant jalousement sur soi le ballon au détriment de la collectivité.
Qui sont-ils?
On les appelle « les cadres »; ils jouent tous les matchs du début à la fin, même s’ils ont la jambe cassée. On les appelle « les intouchables, les fidèles des fidèles ». Ce sont eux qui chantent toujours les louanges de l’entraîneur, « notre entraîneur ou rien », même si celui-ci se trompe de stratégie, de choix tactique.
L’entraîneur de l’équipe qui gagne toujours par manque d’adversaires sérieux n’a –t-il pas dit, un jour, qu’on ne change pas une équipe qui gagne, n’en déplaisent aux spectateurs qui pensent, au contraire, que leur équipe joue mal, que son jeu est décousu, impropre à regarder?
Celui de l’équipe qui gagne le trophée de l’absentéisme, qui a été sanctionné par la Fédération Internationale du Jeu des Peuples pour jeu dangereux, violation des règles, refus de reconnaître sa défaite et qui a été convoqué par la commission internationale d’arbitrage pour s’expliquer, n’a –t-il pas dit, lui aussi, avant sa révocation et son départ forcé au pays de Van Basten, qu’après lui, c’est le chaos?
Alors chaque camp se trouve dans sa logique. On garde toujours l’ancienne stratégie, on ne mouille plus le maillot, on n’essaie plus de nouveaux acteurs avant la Coupe d’Ivoire de 2020. Chaque entraîneur fait confiance en ses joueurs, en ses fidèles; il leur donne le mot d’ordre qui devient subrepticement l’ordre du mot, le mot d’ode. Ces cadres des équipes, on les trouve dans les deux camps. Selon eux, la vie est un éternel retour, du même; le passé est égal au présent et le présent est égal au futur. Pour une fois, le spectateur du spectateur qui, autour de ce spectre-spectacle, ignorant qu’il n’était qu’un spectateur, prend, soudainement, conscience de son état et décide de devenir acteur. Il ne paie plus les tickets pour regarder les autres; il veut, désormais, qu’on paie les tickets pour venir le regarder à son tour, lui, qui a tant acheté de billets et qu’on a tant ignoré; lui , qui s’est tant donné pour son équipe, pense qu’ il est temps, pour lui, ici et maintenant, de porter le maillot afin de pouvoir jouer avec d’autres acteurs un nouveau jeu, sur un nouveau terrain, dans un nouveau système de jeu, pour le plaisir sans cesse renouvelé de soi -même et de la gigantesque foule qui attend ce renouveau. Bientôt, ce sera la ligue des champions; les équipes sont en train de déposer la liste de leurs joueurs, les mêmes, les toujours-là, même quand ça ne va pas, sont encore présents.
Mais cette fois, les spectateurs ont décidé de former leurs propres équipes; ils veulent le changement, et ils viennent de voir le changement inattendu chez le champion du monde du Jeu des Peuples, au pays de l’Oncle Sam, chez leur cousin qui s’en va mais qui voulait garder le même système avec les mêmes hommes.
Mais chez l’Oncle Sam n’est pas chez Houphouët Boigny; il faut donc suivre l’exemple quand il est bon. Il faut bousculer la hiérarchie, il faut remuer et bien secouer l’arbre pour que tombent ses fruits mûrs, il faut entretenir l’espoir.
Cet espoir s’appelle INDÉPENDANCE et ses joueurs se nomment les INDÉPENDANTS.
Aujourd’hui, le vecteur force est donc en train de changer de direction; ils veulent être acteurs; ils ont la soif de jouer et de gagner leur match au prix de leur vie. Cela nécessite du courage, de l’abnégation et de l’audace. N’est-ce pas qu’un jeu n’est intéressant que si on se sent concerné? Le triomphe de ceux qui ont gagné doit –il nous faire oublier les inquiétudes de ceux qui ont perdu ?
Tout jeu a un enjeu et tout enjeu n’est pas un jeu. La liberté du jeu fait appel à l’enjeu de la liberté et met en jeu le jeu de l’indépendance, un autre jeu de la liberté.
Maintenant que ce jeu commence!
Prof. SAMBA DIAKITÉ
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