Côte-d’Ivoire: 5e livraison “Évaluation des forces et faiblesses du Projet de Constitution”

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Pierre Soumarey

Cinquième Partie – Évaluation des forces et faiblesses du Projet de Constitution

Lire la 4e partie ici

Nous persistons de penser qu’on ne peut pas voter sans s’imprégner du Texte, sans en connaître réellement tous les contours et les enjeux. Cet intérêt est une raison suffisante pour nous, de poursuivre notre rubrique sur ce thème d’actualité, avec cette cinquième contribution. L’absence de l’évaluation des forces du Projet, rendrait notre travail non seulement incomplet, mais très déséquilibré, aussi nous commençons dans cette partie.

De la Révision de la Constitution (Titre XV)

Les enseignements de notre crise et de celles qui se sont produites ailleurs sur notre continent, doivent nous conduire à ériger des barrières à l’intérieur même de la Constitution, pour se prémunir contre le risque de leur répétition éventuelle. Dès lors que ce risque potentiel existe, le principe de précaution recommande que la Constitution s’en protège. En effet, on ne peut raisonnablement écarter dans le temps, selon les dirigeants du moment, la tentation d’une manipulation abusive de la Constitution, en vue de favoriser des intérêts personnels ou partisans ou encore permettre une conservation autocratique du pouvoir d’État.

Article 177-5 : « Toutefois, le projet ou la proposition de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement. Dans ce cas, le projet ou la proposition de révision n’est adopté que s’il réunit la majorité des deux tiers des membres du Congrès effectivement en fonction »

Force est de constater dans cette disposition, que l’initiative du référendum est en réalité une initiative présidentielle, qui ne dépend que de sa seule volonté. Contrairement à la Constitution de 2000 qui prévoyait les matières pour lesquelles la révision de la Constitution, pour être définitive, devait obligatoirement être approuvée par la voie référendaire, le projet actuel de Constitution, fait du Président de la République le juge de l’opportunité du recours au Référendum. En effet, elle n’aménage aucun domaine réservé (cas limitativement énumérés) à la décision du constituant originaire, le peuple souverain. Cette procédure bien que démocratique (adoption par la représentation nationale par vote significatif ), et bien que présentant des avantages incontestables (souplesse du mécanisme, longévité et stabilité de l’ordre constitutionnel en place), contourne, néanmoins, une éventuelle opposition des populations et d’une partie de la classe politique. Une telle révision pourrait être non seulement génératrice de tensions et de frustrations, mais aussi et surtout, porteur d’un risque pour la conquête, l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs.

En effet, dans l’hypothèse où la majorité présidentielle et parlementaire coïncident, cas de la configuration actuelle et scénario le plus probable (force de la dynamique présidentielle et logique du scrutin majoritaire à deux tours), il est manifeste que le Président de la République pourra sans grande difficulté demander, avec l’assurance de parvenir à ses fins, au Parlement de soutenir son Projet, même s’il porte la menace de compromettre gravement l’équilibre des pouvoirs et la paix sociale. Dès lors, une telle possibilité, doit nécessairement s’entourer de précaution. Il convient en l’occurrence, soit de réintroduire dans le champ référendaire, la protection de certaines institutions (élection du Présidence de la République, modes de nomination des Présidents des plus hautes institution de la République) et de certains domaines de la vie sociale économique et démocratique (garanties des libertés fondamentales individuelles et collectives, reformes des modalités des élections locales), soit d’ouvrir au Parlement, la possibilité de demander au Président de la République, par une proposition conjointe des deux Chambres, obtenue à une majorité au moins égale aux deux cinquièmes, l’organisation d’un référendum sur certains projets de réforme, qu’elles jugent trop importants ou sensibles, pour se prononcer (ce n’est pas un rejet du Projet de leur part, mais le souhait de ne pas prendre une responsabilité qui les dépasse).

