Dr. Abdourahmane SARR, Président du CEFDEL/MRLD
Si ces derniers jours, les officiels français et les autorités de la BCEAC et de la BCEAO se sont prononcés en faveur du statu quo, c’est-à-dire du maintien du FCFA. Cela n’exempte pas pour autant nos dirigeants de la nécessité de réfléchir à la réforme du système monétaire. Mais, au regard de l’absence de courage politique et de préalables institutionnels et techniques, est-il possible de trouver une stratégie de réforme qui pourrait réconcilier les points de vue des adeptes du statu quo sur le FCFA et ceux des défenseurs de son abandon, avec à terme l’objectif pour les pays concernés de retrouver leur pleine souveraineté monétaire?
La réponse est OUI, en mettant en place des monnaies nationales complémentaires à une monnaie commune libérée de son lien colonial et soutenue par des réserves de change hors du Trésor français.
Pour comprendre, il faut d’abord savoir qu’il n’y a que trois sources d’injection d’argent dans une économie monétaire: (i) la banque centrale (ii) les banques commerciales (iii) et l’argent de l’extérieur (dettes, exportations, investissements) dont l’origine est également les deux premières sources dans ces pays. Dans notre cas, ni l’Etat, ni les banques commerciales n’arrivent à jouer ce rôle efficacement pour la majorité de la population. De ce fait, si une société fiduciaire sous supervision de l’Etat, représentant des populations et des entreprises qui auront acheté un moyen d’échange, appelons-le SEN (papier ou électronique comme Orange money), pouvait émettre, par effet de levier, ce même moyen d’échange sous forme de crédit en leur nom, le problème serait réglé. Ce projet de monnaie complémentaire que porte la Société fiduciaire d’appui au développement local (Sofadel) qui serait émise n’aurait pas court légal et libératoire, attributs exclusifs du Francs CFA. Elle n’est qu’un moyen d’échange et d’octroi de crédit entre membres dont la gestion est déléguée à un fiduciaire, la Sofadel.
Cette monnaie complémentaire est un moyen d’échange que les populations d’une localité achètent et utilisent dans leurs échanges de tous les jours, épargnant ainsi la monnaie officielle non nécessaire à cet effet. De ce fait, le SEN ne concurrencerait pas le Franc CFA et la Sofadel serait en dehors du champ des activités bancaires régies par la Bceao bien que sous supervision de l’état. La conversion des SEN en Francs CFA se ferait à un taux de change convenu entre les membres de la Sofadel.
En émettant ce moyen d’échange acheté ou obtenu à crédit à un taux de change plus faible (2 SEN pour 1 FCFA par exemple) et potentiellement flottant, ce moyen d’échange serait dévalué par rapport au FCFA et pourrait ainsi favoriser la jonction entre les capacités locales sous-utilisées et les besoins locaux dans des conditions de stabilité des prix (sans générer d’inflation). Le FCFA serait dans ce schéma une unité de compte et une monnaie commune accompagnée dans chaque pays de l’équivalent du SEN comme monnaie nationale complémentaire et compétitive sous le contrôle de citoyens financièrement inclus. Nous monétiserons ainsi nos économies sans créer de nouvelles banques centrales et nous pourrons au besoin avoir une unité de compte commune dans le cadre de la CEDEAO pour gérer nos échanges sous-régionaux et à travers elle nos échanges internationaux.
Des expériences en cours dans le monde nous montrent que ce que nous disons est possible mais nos autorités monétaires l’ont refusé. Des pays asiatiques ont une initiative dite Chang Mai dans laquelle les pays participants ont chacun leur propre monnaie et mettent en commun une partie de leurs réserves de change. N’ayant pas une unité de compte commune et une banque centrale commune, chaque banque centrale mène la politique monétaire et de change qui convient à son économie. Nous avons la chance d’avoir une banque centrale commune, une unité de compte commune, et des réserves de change totalement centralisées mais nous n’avons pas de complément à ce système. C’est-à-dire, des monnaies nationales compétitives et des systèmes financiers nationaux au service des économies nationales, la majorité de nos populations étant hors circuit. Les expériences de monnaies complémentaires à travers le monde (WIR Bank, Berskshares, etc…), et l’expérience de l’Irlande et de l’Ecosse où la monnaie physique qui circule n’est visuellement pas la livre sterling, nous démontrent qu’on peut avoir une monnaie nationale complémentaire (papier et électronique) à côté d’une monnaie officielle en y ajoutant notre propre touche. A défaut, il faudra que chacun de nos pays suive l’exemple de l’Angleterre, c’est-à-dire conserver sa propre monnaie pour accompagner l’émergence et le progrès social. Ce sera aux populations d’en décider.
Par ailleurs, les transferts de la diaspora qui contribuent significativement à l’épargne latente que constitue la monnaie non bancarisée en circulation, entre les mains de 90% au Sénégal par exemple, et dont la contrepartie est dans les réserves de change de la banque centrale, gagneraient aussi à être bancarisés sans toucher aux réserves de change elles-mêmes. Cette épargne latente serait également mobilisée par l’émission d’une monnaie nationale complémentaire au FCFA, internationalement plus compétitive, sous forme papier et électronique, que les populations non-bancarisées achèteraient et utiliseraient pour leurs échanges intra-urbains. Les FCFA mobilisés permettront leur inclusion financière et au privé national de participer davantage au financement de l’économie pour éviter que seul le capital étranger ne profite des grandes opportunités d’investissements. En effet, le projet de monnaie complémentaire permettra de constituer un fonds communautaire d’investissement et de garantie qui va faciliter l’accès des populations locales au microcrédit sans intérêt et sans garantie individuelle pour accompagner le financement du développement local.
Mise en place dans le contexte d’une décentralisation autonomisante et d’un État qui se dessaisit au profit de pôles régionaux et des populations à la base, cette réforme monétaire pourrait déclencher un processus d’émergence communautaire et de prise de responsabilité individuelle et collective pour le développement. Cette plateforme, refusée par la banque centrale, sera portée aux élections législatives de 2017 par une coalition citoyenne. La question monétaire et du FCFA ne doit pas être un sujet hors du débat démocratique. Ce serait contre la liberté.
Dr. Abdourahmane SARR, Président du CEFDEL/MRLD
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
Commentaires Facebook