[2e partie] «Constitution en Côte-d’Ivoire, nécessité pour la cohésion sociale ou manœuvre politique ?»

Pierre

Par Soumarey Pierre Essence du débat du 25-06-2016 sur Event News TV

Lire la 1ere partie ici

« REFORME DE LA CONSTITUTION EN COTE D’IVOIRE, NÉCESSITÉ POUR LA COHÉSION SOCIALE OU MANŒUVRE À VISÉE POLITIQUE. »

Deuxième Partie: De la manœuvre à visée politique

De prime abord, il convient de rappeler que le Président de la République est chargé de veiller au respect de la Constitution en vertu de son article 34, et qu’à se titre, il ne saurait s’en écarter. Il en a fait serment. Celui-ci le lie. Pour cette raison impérative, son respect des règles établies par la volonté souveraine du peuple Ivoirien, exprimée à travers la Constitution dont il s’est librement doté, ne saurait s’analyser, à priori, en une manœuvre politicienne. Sa modification doit pouvoir intervenir par les moyens pris dans la Constitution à réviser, elle-même.

Ensuite, l’on doit pouvoir admettre sans difficulté, le principe de la mutabilité d’une Constitution, parce que les contextes historiques et les sociétés évoluent, mais surtout parce qu’aucune génération n’a le droit d’assujettir aux lois qu’elle s’est donné, les générations futures. C’est dans cet esprit, l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que la Côte d’Ivoire indépendante a adopté dans son préambule, énonce qu’« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution ». Ce bloc de principes communs, fonde la légitimité de la démarche de la réforme entreprise. Elle ne s’aurait non plus s’analyser, à priori, comme une manœuvre politicienne, sous réserve de son contenu. Ce serait un procès d’intention.

Enfin, il existe une longue attente et un besoin maint fois affirmé, justifiant l’initiative. D’une part, les « Accords de Linas-Marcoussis » qui avaient obtenu, de manière consensuelle, l’approbation de toute la classe politique, avaient préconisé la modification de la Constitution actuelle. Ceux-ci avaient donc, naturellement vocation, à être intégrés dans notre Constitution. Cette attente, trouve en cette initiative, une occasion de se matérialiser, dans le texte en construction. D’autre part, la crise électorale de 2010, avait ruiné la confiance des citoyens dans leurs institutions. Dès lors, une réforme profonde et structurelle, de notre système judiciaire et de gouvernance s’imposait, d’autant plus qu’ils nous ont conduit à la guerre et à la division.

Ceci étant dit, le débat sur l’opportunité, le besoin, la méthode, les grandes lignes du contenu, peut désormais s’ouvrir.

L’opportunité : Il a été avisé et sage de ne pas engager de réforme durant la période post-crise immédiate, jusqu’à ce que le pays retrouve une certaine « normalité », que la fracture sociale se ressoude quelque peu, et que le Président de la République renforce sa légitimé à travers une nouvelle élection. En revanche, en l’état actuel du niveau de la réconciliation, dans l’intérêt de la démocratie plurielle et représentative, il serait plus opportun que le Référendum intervienne après la tenue des législatives de Novembre 2016, pour permettre à l’opposition de prendre toute sa place, dans le débat qui va s’engager au sein de la Nouvelle Assemblée Nationale, lors du vote de prise en considération, susceptible de déboucher sur des amendements. Un calendrier contraignant, alors qu’il n’y a aucune urgence, trahit des intentions inavouées, au nombre desquelles, celle de vite refermer la parenthèse du débat sur la révision, pour ne pas perturber outre mesure le programme de travail du Gouvernement. Ainsi, l’intention la plus apparente, serait de ne pas se laisser distraire par ce débat, souvent passionnel à l’excès, pour se consacrer davantage à la résolution des problèmes matériels de la population et du pays. Cet empressement serait un indice, confirmant cette lecture, car le Président Alassane Ouattara n’a qu’un seul rendez-vous en 2020, celui du bilan de ses deux mandats. Il n’y joue pas le sort de son avenir politique. Il l’a plutôt clairement indiqué. Dès lors, il est beaucoup plus libre et serein pour scruter l’horizon d’une Côte d’Ivoire, paisible, stable, prospère et moderne. Celle qu’il veut façonner et laisser à la postérité, comme héritage. Ceci ne veut pas dire qu’il ne nourrit pas d’autres idées. Elles ne sont tout simplement pas observables à ce stade, en l’absence de la connaissance du contenu précis et détaillé du projet de révision, et par ailleurs, nous ne pourrons jamais accéder à toutes les pensées qui animent réellement son initiative, car nous n’avons pas le pouvoir de visiter sa conscience. C’est aussi un homme et un politique.

