Neuf ans de l’Union des nouvelles générations (Ung) –
Stéphane Kipré passe en revue les grandes questions nationales (Interview, larges extraits)
« Les conditions ne sont pas remplies pour passer à une autre République »
« Joël N’guessan a décidé de se ranger du mauvais côté de l’histoire en mentant honteusement »
Créée en 2007, l’Ung de Stéphane Kipré a neuf ans cette année. A cette occasion, le président fondateur a accordé cette interview à la presse ivoirienne. Il fait le bilan de son parti et décortique des sujets de la vie politique en Côte d’Ivoire
Votre parti, l’Union des Nouvelles Générations (UNG) a 9 ans. Quel bilan faites-vous de votre parcours ? Les objectifs à mi-parcours ont-ils été atteints ? Êtes-vous satisfait de l’implantation du parti ?
Notre parti a neuf ans en effet et comme toute œuvre humaine, il y a des imperfections et des motifs de satisfaction. Lorsque nous avons crée ce parti, notre objectif était de nous implanter partout en Côte d’Ivoire afin de porter le message qui est le notre. C’est à dire qu’une autre Côte d’ivoire où les ivoiriens, main dans la main travaillent au rayonnement de ce pays à partir d’un projet de société que nous avons appelé « Bâtir la Côte d’Ivoire des Nouvelles Générations » est possible.
Malheureusement, il y a eu la crise postélectorale contraignant plusieurs cadres de notre parti dont moi-même à l’exil et envoyant un autre groupe en prison par la volonté d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques par le régime Ouattara. Ce qui fait qu’en réalité, nous n’avons eu que trois années d’exercice politique, c’est-à-dire de 2007, année de création du parti à 2010, année de la crise.
Je suis cependant satisfait car à ce jour, nous avons relevé le premier défi qui est celui d’exister dans les conditions politiques que nous connaissons en Côte d’Ivoire. Vous avez du remarquer que plusieurs formations politiques ont disparu du fait de la violence politique orchestrée par les nouveaux tenants du pouvoir. Cependant, à l’UNG, nous avons su faire face et maintenir notre formation dans le jeu politique.
L’autre motif de satisfaction est que nous avons pu éviter à notre parti toute division et maintenir la cohésion en notre sein afin de mener le combat pour la libération du président Gbagbo, de tous les prisonniers politiques et le retour des exilés. En un mot, l’UNG joue pleinement sa partition dans le combat pour le retour de la démocratie en terre d’Eburnie.
Les populations adhèrent à notre démarche et à notre message et c’est bien pourquoi nous sommes représentés dans la majorité des départements de Côte d’Ivoire et continuons d’implanter notre vision à l’extérieur.
L’UNG a connu des aménagements techniques avec une nouvelle direction et un nouveau premier vice-président en la personne de Paul Arnaud Bohui. A quoi répond ce changement maintenant ?
Le principal objectif de ces réaménagements que vous soulignez est de mieux utiliser les ressources humaines à la disposition du parti. Avant Paul Arnaud Bohui il y a eu Etienne N’guessan et Allan Aliali que je voudrais féliciter pour le travail abattu. Ils avaient pour mission de gérer le parti au quotidien compte tenu de mon absence. Aujourd’hui, ce rôle échoit au camarade Bohui qui a une feuille de route que lui ont confié les militants lors de notre dernière convention à Daloa.
Allez-vous procéder au jeu des alliances en cas de participation ? Avec qui ?
L’UNG a ses alliés naturels qui sont le FPI et tous les partis et mouvements qui se revendiquent du président Gbagbo mais nous n’en sommes pas encore à l’étape de chercher des alliances électorales. Il faut d’abord rendre l’élection crédible, démocratique et ouverte.
Seriez-vous candidat de votre parti, l’Ung à la présidentielle de 2020 ?
Il faut déjà que je puisse rentrer en Côte d’Ivoire et pouvoir défendre mes opinions politiques sans me faire arrêter. Vous comprenez que votre question inverse les priorités.