Variante additionnelle : En revanche, lorsque le contenu de la reforme envisagée dans le Projet de Révision, revêt pour la vie de la communauté nationale une importance ou un enjeu tels, qu’une partie significative du Congrès est conduite à interroger sa propre compétence, par rapport à la couverture de son mandat de représentation, elle demande au Président de la République par une proposition, l’organisation d’un référendum sur le sujet. La proposition est adoptée après un vote, représentant au moins les deux cinquièmes des suffrages exprimés. Dans ce cas, il appartient au Président de la République de décider du sort de la proposition qui lui est soumise.

Lorsque le Président de la République persiste dans sa décision d’utiliser la voie parlementaire, il reprend, après modification du Projet de Révision, la procédure dans les conditions prévues à l’alinéa 4.

Un troisième examen du texte est exclut, si le Parlement maintient sa proposition. Dans ce cas, l’organisation du Référendum devient obligatoire, conformément à la proposition adoptée par le Congrès.

De la même manière, et pour les mêmes motifs, la légalité constitutionnelle doit pouvoir s’opposer par des dispositions expresses, aux coups de force qui pourraient rompre la continuité de l’ordre juridique en place (insurrections, suspension, dissolution). Aussi, il convient d’ajouter aux limites formelles et matérielles présentes dans le texte, d’autres dispositions qui permettent de remettre en cause les fondements de la légitimité et la reconnaissance de leurs éventuels auteurs, et d’engager leur responsabilité pénale.

Article 178 : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.

La forme républicaine du Gouvernement et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision. »

Variante additionnelle : « La présente Constitution ne peut être ni suspendue, ni dissoute. L’acte de suspendre ou de dissoudre la Constitution est frappé de nullité absolue, et constitue un crime imprescriptible.

L’acte de suspendre ou de dissoudre la Constitution affecte la gouvernance de l’État dans des conditions telles, qu’elle interdit toute coopération de la part de l’ensemble des corps de l’État et rend illégal tout financement lui permettant de fonctionner dans lesdites conditions. »

Après la très vive polémique qui a entouré le présent projet de constitution (méthode), l’on peut être surpris et regretter, qu’aucun chapitre n’ait été consacré à la procédure d’élaboration d’une nouvelle Constitution (conditions et méthodes) emportant abrogation implicite de celle qui la précède. Dans une perspective de permanence, conformément à sa vocation (durée, stabilité), la Constitution n’envisage pas son remplacement par une autre, du fait quelle a introduit des mécanismes d’une très grande souplesse, excluant à cet effet les limitations antérieures, pour permettre précisément de la réformer et de l’ajuster, de manière continue. L’intérêt de cette flexibilité est de pouvoir adapter la Constitution aux circonstances sans formalisme excessif et sans blocage politique. De ce point de vue, l’on peut dire, que le Projet de Constitution jette les fondations d’un vaste chantier, qu’elle confie aux générations futures, pour le parfaire à l’épreuve des faits et l’adapter aux nouveaux besoins qui apparaitront ( évolution du contexte historique, de la société et de son environnement). On pourrait s’en réjouir, car cette novation, instaure incontestablement, une garantie de stabilité institutionnelle.