Le besoin :

Notre Constitution a mis en évidence des contradictions internes (exemple : « La République de Côte d’Ivoire….assure à tous l’égalité devant la Loi, sans distinction d’origine, ….. » Art. 30 et plus tard, pour les critères à l’éligibilité à la magistrature suprême « ….Il doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes d’origine Ivoirienne), des concept dépourvus de toute notion juridique (exemple, le concept d’origine, notion historique, qui n’a aucun fondement scientifique, en tant que commencement absolu d’une chose, par opposition au concept juridique de la nationalité, qui renvoie lui, véritablement à des notions politiques, géographiques, sociales et culturelles), conflits entre différentes branches du droit, alors qu’elles découlent de la Constitution, qui en est la source, dont elles doivent assurer l’expression (exemple : exemple le Code électoral lie l’éligibilité à la Présidence de la République à la possession de la qualité d’électeur « Tout Ivoirien qui a la qualité d’électeur peut être élu président de la République … » Art. 48, or, le Code de la nationalité, définit la qualité d’ivoirien, au titre de la nationalité d’origine, comme étant : « l’enfant légitime ou légitimé, né en Côte d’Ivoire, sauf si ses deux parents sont étrangers » Art. 6 Nv

Il y a donc un véritable besoin de réconcilier l’Ivoirien avec sa Constitution et ses institutions, de recréer la confiance dans son rapport à la République, et d’assurer plus de cohérence aux institutions et entre les textes existants. Il convient de sortir d’une Constitution de crise, taillée sur mesure et à visée politique, pour la rendre non seulement impersonnelle et générale, mais pour l’étendre et l’approfondir en d’autres directions, telles que la décentralisation, l’administration des collectivités territoriale, la gestion du foncier, l’indépendance et la qualité de la Justice, la définition du rôle et des attributions des institutions nouvelles, la suppression de celles dont l’efficacité n’est pas prouvée, souvent inutilement budgétivores et de complaisance. Il y a un besoin de doter l’État d’une capacité lui permettant de faire face aux défis de la mondialisation et des menaces qu’elle porte également. Ces besoins sont réels, certes politiques, mais essentiellement techniques. Dès lors, on ne saurait soupçonner une manipulation obéissant à des motivations personnelles et politiques. La Côte d’Ivoire a en effet besoin de rentrer dans la modernité, et de tourner la page d’une histoire et d’une génération. Elle a besoin d’un outil pertinent et neutre, qui soit au-dessus de la politique politicienne et des luttes de pouvoir.

La méthode : Il est incontestable, que celle-ci doit être inspirée par une essence, démocratique et sociale, sans pour autant sortir du Droit. C’est affirmer le principe intangible de notre République. Nous avons pu observer une première étape, à travers une vaste consultation de la classe politique et de la société civile. La forme très solennelle de celle-ci, l’a privé de sa substance véritable, la discussion. L’échange se limite à une séance d’information, suivi d’une présentation des désidérata des uns et des autres. Il faut attendre désormais le document de synthèse, pour faire un bilan d’étape, afin d’évaluer et mesurer la capacité d’écoute du Président de la République. Celui-ci du reste, n’a pas encore indiqué la méthode chronologique et graduelle qu’il entend mettre en oeuvre pour conduire son initiative. Il est donc prématuré de porter un jugement.

Dans un post récent, j’ai suggéré un schéma, dont je rappelle ici, les étapes et leur objet:

a) – Élaboration du projet : Il est nécessaire de tirer tous les enseignements de notre jeune histoire constitutionnelle (élimination des germes de conflit qu’elle porte, définition des concepts et terminologies utilisés, cohérence des textes, comblement des faiblesses et silences, amélioration qualitative des exigences de qualification à l’éligibilité, rééquilibrage des pouvoirs, etc…). Aussi, il n’est pas impératif de se précipiter dans sa rédaction. Il serait hautement recommandé de prévoir une contre-expertise (Avis du Conseil Constitutionnel, examen critique du texte par des consultants externes au Comité, tel que le Professeur Wodié dont on ne saurait se passer des compétences pour un travail de cette envergure, et étude d’impact sur le fonctionnement des institution, puisque nous ne pouvons pas faire de simulations grandeur nature). L’objectif à rechercher est de ne laisser désormais aucune place à l’interprétation, aux querelles, et aux incohérences (textes et institutions)

