En mars 2016, a paru le dernier essai d’Antoine Glaser, un autre prétendu spécialiste de l’Afrique. L’essai a pour titre Arrogant comme un Français en Afrique.
La première chose que je voudrais dire tout de suite, c’est que Glaser n’est pas le premier à stigmatiser l’arrogance de ses compatriotes. Avant lui, Romain Gubert et Emmanuel Saint-Martin avaient consacré au sujet un livre justement intitulé L’arrogance française . Si les deux journalistes décrivent l’arrogance française comme “une maladie à laquelle les Français sont très attachés : croire que la France se doit d’offrir au monde les Lumières, le Droit, la Liberté. Que leurs dirigeants sont porteurs d’un message forcément universel. Qu’eux-mêmes, à l’étranger, ne sont pas de simples voyageurs, mais autant d’ambassadeurs du talent, du goût, du charme français”, ils s’empressent toutefois de faire remarquer que “nos prêches, nos coups de menton, envolées lyriques et autres péroraison ont fini par lasser la planète. Pis encore : nous faisons rire. Et la France paie cher cette morgue dominatrice”. J’avais aimé lire ce livre pour la bonne et simple raison qu’il est porteur d’un aveu lucide et objectif, parce que les auteurs souhaitent ardemment que leur pays cesse de donner des leçons à droite et à gauche alors qu’il n’est pas un parangon de vertu et qu’il est le premier à fouler aux pieds les valeurs (liberté, respect des décisions du Conseil constitutionnel, indépendance de la justice) auxquelles il prétend être attaché.
Comme Gubert et Saint-Martin, Antoine Glaser critique cette France méprisante et arrogante. Il ajoute que la France gagnerait énormément si ses missionnaires, militaires, diplomates, politiques, avocats, hommes d’affaires et enseignants consentaient enfin à apprendre de l’Afrique.
Tout ceci est fort intéressant et touchant mais pas suffisant, à mon avis, pour enthousiasmer les Africains et les amener à croire à une mort ou à une disparition prochaine de la Françafrique. Pour le dire autrement, Glaser ne se prononce pas sur cette nébuleuse qui pendant 5 décennies a vampirisé l’Afrique francophone et enrichi tous les dirigeants français de la 5e République en même temps que certains chefs d’État africains à la solde de Paris. Nulle part, en effet, il ne remet en cause ce système violent et dévastateur. Il se contente plutôt de dire que son pays peut apprendre de l’Afrique. Mais on ne résiste pas à l’envie de lui poser la question suivante : comment l’Afrique peut-elle enseigner quand on a dit et écrit pendant longtemps qu’elle ne sait rien, quand elle n’est même pas capable de financer ses propres organisations, quand une partie de son argent est stockée dans les caisses du Trésor français, quand une monnaie de singe lui est imposée, quand elle ne peut choisir librement ses gouvernants ? Si le livre de Glaser pèche gravement, c’est à ce niveau : lorsqu’il laisse intacte la Francafrique qui a fait trop de mal aux ex-colonies de la France. Tout se passe, dans cet essai, comme si la Françafrique était un sujet tabou, comme si l’ancien patron de La lettre du continent voulait dire aux Français : “Vous pouvez continuer à piller les richesses des Africains, vous pouvez continuer à leur imposer vos vues pourvu que vous les écoutiez, pourvu que vous ne fassiez plus comme si vous saviez tout, pourvu que vous ne rechigniez plus à leur donner les visas d’entrée en France.” Pour moi, le problème qui se pose entre la France et l’Afrique francophone n’est pas juste de forme mais de fond. Je le résumerai de la manière suivante : les Africains sont fatigués de la Françafrique; ils ne veulent plus ni diktats ni conseils, ni propositions de la France (que les Français gardent tout cela pour eux-mêmes !); ils ne veulent plus que leurs richesses soient pillées par les multinationales françaises sans aucune contrepartie; ils ne veulent plus voir les soldats français violer des mineurs et parader tranquillement dans les rues chez eux.
Parce qu’il n’aborde pas ces questions pourtant essentielles, le livre de Glaser m’a laissé sur ma faim. Certes, l’auteur s’en prend à la morgue et à la suffisance de ses compatriotes. N’empêche qu’il ne va pas aussi loin que l’avocat Robert Bourgi qui, début juillet 2016, déclarait à VoxAfrica : “Je ne veux plus de financement politique [des partis politiques français] par les Africains, je ne veux plus que les chefs d’État africains soient choisis par l’ancienne puissance coloniale; je ne veux plus que les dirigeants africains soient choisis par l’ancienne puissance coloniale; je ne veux plus que les hauts fonctionnaires viennent ici faire génuflexion devant l’ancienne puissance coloniale. Les Africains aujourd’hui doivent êtrre maîtres de leur destinée; c’est aux peuples africains de désigner leurs dirigeants et c’est aux peuples africains de les révoquer, de les dégager… Je m’adresse aux Africains et indirectement aux dirigeants français .”
Glaser, lui, s’adresse uniquement aux Français, non pas pour que ces derniers mettent fin à un système aussi criminel qu’anti-démocratique, mais pour qu’ils continuent à avoir une mainmise sur l’Afrique francophone. Les souffrances et difficultés des Africains, il n’en a cure. On peut donc affirmer, et c’est par là que je terminerai, qu’Antoine Glaser peut être considéré comme un homme dangereux. Il est d’autant plus dangereux qu’il est en désaccord, non pas avec un système qui a causé trop de dégâts sur le continent africain, mais avec une certaine approche de ceux qui animent la Françafrique et à laquelle il appartient probablement.
Jean-Claude Djereke
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