Quand rentrez-vous en Côte d’Ivoire pour défendre vos positions politiques ?
Je suis prêt à rentrer en Cote d’Ivoire et même demain s’il le faut mais je ne suis ni kamikaze ni candidat volontaire à l’emprisonnement injustifié. Si l’on me montre maintenant un leader politique qui soit rentré sans se renier, sans renoncer à défendre ses convictions politiques et qui soit en liberté alors j’aurai la preuve que je peux aussi emprunter ce chemin…
Djékouri Aimé, ex-garde du corps du président Gbagbo est décédé à la MACA le 10 juin dernier, portant ainsi à cinq le nombre des prisonniers pro-Gbagbo décédés en prison. Quelle est votre réaction sur cette autre perte en vie humaine d’un autre proche du président Gbagbo?
C’est regrettable et sur cette question, ma position n’a pas varié. Il faut libérer tous les prisonniers politiques pour favoriser la réconciliation. Chaque détenu qui meurt en prison est un obstacle de plus sur le chemin de la paix et de la réconciliation. Il faut mettre fin à ces détentions arbitraires dès lors que M. Ouattara a prouvé son incapacité à mettre en œuvre une justice libre et équitable qui se pencherait sur tous les camps sans exception.
L’université a été secouée ces derniers temps par la descente punitive de la police contre les étudiants. Des organisations de défense des droits de l’Homme ont annoncé des blessés graves et même le viol d’étudiantes. Jusque-là aucune enquête n’a été ouverte pour faire la lumière. Le gouvernement a annoncé qu’il n’y a pas eu de viol d’étudiantes. Comment réagissez-vous à cette situation ?
Les problèmes de l’école ivoirienne sont sérieux et connus de tous. Il est regrettable qu’en lieu et place d’ouvrir une discussion sereine avec les acteurs du système éducatif, l’on préfère frapper les étudiants en appliquant les méthodes des années 90 qui ont échoué et contribué à embraser l’école. Dissoudre les syndicats estudiantins n’est pas la solution puisqu’ils ne sont pas le problème. Les syndicats sont la conséquence des problèmes non résolus depuis des années et qui agissent sur la qualité des diplômes décernés par nos établissements.
L’école va mal dans notre pays et il convient de ne pas se voiler la face en cherchant des boucs-émissaires.
Je suis solidaire des étudiants et j’appelle à leur libération car c’est absurde de se retrouver en prison pour avoir revendiqué de meilleures conditions de travail tandis que ceux qui ont détourné les fonds pour le rénovation de l’université de Cocody sont en liberté. Leur place n’est pas en prison mais dans les campus dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire de demain. Je suis aussi solidaire des enseignants et de tous les acteurs sociaux en lutte pour l’amélioration de leur condition de vie et de travail.
Lors de son audition à la Cpi Joël N’guessan, le 12ème témoin de l’accusation vous a cité à la barre comme étant votre oncle. Comment vous vous êtes senti de le voir témoigner contre le président Gbagbo et Blé Goudé ?
J’ai ressenti beaucoup de peine de le voir tomber aussi bas pour des questions politiques. Parce que Joël N’guessan, le président Gbagbo ne lui a fait que du bien et il le sait pertinemment. Pendant des années nous avons discuté de la crise ivoirienne et il sait ce qu’il me disait sur le chef de l’Etat actuel et cela est très loin des propos qu’il a tenus à la CPI. Mais les avocats de la défense ont fait un excellent travail qui a permis de mettre à nu les contradictions contenues dans ses propos.
Joël N’guessan n’est pas un homme crédible et le jour viendra où il offrira ses services pour faire aussi du mal aux gens qui l’ont mis aujourd’hui en mission. J’en suis sûr car quelqu’un qui cherche déjà à monnayer le compte-rendu de leurs réunions ira plus loin. Leur propre couteau se retournera contre eux.
Que retenez-vous de son témoignage et quelles leçons en tirez-vous pour l’histoire ?