b) – Examen du Projet par l’Assemblée Nationale et vote de prise en considération : La Constitution est muette sur la manière dont doit s’opérer ce vote à l’Assemblée Nationale. Aussi la procédure ordinaire semble la plus indiquée (par exemple, session extraordinaire prévue à l’article 63), pour s’en tenir à la lettre de notre Constitution. Cette prérogative revenant à l’Assemblée, il serait souhaitable que cette phase intervienne après les législatives à venir, en vue de permettre un véritable débat contradictoire sur le texte, dans la mesure de la place que l’opposition pourrait y trouver. Ceci garantirait à la fois la représentativité de toutes les sensibilités politiques significatives du pays, et la légitimité du processus, conformément à l’esprit de la démocratie représentative, retenu par notre Constitution (« chaque député est le représentant de la nation entière… » Art. 66).

c) – La diffusion à grand tirage du Projet : Cette opération est indispensable pour permettre au peuple de s’approprier le projet, de s’en imprégner suffisamment pour le comprendre dans toutes ses dimensions. Il est important que le peuple s’y retrouve, se sente concerné, associé au processus, afin de s’impliquer davantage.

d) – Campagne de mobilisation et de sensibilisation : Celle-ci intervenant juste avant le Référendum, elle permettra d’organiser le débat public (radio, TV, Journaux, Réseaux sociaux, places publiques, conférences, débats, proximité), d’expliquer le projet au peuple, de l’informer des changements intervenus et de leurs conséquences (Gouvernement, partis politiques, journalistes, députés, organisations de la société civile,…). Il s’agit de couvrir toute l’étendue du territoire national par cette activité. C’est en cela que « Les Partis et Groupements politiques concourent à la formation de la volonté du peuple et à l’expression du suffrage. » (Art 14)

e) – Contrôle de la régularité des opérations du Référendum et proclamation des résultats.

Prérogative dévolue au Conseil Constitutionnel. Celui-ci n’ayant qu’une compétence attributive, il ne pourra ni contrôler la constitutionnalité des dispositions contenues dans le texte révisé, ni contrôler la conformité des procédures de sa mise en oeuvre. On peut le regretter. Dès lors, il lui appartiendra de donner le résultat du vote, après avoir vérifié sa régularité et son exactitude matérielle.

Considérant ces 5 étapes, un délai minimum de 8 à 10 mois semble nécessaire, en notant que la phase 2 ne débutera qu’après l’installation de la nouvelle législature, et qu’il sera nécessaire de mobiliser des ressources financières conséquentes, non budgétées, du fait du découplage du Référendum, des législatives, comme initialement prévu.

L’esquisse des grandes lignes du projet : En l’état des indications fournies par le Président de la République lui-même, le projet augure d’un véritable bouleversement. Sans reconnaître formellement la radicalité de la réforme envisagée et son caractère inédit, dont l’amplitude est telle, qu’elle se confine en un projet d’une nouvelle constitution. Dès lors, celui-ci n’est donc pas sans poser un problème de droit, comme l’a souligné avec raison, le Professeur Wodié, car, et je le cite « La Constitution en vigueur ne règle que les problèmes liés à sa révision, dès lors qu’il s’agit de procéder à l’établissement d’une nouvelle constitution, la question sort du champ juridique et pose essentiellement un problème politique ». Toute la question, est de savoir si le Président de la République entend innover par rapport à la tradition constitutionnelle antérieure, en insérant son projet d’une nouvelle constitution dans le cadre d’une procédure de révision pour ne pas sortir du Droit, en l’absence de règles écrites relatives à l’instauration d’une nouvelle constitution. Ce serait à la fois une légitimité constitutionnelle placée au dessus de la Constitution écrite, et une négation du principe de la mutabilité de la constitution de 2OOO, au motif qu’elle ne prévoit pas l’instauration d’une nouvelle constitution, lui conférant ainsi un caractère permanent, n’admettant que sa révision et non son changement. Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante, mais elle a le mérite d’adosser l’opération au Droit, tout en le forçant. Ceci est suffisant pour qu’elle soit acceptable dans l’intérêt de la paix et de la cohésion sociale, puisque cette lacune peut être comblée à l’occasion de la révision ou dans le temps

Dès lors, une partie de l’attention s’est focalisée sur le contenu des innovations envisagées, essentiellement sur cinq points : 1- l’extirpation des dispositions confligènes. 2- Les intérêts de pouvoir, dans la perspective d’un schéma successoral et de la suppléance de la vacance du pouvoir. 3 – L’équilibre des pouvoirs dans le cadre de la séparation de ceux-ci. 4 – La répartition du pouvoir au sein de l’exécutif et du parlement et leur rôle et attributions respectives. 5 – La limitation des mandats.

