Le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé a repris lundi 17 octobre à La Haye. Un nouveau témoin fait son apparition à la barre. Il s’agit de Metche Metchro Moise Harold Fabrice, déjà témoin au procès de Simone Gbagbo en juillet dernier.
Par Camille Dubruelh source: Ivoire-Justice
Après de longues discussions à huis clos partiel au sujet de la sécurité du témoin, la Chambre a rendu sa décision en fin de matinée ce lundi. La demande d’octroi de mesures de protection réclamée par l’accusation et le témoin lui-même a été rejetée. Motif : ce dernier a déjà déposé publiquement au procès de Simone Gbagbo, s’adressant par ailleurs à la presse ivoirienne. Si ses déclarations lui ont valu des « publications désagréables sur Facebook », les « insultes et menaces » sont restées sans conséquences. Ainsi, rien ne justifie la mise en place de mesures spéciales qui, selon la Chambre, ne ferait « qu’attirer d’avantage l’attention sur le témoin ». Metche Metchro Moise Harold Fabrice est donc apparu brièvement à visage découvert cet après-midi devant la Cour.
« Accusé de crimes fort graves »
L’homme témoigne en vertu de l’article 74 du Statut de Rome relatif à l’auto-incrimination et bénéficie donc d’un conseil juridique. Comme l’a rappelé le juge Cuno Tarfusser, selon cet article, les propos du témoin ne peuvent pas être utilisés directement ou indirectement contre lui dans le cadre d’une procédure devant la CPI. Seule exception, si le témoin venait à faire un faux-témoignage, considéré comme un « délit sanctionnable ». « Nous voulons entendre des faits. Votre devoir est de dire la vérité », a insisté le président de la Chambre.
Prenant note du refus d’octroi de mesures de protection, l’avocat du témoin a de son côté réclamé une suspension de séance, afin d’avoir le temps de discuter avec son client de la conduite à tenir lors des interrogatoires. « En Côte d’Ivoire, il est accusé de crimes fort graves », a expliqué le conseil juridique, craignant visiblement que sa déposition puisse être utilisée contre lui dans le cadre de procédures nationales. En effet, le témoin qui s’était décrit lors du procès de Simone Gbagbo comme l’ex-numéro deux du Groupement des patriotes pour la paix (GPP), « une force paramilitaire » pro-Gbagbo, est inculpé pour « assassinat ». Il est détenu en Côte d’Ivoire.
Au GPP, « la trahison engendre le sang » raconte le témoin
Genèse du GPP, transformation, organisation, hiérarchie et liens avec le pouvoir politique, tels ont été les sujets abordés par le témoin ce mardi 18 octobre. Interrogé par l’accusation, Metche Metchro Moise Harold Fabrice est tout d’abord revenu sur la création du groupe paramilitaire par Charles Groguhet en octobre 2002, suite à la tentative de coup d’Etat. Objectif affiché : « Faire face à la rébellion et soutenir les forces de défense et de sécurité (FDS) », explique le témoin.
Selon ses dires, un recrutement de jeunes civils « fidèles au pouvoir » a donc été lancé et en novembre, lui-même a rejoint les rangs du groupe, qu’on appelait alors « Les jeunes coureurs ». Encadrés par des membres de l’armée régulière, les nouveaux éléments ont reçu une formation au maniement des armes (AK 47), au déplacement tactique et à l’apprentissage de la discipline. A l’époque, deux figures dirigeaient le groupe paramilitaire : Zagpa You pour le volet militaire et Charles Groguhet, qui faisait « le pont avec la politique », selon les dires du témoin, en particulier avec « Charles Blé Goudé ».
Le 23 mars 2003, suite à un conclave de la Galaxie patriotique, le GPP est officiellement lancé, raconte Metche Metchro Moise Harold Fabrice. Touré Moussa Zeguen, qui, selon le témoin, entretenait lui aussi des contacts étroits « avec la Galaxie patriotique dirigée par Charles Blé Goudé », prend alors la tête du groupe. Le dénommé Jeff Fada (Jean-François Kouassi) s’occupe de son côté des aspects militaires, coordonnant les activités du GPP via le général Sako, à l’Etat-major des armées. Selon les dires du témoin, à cette époque, quelques 800 membres du GPP sont alors cantonnés à l’Institut Marie Thérèse à Adjamé. Ces derniers bénéficient de plusieurs avantages, vivres et per diem de 40 000 francs CFA, les vivres étant fournis par l’Etat-major à Jeff Fada et les per diem récupérés par Touré Moussa Zeguen auprès de Charles Blé Goudé.
