Éloge de la trahison en Côte -‘Ivoire: Qui a encore besoin de la légende frelatée d’Houphouët-Boigny ?

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La marionnette et les marionnettistes en pleine répétition Houphouët chez lui, à Yamoussoukro, entre Foccart et Chirac.

Publié dans Cercle Victor Biaka Boda

Vingt-trois ans après sa mort, et alors que nous pataugeons toujours dans le merdier où il nous a foutus, qui a encore besoin de la légende frelatée d’Houphouët ?
Éloge de la trahison

Cette tribune ne vise pas à revenir sur l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, depuis l’indépendance. Je laisse aux historiens et aux commentateurs politiques le soin d’écrire cette histoire et de l’analyser.

Mon propos est de montrer qu’il existe en Afrique des hommes d’État qui ont une vision prophétique de l’histoire, alors que d’autres, dans le seul but d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir, cherchent à enfermer l’action politique dans l’engrenage mortel des affrontements partisans qu’ils soient ethniques, tribaux ou régionaux.
Le 7 Août 1960, la Côte d’Ivoire accède à l’indépendance et Houphouët-Boigny devient le premier président de la République ivoirienne. Il s’agit bien d’une date historique dont il faut célébrer l’anniversaire avec éclat en évoquant le Père de la nation, Houphouët-Boigny.

Mais la gloire d’Houphouët-Boigny n’est pas simplement d’avoir été l’artisan de l’indépendance, ni le premier président de la République ivoirienne ou encore d’avoir réussi le développement économique et social de son pays. Ces choses-là ont été dites et personne ne les conteste. L’autre titre de gloire d’Houphouët-Boigny est d’avoir réussi à bâtir la nation ivoirienne, à faire naître un sentiment national.

L’ambition d’Houphouët-Boigny est en effet de forger une nation en intégrant dans un destin commun plus de 60 ethnies ou tribus du pays, qui ne se connaissent pas ou si mal, et qui ne parlent pas la même langue. Cette ambition prend forme, parce qu’Houphouët-Boigny, esprit visionnaire, dit deux choses qui semblent inouïes aujourd’hui encore. D’abord, il dit, contrairement aux mouvements de libération de son époque : la colonisation, en traçant artificiellement des frontières, a évité la « balkanisation » de l’Afrique et donné naissance à des États-nations. Ensuite, il dit : mon allié, ce n’est pas le marxisme-léninisme qu’il sait mortifère, mais c’est l’ancien colonisateur qui me donne une langue unificatrice et me permet d’éviter les turbulences de l’Histoire.

De Gaulle, à qui l’on demandait de choisir au lendemain de la Seconde guerre mondiale entre les Américains et les Soviétiques, avait dit : mon futur allié, c’est l’Allemagne ! Propos inouï, inaudible à l’époque. L’Allemagne, l’ennemi vaincu, l’ennemi héréditaire, frappé d’infamie avec le nazisme ? Il fallait avoir cette vision prophétique de l’Histoire pour faire alliance avec l’Allemagne et imaginer déjà ce qui allait devenir l’Union européenne. Houphouët-Boigny avait cette même vision prophétique qui lui permettait d’entrevoir le destin de son pays et de son peuple. Au-delà des péripéties de l’Histoire contingente, il voulait bâtir la grande nation ivoirienne avec l’aide de tous les Ivoiriens.

L’Amérique de Thomas Jefferson, l’Afrique du Sud de Mandela, La France de de Gaulle, la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny ont ce point commun : l’indépendance et la libération ne sont pas un aboutissement, ce sont les débuts d’un long travail qui doit permettre d’inventer ou de réinventer une nation. Que se passe-t-il après Houphouët-Boigny ? Le rêve d’unité nationale va se briser contre le mur des réalités ethniques et géographiques, jusqu’à la semi-partition du pays.
Le vrai débat, en Côte d’Ivoire, concerne aujourd’hui encore, comme en 1960, l’unité nationale, car il existe dans les esprits de nombreuses fractures dont le symbole est le développement inégalitaire des territoires.

Le danger est que le modèle ivoirien, imaginé et voulu par Houphouët-Boigny, se grippe. C’est ce qui s’est passé entre 1995 et 2011. Peu importe les responsabilités. On ne réécrit pas l’Histoire d’un point de vue moralisateur.

Aujourd’hui, le pays semble avoir retrouvé une certaine stabilité. Mais, la grogne sociale actuelle montre que l’équilibre est fragile. Les partis politiques au pouvoir sont discrédités. L’opposition n’est pas en mesure de proposer une alternative crédible. Les « noyaux durs » de chaque camp (Gbagbo ou rien, Ouattara ou rien, Bédié ou rien) occupent le terrain et saturent les réseaux sociaux. Aux législatives, surfant sur la vague du mécontentement, les candidats dissidents et/ou indépendants vont se multiplier. Les discours sur l’indépendance, convenus et ressassés, ne vont guère mobiliser les foules. Le débat sur la réforme de la constitution risque même si l’on n’y prend garde, de passer au-dessus de la tête des Ivoiriens qui semblent avoir d’autres préoccupations.

Pour être clair : le 7 Août 2016, les Ivoiriens n’attendent rien des discours convenus sur l’indépendance ou sur la réussite économique du pays. Certes, tous les voyants sont au vert. Et après ?

Le 7 Août 2016, il faudra dire autre chose.

Héritier d’un monde voué au chaos, acteur engagé dans une Afrique livrée à elle-même au lendemain des indépendances, nié dans son identité africaine, car il lui fallait servir le colonisateur, Houphouët-Boigny a su immédiatement, contrairement à de nombreux Chefs d’États africains de l’époque, construire un État-nation moderne.
Depuis son élection, Ouattara souhaite édifier une Côte d’Ivoire nouvelle et un Ivoirien nouveau, prolongeant ainsi le rêve d’Houphouët-Boigny qui voulait transcender, dans un État-nation moderne, la « Babel ivoirienne » composée de 60 ethnies ou tribus. Ce rêve, il faut le réinventer le 7 Août 2016, non pas comme idéologie ou comme abstraction, mais comme une réalité palpable. Ce rêve dont parlait Mandela du fond de sa prison et qui est de bâtir une nation doit avoir pour socle une croissance partagée et non pas des « voyants au vert ».

Christian Gambotti
Titre original : « A lire et à relire : Au-delà de la célébration de l’indépendance ».

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