Tandis qu’une autre partie, de façon particulièrement audacieuse, propose de déduire du caractère totalement novateur du projet, des motifs suffisants pour s’opposer au libre exercice du pouvoir constituant dérivé, pour le passage de l’ancienne constitution à la nouvelle. Cette proposition se caractérise par le fait qu’elle préconise une transformation des règles de révision, qui tendrait à instituer, plusieurs degrés d’intensité dans les reformes qui peuvent être engagées, permettant de les qualifier, soit de révision soit de nouvelle constitution. Cette problématique n’étant pas résolue par la constitution à réviser, au regard de ces nouvelles conditions de fonds, il devient nécessaire de recourir au pouvoir constituant originaire, dont la suprématie ne saurait être contestée. Force est de constater, qu’en droit strict, cet argument paraît discutable. Il est difficilement acceptable de créer des contraintes juridiques qui n’ont pas été expressément prévues par le constituant originaire lui-même, et de vouloir les imposer. Il y a là un risque de dérive, qui nous fait sortir du champ juridique, avec ce type de règles non écrites. Or, chaque fois que nous en sommes sortis du droit, nous avons connu la guerre, à tout le moins, des troubles sociaux, la violence et le désordre. Dès lors, l’accent doit être mis sur la méthode, tout en restant dans le cadre de l’ordonnancement constitutionnel actuel, avec ses lacunes et ses faiblesses, qui pourront ou plus exactement devront, être révisées dans ce sens, avec le souci de répondre à cette problématique.

En conclusion, j’ai la faiblesse de croire qu’un homme d’État, possède la capacité de s’élever au dessus de sa personne, des intérêts partisans, et de calculs politiciens. En conséquence, j’ai la faiblesse de croire aussi, que le Président Ouattara semble être davantage habité par l’idée et la vision qu’il a de la Côte d’Ivoire. Celle qu’il veut façonner et léguer à la postérité. Peut-il le faire de manière autocratique ? Tout dépend de la pédagogie de son action et du projet que sous-tend cette vision. Or, à ce niveau il a un triple handicap. L’un résultant de sa carrière et de son parcours international, qui développe chez lui une propension à vouloir trop s’aligner aux standards internationaux en ignorant la force, l’étendue, et la profondeur des réalités locales. Les uns parlent à ce sujet, d’attrait immodéré pour les gadgets et le superflu (politique de séduction), les autres parlent d’emprunt excessif aux modèles extérieurs (politique de convergence vers des standards occidentaux et internationaux). Le second résulte d’une déformation professionnelle de banquier (voir et lire tout à travers des chiffres) et de sa formation d’origine de technicien, qui ne le prédispose pas à la communication, de type populiste. Le troisième découle de la durée de son éloignement du territoire national, qui l’a mentalement formaté, dans sa façon de voir et de concevoir le bon fonctionnement d’une société, qui peut s’avérer en décalage avec celle de la communauté qu’il dirige. Ces handicaps peuvent se transformer en atouts, au bénéfice de sa gouvernance et du peuple Ivoirien, en ce qu’il apporte quelque chose de fondamentalement nouveau, à ce qui existait. La controverse sur ses intentions et ses motivations personnelles, a peu de valeur, dans la mesure où chacun pourra se prononcer sur le projet. En revanche, si j’avais une opinion à formuler, je dirais plutôt que l’accélération du calendrier, peut laisser supposer que le Président Ouattara, souhaite d’avantage, laisser la conduite des affaires au vice-président et au premier ministre, avant la fin de son deuxième mandat. Ce serait le seul calcul que je lui prêterais, pour le reste, allant à la fin de son mandat, au soir de sa vie, je crois qu’il n’aura pas d’état d’âme, pour ne considérer l’intérêt général et supérieur de la Nation. C’est une opportunité de plus qui lui est offerte, d’entrer positivement dans l’histoire, s’il sait la saisir.

SOUMAREY Pierre Aly
Auditeur, Essayiste.

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