« les relations entre le GPP et le pouvoir sont devenues officieuses »
Mais à partir de 2006, « les relations entre le GPP et le pouvoir sont devenues officieuses », explique le témoin. « On a dû faire profil bas », poursuit-il, notant la perte de certains privilèges. En cause : des rapports d’exactions commis par les éléments du GPP relayés par la presse internationale. « Certains comportements pouvaient gêner politiquement », note le témoin. Par ailleurs, des affrontements avec des policiers ont entraîné la délocalisation du groupe paramilitaire vers une autre base. Celui-ci se serait installé plus loin de la ville, à Azito, sur un terrain prêté par Philippe Mangou. À cette époque, le groupe a toujours pour mission de suppléer les forces de sécurité, notamment dans le cadre d’opérations particulières. Il s’agit principalement de mener des perquisitions dans des mosquées ou des domiciles privés pour trouver des caches d’armes. Mais les relations avec la population d’Azito sont loin d’être au beau-fixe, notamment à cause de rançonnement régulier de la part du GPP, selon les dires du témoin. Ainsi, des affrontements éclatent en novembre 2006 et le groupe paramilitaire doit quitter les lieux.
Autre événement marquant dans l’histoire du GPP : l’accord DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion) en 2007. Selon le témoin, le groupe n’a pas été dissout officiellement mais les éléments ont du procéder à un « désarmement symbolique au nouveau camp Akouédo ». La consigne de la hiérarchie, relayant le pouvoir centrale aurait été la suivante : le GPP se désarmera lorsque les rebelles seront désarmés. A cette époque selon le témoin, le GPP comptait quelque 30 000 membres et un certains nombre d’entre eux ont été intégrés aux FDS suite au processus DDR. Mais le GPP aurait continué d’exister, malgré certaines tensions au niveau de la hiérarchie. Le témoin a expliqué qu’il y avait alors une « bicéphalie » entre Yoko Yoko Bernard Bouazo et Touré Moussa Zeguen, ce dernier étant jugé responsable de l’indiscipline de ses éléments et contesté au sein même de son groupe, accusé de corruption. L’affaire s’est finalement réglée au cabinet du ministre de la Défense en septembre 2009. « Zeguen a dit qu’il passait la main à Bouazo », précise le témoin. Fidèle du second, le témoin raconte qu’il a de son côté rejoint en 2009 la base d’Adjamé, devenant le chef d’Etat-major adjoint de la GPP.
A cette époque, le groupe, qui comptait quelque 18000 éléments, possédait plusieurs bases, ayant une « stratégie d’être présent dans chaque commune » d’Abidjan. Les éléments n’étaient plus rémunérés selon les dires du témoin, mais continuaient de recevoir des vivres. Pour recevoir de quoi nourrir ses troupes, Bernard Bouazo « adressait un courrier au secrétariat de la Première dame » et « recevait un retour favorable », explique le témoin.
Avant que ne soit suspendue l’audience, l’accusation a demandé des précisions à Metche Metchro Moise Harold Fabrice sur le code de loyauté du du GPP. « Soumission, soumission, exécution avant réclamation. La trahison engendre le sang », a récité le témoin. Ce dernier a précisé qu’au sein du groupe paramilitaire, l’exécution d’un ordre ne pouvait faire l’objet de débat, même s’il était illégal, sous « peine de graves conséquences ». L’ancien numéro 2 du GPP a tenu a donné un exemple de ces « conséquences », racontant l’histoire d’un des éléments soupçonné « d’intelligence avec l’ennemi ». Alors que les chefs discutaient du sort à réserver à cet homme, le lendemain, ce dernier « aurait glissé du balcon », trouvant la mort dans « l’accident », selon les propos du témoin.
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