Cependant, l’on ne saurait perdre de vue, que la rigidité des limitations antérieures visaient également la stabilité des institutions, en protégeant la Constitution de modifications trop fréquentes (circonstancielles ou à visée politique). C’est dans cette perspective qu’elle la mettait à l’abri des manipulations abusives et des « coups d’état constitutionnels ». On remarquera que la stabilité et l’efficacité d’un régime politique ne dépend pas seulement de la Constitution(qualité), mais de l’adéquation entre la règle constitutionnelle et les forces politiques, auxquelles cette Constitution va s’appliquer, de leur capacité à animer les institutions qu’elles se sont donné, dans le respect de cette règle (mise en œuvre). Cette adéquation peut, elle aussi, se briser au fil du temps (les contextes évoluent et les alliances aussi). Dès lors, l’on ne saurait écarter définitivement les questions et reproches relatifs au modèle et au régime politique choisis, au titre de la présente Constitution. Or, leur remise en cause est susceptible d’entrainer une reforme, d’une radicalité telle, qu’elle produirait un bouleversement dont l’amplitude rendrait nécessaire un changement de Constitution, qui repenserait de fonds en comble les rapports entre les pouvoirs et le poids de leur importance respective. Le cas présent en est la parfaite illustration. Cette réflexion nous conduit à distinguer deux catégories de réformes. La première concerne tout ce qui permet de régler les dysfonctionnements qui apparaissent, d’améliorer l’équilibre et le fonctionnement des institutions, de renforcer la qualité de la Loi, du contrôle de l’action gouvernementale, ou encore de développer de nouvelles pistes de bonne gouvernance, sans toutefois déséquilibrer l’ensemble du système, tel qu’il est conçu dans sa fondation. La seconde concerne l’organisation de l’État et le rapport entre ses différents organes et l’exercice du pouvoir dans le système envisagé. En outre, l’on observe également la suppression de la limite posée durant la vacance de la présidence de la République, qui énonçait précédemment qu’il ne peut être procédé à une révision de la Constitution, pendant cette période. Si le Vice-Président peut se comporter comme un véritable Chef d’État, qu’en est-il du Premier Ministre qui n’en a pas la légitimité nécessaire ? Il en est de même, comme je l’ai déjà signalé, de la mise en œuvre des pouvoirs spéciaux ou pouvoirs de crise du président de la République (Art. 73) qui doit lui faire interdiction de modifier la Constitution de ce fait (circonstances, prétexte).

Aussi, il paraît avisé, au regard des enseignements de notre histoire, de protéger les modalités d’accès au pouvoir, et celles relatives à leur exercice, et de doter la Constitution de règles impératives relatives l’élaboration éventuelle d’une nouvelle Constitution. La probabilité de la survenance d’une telle éventualité ne saurait être nulle. Dans cette optique, il pourrait être confié au Conseil Constitutionnel la compétence de contrôler la conformité de la procédure de son élaboration, et de statuer sur le contentieux que celle-ci pourrait soulever.

Des dispositions transitoires et finales (Titre XVIII)

Article 179-1 « Le Président de la République en exercice à la date de la promulgation de la présente Constitution nomme le vice-Président de la République, après vérification de ses conditions d’éligibilité par le Conseil constitutionnel. Le Président de la République met fin à ses fonctions. »

La première curiosité qui saute aux yeux, est la possibilité ouverte au Président de la République de nommer sans limitation, plusieurs Vice-Présidents durant la période transitoire, puisqu’il peut mettre fin dans les mêmes conditions à leurs fonctions, selon qu’il en avisera. En deuxième lieu, ce pouvoir de nomination, n’est pas lui-même encadré, par une limite temporelle. Enfin, le Vice-Président ne jouit d’aucune sorte de légitimité représentative, sa nomination dépend entièrement de la volonté du Président de la République. Malgré la spécialisation fonctionnelle (stricte séparation des pouvoirs, selon le principe qu’à chaque pouvoir correspond une fonction), voulu par un régime présidentiel, l’on peut imaginer une certaine représentativité indirecte durant cette période, pour être en cohérence avec l’esprit du Texte, sans rupture.

Variante : « Jusqu’à l’échéance de la prochaine élection présidentielle, le Président de la République en exercice à la date de la promulgation de la présente Constitution désigne un vice-Président de la République. Il soumet ce choix à l’approbation des deux chambres du Parlement réunit en Congrès (ou au Collège des grands électeurs).

Lorsque le choix du Vice-Président est confirmé par un vote à la majorité qualifiée du Congrès et après vérification de ses conditions d’éligibilité par le Conseil constitutionnel, le Président de la République nomme le Vice-Président de la transition constitutionnelle

Les fonctions du Vice-Président de la République prennent fin de plein droit, à la fin de la durée du mandat du Président de la République en exercice. En cas d’empêchement du Vice-Président au cours de ce mandat, un autre Vice-Président est nommé suivant la même procédure.»