Au-delà de son témoignage, je retiens le rôle qu’il a accepté d’endosser dans la traque judiciaire qui vise tous les pro-Gbagbo depuis 2011. Il est le seul cadre du RDR qui intervient dans tous les procès pour faire condamner des innocents et peut-être rassurer ses nouveaux amis de sa fidélité. Il a décidé de se ranger du mauvais côté de l’histoire de la Côte d’Ivoire en mentant honteusement parce qu’il sait que ce qu’il déblatère à longueur de procès est faux. Il sait que la version qu’il m’a donnée lorsqu’il a été secouru ce 8 avril est totalement différente de celle qu’il tient aujourd’hui. Pourquoi renonce-t-il à cette version aujourd’hui ? Lui seul peut vous expliquer ses motivations.
« Sans Simone Gbagbo je ne serais peut-être plus en vie », a déclaré Joël N’guessan face au juge. Que revêt pour vous une telle affirmation quand on sait l’obsession de l’homme à déconstruire l’image des Gbagbo ?
Même cette déclaration est mensongère car elle participe de la construction d’une histoire dans laquelle sa vie était menacée à la résidence présidentielle. Ce qui est totalement faux. Ceux qui ont sauvé la vie à M. Joël N’guessan, ce sont les soldats qui ont croisé son cortège ce 8 avril et l’on secouru.
Ce jour-là, si le cortège n’était pas arrivé à temps, il serait mort. Et encore une fois, je le répète, cette version est de lui-même. Donc la seule vérité est que la première dame ne lui a pas sauvé la vie car elle n’était pas menacée. Mais ce 8 avril, si le cortège n’avait pas reçu pour mission de venir me récupérer ainsi que le ministre Désiré Dallo en détresse chez lui à la 7ème tranche en passant par la CNPS, oui Joël N’guessan ne serait plus de ce monde.
A Abidjan, la Première dame, Simone Gbagbo, votre belle-mère est aussi jugée par le pouvoir Ouattara pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité. Comment vivez-vous avec votre épouse cette situation ?
C’est la première dame Simone Gbagbo qui est jugée et non ma belle-mère. Cependant, je trouve aberrant que l’on la juge pour des questions liées à la crise postélectorale alors qu’elle n’avait aucune responsabilité étatique. Le fait d’être l’épouse du président de la République ne fait pas d’elle un acteur de la crise que nous avons connue.
Mon épouse est tout autant peinée que moi mais elle a confiance que cette injustice prendra fin. Elle a un moral d’acier car elle a vu ses parents partir en prison à plusieurs reprises durant leur carrière politique. Elle est consciente qu’ils sont en mission pour faire triompher la vérité et redonner à la Côte d’Ivoire sa dignité. Nous nous soutenons mutuellement dans ces épreuves que nous inflige le régime de M. Ouattara
Pensez-vous que la pétition internationale lancée le 22 juin 2016 à Abidjan peut être un pas de plus vers la libération du président Laurent Gbagbo ?
Nous pensons que le procès du président Gbagbo est un procès politique. Dès lors, toutes les actions politiques sont les bienvenues pour faire entendre sa cause et exiger sa libération. Dans les démocraties, une pétition est le moyen de recueillir l’avis des citoyens sur un sujet bien précis le combat du président Gbagbo a toujours été d’user d’armes démocratiques pour faire triompher ses idées. Il faut donc saluer les initiateurs de cette pétition pour l’occasion qu’ils donnent aux ivoiriens de réaffirmer leur attachement au président et aux valeurs qu’il porte.
Dans une interview parue dans la presse ivoirienne fin 2015, vous aviez jugé inopportune une révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire tant que la réconciliation restait bloquée. Aujourd’hui, Alassane Ouattara ne parle plus de révision mais d’une refonte totale de la Constitution ivoirienne. Votre position a-t-elle évolué aussi ?
L’Union des Nouvelles Générations a produit une déclaration pour se prononcer clairement sur cette question. Nous estimons que les conditions ne sont pas remplies pour passer à une autre République puisque nous n’avons pas encore soldé les comptes de celle que nous vivons actuellement. Nous pensons que les priorités actuelles des populations ivoiriennes restent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux notamment : le règlement de la cherté de la vie, le règlement de l’insécurité (phénomène des microbes) et la réconciliation nationale.
