Lettre aux Députés de la 2ème législature de la 2ème République
Honorable Député, mon cher représentant,
Il est des moments où le devoir et la responsabilité revêtent un caractère sacré.
Avec la saisine de l’Assemblée Nationale pour l’adoption de l’avant-projet d’une nouvelle constitution, la Côte d’Ivoire en traverse assurément un, et les députés de la 2ème législature de la 2ème République se trouvent, ainsi, devant l’ultime responsabilité de devoir prendre sans doute, la plus lourde et la plus importante décision de leur mandature, en ce qu’elle concerne l’âme même de la Nation et le destin de notre pays. En ces moments cruciaux et devant l’effet inhibant des immanquables pressions et autres tentatives d’intimidations de toute nature et de toute morale, le mandataire peut éprouver le plus grand besoin de sentir le soutien du mandant pour honorer avec dignité, courage et honneur son mandat.
D’où le sens de cette adresse patriotique et fraternelle.
Honorable Député, mon cher représentant,
Comme vous, je suis en possession d’une copie de l’avant-projet de la nouvelle constitution à vous soumis. Comme vous, j’ai surtout écouté le discours ‘’historique’’ du Président de la République devant votre auguste assemblée, et, comme vous, je continue de scruter le document dans toutes ses lignes pour en comprendre le dessein réel, en vain. Comme vous, j’en suis arrivé à me demander si les rédacteurs n’auraient pas commis le parjure de trahir la pensée du chef de l’Etat telle qu’exposée brillamment par lui-même à votre tribune et ce, aussi bien dans la lettre que dans l’esprit. Et l’on peut pardonner au chef de l’Etat, sous le poids de ses lourdes charges et au gouvernement, sous l’irrésistible pression du calendrier ‘’immuable’’, de ne s’être pas rendu compte (l’ayant certainement parcouru en diagonale par la faute de ce temps trop précieux), du caractère plus qu’imparfait du texte (dans la forme comme dans le fond), de la totale contradiction entre les reformes et surtout, c’est cela qui nous intéresse, de l’absence criante des traits de la vocation qu’on lui prête à savoir, de rassemblement, de réconciliation et de paix.
En quoi cet avant-projet « renforce, assure et garantit-il la cohésion sociale, la paix et la stabilité à notre pays » ? Comment « tourner définitivement la page des crises successives que notre pays a connues, et écrire de nouvelles pages de notre histoire… », si nous ne l’affrontons pas avec courage et humilité pour la vider de ses lourds contentieux qui restent hélas encore à ce jour incandescents? En proclamant à juste titre la réconciliation au rang des « urgences », le chef de l’Etat indiquait lui-même l’ordre des priorités : réconciliation d’abord, autres préoccupations ensuite. Alors question : le Président considèrerait-il que la réconciliation est une réalité vivante désormais en Côte d’Ivoire ? Même si l’attitude du chef de l’Etat plaide en faveur d’une réponse affirmative, vous, Député de la nation et représentant du peuple, ne pouvez ignorer la réalité hélas têtue et toute contraire de cette affirmation. Dois-je vous rappeler qu’au moment où vos assises se tiennent, plusieurs dizaines de milliers de nos compatriotes continuent de souffrir le martyr de l’exil ? Ce n’est pas à vous non plus, que je ferai l’insulte suprême d’expliquer la profonde fracture sociale existant encore entre nos différentes populations, toutes catégorisées désormais et portant avec la peur au ventre pour les unes, le bonheur et l’assurance pour les autres (c’est selon) les étiquettes de PRO X et PRO Y. Quelle est l’urgence de passer à une nouvelle République dans ce contexte ? En quoi est ce que les reformes proposées ne peuvent-elles pas se réaliser dans le cadre d’une révision ou d’une simple modification comme l’a du reste recommandé Marcoussis et comme les exigences de notre constitution le prescrive en la matière ?
Honorable Député, cher représentant,
Adopter cet avant-projet, c’est nier les réalités sus évoquées de notre pays,
Voter pour l’adoption de cet avant-projet, c’est accepter de tourner la page sans la traiter,
Tourner la page sans la traiter, c’est engager sa responsabilité personnelle sur les risques et périls attachés à cette inconséquence.
Adhérer à l’idée d’une nouvelle République dans le contexte actuel, c’est contribuer à bâtir un château de cartes sur du sable mouvant.
Honorable Député, cher représentant,
Au-delà des débats juridiques de fond et de forme, voilà les raisons profondes et objectives de principe qui devraient vous amener à rejeter purement et simplement cet avant-projet en ce qu’il est inopportun et constitue un facteur d’aggravation des clivages déjà trop prononcés.
Honorable Député, cher représentant, ne ratez pas l’occasion d’inscrire votre nom dans les chroniques dorées de l’histoire de notre nation. Comme Esther, « Qui sait si ce n’est pas pour un temps comme celui-ci que vous êtes parvenus au parlement ? ». J’ai le sentiment que vous faites partie de cette petite armée de 85 soldats que Dieu a préparée dans cet hémicycle pour arrêter à temps la dérive et sauver la Nation.
Tel est le message de soutien et d’encouragement que j’ai tenu, au nom des sans voix et des nombreux compatriotes sans écriture, à vous adresser en ces moments cruciaux de notre histoire commune. Je l’ai fait contre l’avis des sceptiques pour qui l’initiative n’en valait pas la peine, perdue qu’était déjà la cause. Mais je leur ai opposé ma foi en votre sens de la nation et ma croyance en un ultime sursaut d’orgueil de votre part. Me donnerez-vous raison ou tort ?
Le regard fixé sur vous, le peuple (les ivoiriens d’ici et d’ailleurs) retient son souffle et saura, en tout état de cause, s’en remettre à la divine justice du détenteur exclusif de tout pouvoir pour sa délivrance.
Dans l’attente patiente de votre réponse au soir du mardi 11 octobre 2016 comme promis,
Je vous prie de croire, Honorable Député, cher représentant, en l’assurance de ma considération distinguée.
Côte d’Ivoire(KKS)
Citoyen ivoirien
Au nom des sans voix et sans écriture
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