Catalogue des progrès et des avancées contenus dans le Projet de Constitution:

En dehors du bloc de constitutionnalité commun à presque toutes les Constitutions, le Projet de la Constitution de 2016 se particularise aussi, par des avancées remarquables, dans plusieurs domaines :

A) Renforcement des droits fondamentaux et des libertés

1. L’opportunité nouvelle donnée aux associations et organisations de la société civile de défense des droits de l’homme, de saisir le Conseil Constitutionnel aux fins de faire annuler avant promulgation, un projet ou proposition de loi contraire ou se heurtant aux droits de l’Homme.

2. L’instauration de la question préjudicielle de constitutionnalité, qui constitue sans conteste, un progrès significatif dans l’État de droit en ce sens que, d’une part, elle va permettre la remise en cause de certaines dispositions législatives inconstitutionnelles en vigueur protégées par leur statut de lois promulguées et, d’autre part, elle crée une nouvelle voie de droit ouverte à tout justiciable.

3. L’interdiction du travail des enfants et la protection des personnes fragiles (la jeune fille, l’enfant, personnes handicapées). Cette préoccupation est majeure pour une société à visage humain.

4. La protection de la liberté de travail qui rétablit un juste équilibre entre le droit de grève et la liberté individuelle. Elle s’oppose dans le cadre des conflits collectifs aux entraves que subissent les travailleurs non-syndiqués dans l’expression de leur liberté et la manifestation de leur volonté de travail. On peut regretter que cette disposition ne soit pas aller plus loin pour interdire le monopole syndical de l‘emploi ou d’une activité (transport par exemple).

5. La protection de l’environnement pris comme cadre de vie et patrimoine naturel, impliquant pour tout citoyen le droit de « vivre dans un environnement sain, équilibré et respectueux de la santé ». L’obligation de préserver les ressources vitales et économiques de la Nation, c’est aussi acter une créance vis à vis des générations futures.

6. L’interdiction de certaines pratiques sociétales (traite des êtres humains, esclavage, travail forcé, violence, mutilations génitales) et l’introduction d’une éthique publique protégeant la dignité humaine contre l’application abusive des progrès scientifiques(trafic d’organes, expérimentations) et toutes les formes d’avilissement et de traitements dégradants (torture, cruauté).

7. Les nouvelles avancées en matière de Justice, relatives à son efficacité (délai, équité) et sa démocratisation (justice de proximité, garantie d’accès).

B) Renforcement des droits démocratiques et politiques

1. La reconnaissance de droits et de prérogatives spécifiques à l’opposition parlementaire, ainsi qu’aux partis politiques minoritaires, constitue une avancée significative, vers une démocratie apaisée, inclusive et participative. Elle permet en outre, au plan démocratique, le rééquilibrage de la configuration de la représentativité de toutes les sensibilités politiques au sein des instances décisionnelles du Parlement.

2. La promotion de la parité. En effet, Il ne saurait y avoir de démocratie sans donner une place significative à la femme dans les différents rouages d’un État. Il s’agit d’instaurer un véritable partenariat entre hommes et femmes dans la gouvernance du pays (conduite des affaires publiques et participation au pouvoir) et de leur donner une meilleure représentativité dans la vie politique (Parlement et formations politiques)

3. Une plus grande représentativité du territoire national et de la communauté nationale au niveau de la confection des lois et du contrôle de l’action gouvernementale (travail législatif du Parlement). L’existence d’institutions représentatives de tous les niveaux de la nation, implique une meilleure participation de la démocratie locale à l’échelon national et oblige dans cette perspective l’État à améliorer l’organisation des Collectivités territoriales en vue de leur représentation au Sénat. C’est une avancée en termes d’inclusion, d’intégration, et de cohésion.

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