Alassane Ouattara justifie cette refonte de la constitution par le fait que selon lui, l’actuelle constitution a été élaborée dans un contexte de crise. Que lui répondez-vous ?
Mais notre pays est toujours en crise ! Crise politique, crise économique et crise sociale. Dans notre pays, il y a encore des personnes en prison et en exil du fait de leur opinion politique. Il y a un camp qui terrorise tous ceux qui ne pensent pas comme lui.
Sortez dans les rues et demandez aux ivoiriens ce qu’ils pensent de la gestion du pouvoir par M. Ouattara. Vous verrez que ceux qui avaient cru en ses promesses fallacieuses vivent de grandes désillusions. Tout augmente dans le pays alors qu’il disait vouloir le pouvoir pour lutter contre la cherté de la vie. Nous vivons donc une crise politique, sociale et économique et c’est pourquoi nous invitons le régime actuel à se pencher sérieusement sur ces questions au lieu de faire du dilatoire.
Et d’ailleurs, depuis quand Ouattara a respecté la constitution actuelle ? Il la foule aux pieds dès qu’il en a l’occasion. Sa dernière bavure est la nomination du président du conseil économique et social alors qu’il est dit clairement que le premier responsable de cette institution est élu par ses pairs.
Que pensez-vous de l’initiative des 23 partis d’opposition contre le projet de nouvelle constitution ? Selon vous, est-ce une ruse pour aider Ouattara ou une volonté réelle de former un front du refus ?
C’est une bonne initiative que les partis politiques expriment leur refus d’escorter M. Ouattara dans cette reforme impopulaire et inopportune. Maintenant est-ce que ces personnes sont de bonne foi, l’avenir nous le dira. Toujours est-il que les ivoiriens sont assez matures pour comprendre où se trouve leur intérêt.
Depuis un certain, vous êtes la cible de deux cyber activistes pro-Gbagbo qui vous accusent d’avoir abandonnés les exilés et prisonniers politiques dans leur misère quand vous, vous êtes dans l’opulence ; de travailler contre la libération de Gbagbo et de diviser la famille pro-Gbagbo. Que répondez-vous de toutes ces accusations ?
Des pro-Gbagbo ? Non je ne crois pas ! Mais je pense que ceux qui le disent ne savent pas de quoi ils parlent et les preuves sont pourtant sous leurs yeux. Allez dans les camps de refugiés au Ghana, allez au Togo et au Benin et posez leur la question de savoir ce qu’ils pensent de ces accusations. Rendez-vous à la Maca et interrogez les prisonniers politiques ! Je fais ma part afin que nos compatriotes qui ont fui la Côte d’Ivoire ou qui se retrouvent injustement enfermés en prison depuis des années maintenant puissent vivre dans une certaine dignité.
A plusieurs reprises, des cadres du parti ont entrepris des tournées dans tous les camps de refugiés et dans les prisons du pays pour faire des dons en vivres et en non-vivres. Les preuves sont disponibles puisque la presse a rendu compte de ces tournées. Savez-vous combien d’ordonnances nous réglons sans forcement en parler sur la place publique ? Savez-vous combien d’enfants de prisonniers politiques et d’exilés nous scolarisons sans pour autant en faire de la récupération politique ?
En réalité, n’attendant pas des félicitations pour ces actions, je ne tiens pas non plus compte des commérages. Nous réglons beaucoup de choses sans forcement chercher à en tirer des lauriers en les mettant sur la place publique. En ce qui concerne le fait d’être à la base de la division supposée des pro-Gbagbo je pense plutôt que c’est une séparation comme dans toutes les luttes des peuples que l’histoire du monde nous enseigne entre les résistants et fidèles à la ligne et au leader et les collabos que l’envahisseur a toujours utilisé pour retarder l’aboutissement du combat.
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