Interview
M. Anaky Kobena, votre parti le MFA a été l’un des fondateurs du CODE (collectif des partis de l’opposition démocratique). Maintenant que le Président Ouattara a clairement fait savoir qu’il irait jusqu’au bout de sa volonté de faire adopter cette nouvelle constitution qui fera entrer la Côte d’Ivoire dans sa IIIe République, et en attendant qu’il aille le 5 Octobre présenter son texte à l’Assemblée Nationale, quels sont vos sentiments ?
Je vous remercie de me donner l’occasion de rappeler à tous les Ivoiriens et à la Communauté Internationale ce qui amené pratiquement tous les partis d’opposition en Côte d’Ivoire, et de nombreuses forces de la Société Civile à faire spontanément bloc contre l’idée même de cette nouvelle constitution en cette période précise de la vie de la Côte d’Ivoire : La pauvreté se généralise, et semble même s’aggraver, en dépit des déclarations officielles de croissance et d’embellie. Maintenant, même le FMI, la Banque Mondiale, la BAD, l’Union Européenne, etc. n’hésitent plus à interpeller le pouvoir Ouattara sur le paradoxe de cette croissance économique qui se traduit par la faim pour la majorité de la population. Cela s’imbrique d’ailleurs avec le taux anormalement élevé d’inactivité et de chômage, surtout pour la population jeune. Toute économie en croissance à deux chiffres doit forcement générer de nombreux emplois, sauf si la Côte d’Ivoire se ramenait à un émirat pétrolier…
Au niveau social, nous avons encore des centaines de prisonniers politiques qui vivent le martyre, et des dizaines de milliers d’exilés dans la sous région. A quoi sert-il d’échafauder un nouveau contrat social si, pour ce qui est de la réconciliation vraie, cinq années après notre crise électorale, le Président Ouattara ne semble préoccupé que de châtier ou faire payer ses adversaires d’hier ? Pour la forme ou le cadre général, un véritable esprit de démocratie aurait suggéré la convocation d’une assemblée constituante regroupant toutes les forces vives de la nation-au lieu de cela, c’est le Président, et lui seul en tant qu’individu, qui conçoit et mène ‟son” affaire. Le comité d’expert en droit constitutionnel ne jouant qu’un rôle de cellule de scribes au service du pharaon.
Il s’agit là, aujourd’hui en 2016, d’un recul démocratique inacceptable depuis le retour à la démocratie plurielle en 1990 en Côte d’Ivoire ! D’ailleurs, le Président Ouattara vient de voir que la semaine dernière, le Burkina Faso voisin, dans le même contexte, a opté pour une Assemblée Constituante, sans qu’il y ait polémique ou bataille de gladiateurs !
Le Chef de l’Etat sera présent à l’Assemblée National, ce Mercredi 5 Octobre, pour présenter et défendre lui-même son projet de constitution devant les députés. Vos commentaires ?
Le Mercredi 5 Octobre, le Président Ouattara ira à l’Assemblée Nationale parachever son holdup politico-constitutionnel ! Etant un perfectionniste et d’abord soucieux de l’opinion internationale, il aura, au préalable, pris toutes les dispositions pour ne pas qu’il y ait une seule voix discordante ! Le PDCI ne veut pas de cette constitution, le RDR non plus, et le Président de l’Assemblée ne doit pas en faire ses délices ! Mais le Président Ouattara va à l’Assemblée pour tout boucler, et, pour être réaliste et par rapport au contexte, ne nous attendons pas à voir surgir un député, véritable kamikaze, pour demander la parole et poser les vraies questions !
Que faire alors, que fera l’opposition face au Référendum fixé au 30 Octobre 2016 ?
C’est ici que le MFA appelle les 23 partis signataires du CODE, la Société Civile et les populations à la vigilance et au discernement ! Tous les rapports qui nous parviennent à tous, et nos envoyés sur le terrain, concordent à dire que pour ce référendum du 30 Octobre 2016, les Ivoiriens ne se sentent pas concernés et ne comptent pas se déplacer pour aller voter ! C’est un phénomène unique, une situation rare, mais au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest, en passant par le Centre, les Ivoiriens estiment que ce référendum et cette nouvelle constitution n’ont rien à avoir avec leur vie au quotidien et leurs problèmes. Du coup, la tâche des partis de l’opposition et de la société civile est presque déjà accomplie, car, ce qui intéresse Ouattara, c’est le degré de participation au vote. S’il dit que le ‟Oui” l’a emporté à 100%, mais qu’en même temps l’on établit que la population ne s’est déplacée qu’à 15 ou 20%, ce sera le plus grand désastre de sa carrière politique.
Il ne s’en remettra pas !
Mais comment pensez-vous rendre le vrai taux de participation ?
Mais le jour du vote, nous aurons toute la presse nationale et internationale sur l’ensemble des bureaux de vote, sur tout le pays. En plus des réseaux d’observateurs de tous les groupes politiques. Les ONG internationales et les médias publics et privés ont tous les moyens d’établir et démontrer le véritable taux de participation, à une marge de 3 à 5% près. Et eux donneront, avec des images à l’appui, le véritable état des lieux. On peut donc ‟fabriquer” ou ‟forger” le taux de OUI, mais ce qui importe le plus et donne sa légitimité à un tel scrutin, c’est le taux de participation, c’est lui qui traduit l’intérêt et l’adhésion de la population. Sur cela, on ne peut pas tricher ! Et, par chance pour la Côte d’Ivoire, ceux qui ne se déplaceront pas pour aller voter seront plus de 80% des électeurs potentiels !
Un appel, pour terminer ?
Oui, et c’est très important. J’attire l’attention des partis du CODE, de toute l’opposition et de la Société Civile, qu’il convient de ne pas lancer des mots d’ordre susceptibles de créer des confusions qui profiteront au Président Ouattara. Je m’explique : être contre le référendum et cette nouvelle constitution, c’est rejeter totalement et intégralement l’idée et son contour. Il n’est pas question de dire qu’on va aller au bureau de vote pour voter NON. En le faisant, vous entrez dans le jeu de Ouattara, et vous êtes son agent ou son disciple. Car en allant voter, vous soutenez le taux de participation qui représente le véritable enjeu pour lui. Le mot d’ordre, la feuille de route, le slogan, c’est tout simplement de ne pas participer à ce référendum. Que dans les hameaux, les villages et les villes, les Ivoiriens qui aiment leur pays restent à la maison ! Toutes les actions publiques annoncées par divers partis ou groupements politiques pour dénoncer ce référendum et exiger son retrait sont positives en ce qu’elles contribuent à informer et former les Ivoiriens sur ce recul de démocratie qu’on veut leur imposer. Le MFA y prendra part. Mais le plus important est que, pour être logique avec elle-même et son objectif de défendre le pays, le peuple et la démocratie, toute l’opposition doit encourager et soutenir les Ivoiriens dans leur volonté de rester chez eux le jour du vote ! Ivoiriennes, Ivoiriens, vous êtes contre ce référendum et cette constitution, et la seule manière de le signifier est de ne pas aller voter, de vous tenir en dehors de quelque chose qui a été préparé sans vous ! Si vous allez voter ‟NON” pour marquer votre désaccord, c’est comme si vous votez ‟OUI”, d’abord parce que votre vote ‟NON” sera tronqué en ‟OUI”, mais, surtout, parce que vous aurez assuré à ce référendum le taux de participation dont Ouattara a besoin pour le légitimer. Que toutes les forces politiques de l’opposition et de la société civile se mettent en campagne sur cette directive, pour conforter et consolider la détermination des Ivoiriens !
Entretien réalisé
par Sercom MFA
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