Le 5 octobre dernier, le gouvernement béninois a adopté un décret portant interdiction des activités des associations et organisations estudiantines faitières, dans les quatre universités nationales (Université d’Abomey-Calavi, Université de Parakou, Université polytechnique d’Abomey et l’Université des Sciences agronomiques de Porto-Novo). Si cette décision administrative ambitionne de mettre de l’ordre dans les universités publiques du Bénin, en particulier à l’UAC en proie à la violence et à l’insécurité depuis plusieurs années, cette suspension porte des germes dommageables à la liberté.
Depuis l’annonce de la mesure d’interdiction, de nombreuses associations sont montées au créneau pour dénoncer une atteinte aux libertés fondamentales. Amnesty International a condamné la décision, estimant qu’elle «s’inscrit dans le cadre d’une tentative inadmissible d’étouffer la contestation légitime au sein des associations étudiantes. ». Le gouvernement s’en défend, et précise que la décision d’interdiction des activités des associations d’étudiants dans les universités nationales du Bénin n’est pas synonyme de dissolution desdites associations mais plutôt de suspension. Cependant, même s’il s’agit d’une décision administrative à titre conservatoire, elle doit être limitée dans le temps pour se justifier. Or le Gouvernement ne donne aucune précision quant au temps que durera cette suspension. Ce constat met en doute la sincérité des arguments avancés par le pouvoir.
Un autre constat non moins inquiétant, est la légèreté de la démarche du Gouvernement qui a opté pour une suspension des associations estudiantines alors que ses membres affirment détenir des preuves d’actes de violence, notamment des vidéos qui montrent des étudiants commettant des actes répréhensibles. Dans un esprit démocratique et dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, le gouvernement aurait dû requérir l’ouverture d’une information judiciaire qui relèverait, le cas échéant, les actes de violence et d’illégalité dont certains étudiants auraient fait preuve. Sur la base de ces constatations et des décisions qui auraient été rendues par la justice au terme d’une procédure équitable, le gouvernement en tant que garant de l’exécution des décisions judiciaires pourrait fonder son action et cibler les sanctions. Ce faisant, il serait en phase avec la constitution, qui précise en son article 25 : «l’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation ». C’est donc dans les conditions fixées par la loi et non celles fixées par le gouvernement. Et si l’objectif du gouvernement était ailleurs ?
Des desseins bien avoués
Lors de sa conférence de presse, le Gouvernement a exprimé son désir de disposer d’une seule structure faitière afin de faciliter les échanges et négociations avec les étudiants. «Comme les autres pays de la sous-région, il serait intéressant pour nous, tant pour les étudiants que pour le Gouvernement qui a besoin d’avoir un interlocuteur, d’avoir pour l’ensemble des universités, une et une seule association faîtière», a indiqué le Gouvernement. Et si le but réel de cette manœuvre était de disposer d’une seule association afin de pouvoir étouffer la contestation et renforcer progressivement les mesures répressives et d’intimidation ?
Disposer d’une seule structure faitière empêche l’expression plurielle en même temps qu’elle fragilise les étudiants si d’aventure le Gouvernement envisageait ce genre de mesures. Ce qui explique par ailleurs le choix du Gouvernement de recourir à un décret alors qu’il affirme détenir des preuves qui pourraient situer les responsabilités et aider à extirper des rangs des associations les mauvais élèves. D’ailleurs, le gouvernement-même reconnait que « toutes les associations d’étudiants ne sont pas comme cela. »
Si l’insécurité et les actes de violence deviennent récurrents sur les campus, il revient à l’Etat de se donner des moyens de restaurer l’ordre public. Mais revient-il à l’Etat de manœuvrer pour obliger les associations à se rassembler? La réponse est Non.
Depuis la révolution marxiste léniniste de 1972 et ce jusqu’à ce jour, l’université a été l’unique citadelle imprenable bien qu’il soit un lieu de formatage politique. Même aux temps forts du parti unique, les mouvements estudiantins ont été les remparts contre la pensée unique et les dérives autocratiques du régime révolutionnaire. Historiquement ils sont à l’origine des contestations qui ont engendré plus tard la conférence nationale, qui a ouvert l’ère du renouveau démocratique au Bénin.
Dans un passé récent, ces associations ont œuvré dans la lutte contre les dérives autoritaires du régime de Boni Yayi en dénonçant ses velléités à s’offrir un troisième mandat, et des fraudes aux concours de recrutement d’agents de l’Etat. L’atout majeur de ces mouvements, c’est justement la pluralité des structures faitières qui démocratise le débat sur les campus sans que ces mouvements ne deviennent entièrement et exclusivement le porte-voix d’un parti politique ou d’un gouvernement malgré la prégnance des manipulations politiques et les financements occultes.
Au-delà des déviances qui s’observent dans la leur vie quotidienne, les associations estudiantines sont des laboratoires d’idées et des lieux d’apprentissage démocratique. En interdisant dans la perspective de reformer ces mouvements et l’exercice de l’activité syndicale dans l’espace universitaire, le Gouvernement frappe au cœur même du système politique démocratique béninois instauré au prix de lourds sacrifices par le peuple béninois.
Une décision illégale
De l’avis de nombreux juristes, cette décision est « illégale parce qu’une restriction aussi importante et aussi grave ne peut être apportée que par une loi. » Et de surcroît, cette loi doit être soumise au contrôle de la cour constitutionnelle. Un décret ne peut remettre en cause une liberté constitutionnellement garantie. C’est en cela que la décision est inconstitutionnelle et risque de contraindre les syndicats estudiantins à opérer dans la clandestinité, ce qui par ricochet renforcerait les mesures policières et les intimidations à leur encontre. Est-ce un piège consciemment tendu par le Gouvernement ?
Dans tous les cas de figure, les étudiants peuvent l’éviter en empruntant contrairement aux gouvernants, les voies légales de recours. Ils peuvent à cet effet saisir la juridiction compétente : soit, la Cour Constitutionnelle soit, la chambre administrative de la Cour suprême. Cependant, ils doivent espérer que la politique ne l’emporte pas sur le droit. Dans le cas contraire, il serait regrettable que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ne fassent obstacle sur le chemin qu’ils ont eux-mêmes emprunté pour atteindre l’hégémonie.
Kassim HASSANI, journaliste béninois
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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