Par Soumarey Pierre
Essence du débat du 25-06-2016 sur Event News TV
«REFORME DE LA CONSTITUTION EN COTE D’IVOIRE, NÉCESSITÉ POUR LA COHÉSION SOCIALE OU MANŒUVRE À VISÉE POLITIQUE.»
Première Partie : De la cohésion sociale.
La nécessité a des implications linguistiques et philosophiques, qu’il convient de clarifier au préalable. Ce terme nous renvoie à une catégorie modale, dont la logique, conduit à établir d’entrée, une vérité, qui ne peut être contredite, par opposition à une contingence, qui est une simple possibilité, admettant la contradiction. En effet, la nécessité est ce qui ne peut pas ne pas être. Ce qui ne peut pas être autrement. Elle possède un caractère de vérité universelle. Par voie de conséquence, ce caractère de nécessité donne une certaine force au mouvement de revendication qui se fait entendre actuellement de la part d’une frange de l’opposition. Cette situation de fait, soulève un questionnement. La problématique à ce niveau, est de savoir s’il s’agit d’un discours thématique dont la rationalité tente de dissimuler une exigence de l’opposition au moyen de ce débat, ou au contraire s’il s’agit de l’essence d’un principe général, duquel se déduit une raison suffisante de croire possible, l’apparition de cette cohésion sociale, au moyen de la révision constitutionnelle envisagée ? Dès lors, cette proposition thématique, repose implicitement sur 3 paradigmes :
1 – Le premier paradigme, est que la réforme constitutionnelle, dans le contexte de la Côte d’Ivoire actuelle, ne peut avoir pour fonction et finalité, que d’assurer la cohésion sociale, ou tout au moins, doit être obligatoirement orientée dans cette perspective. Si par cohésion sociale l’on entend la réconciliation, c’est poser aussi le principe, que la réalisation de celle-ci, impose la Révision de la Constitution. Il s’en suit par voie de conséquence, que l’absence de cette dernière est la source de la désunion des Ivoiriens.
Si cette assertion ne souffre d’aucune discussion, sur le point, qu’une Constitution est un instrument qui contribue à l’équilibre et au bon fonctionnement d’une société, et que cette dernière est au cœur de la crise que nous avons connu, il ne demeure pas moins, que sa contribution à cet objectif, n’est pas de nature à garantir, à elle seule, la cohésion sociale recherchée, à un point tel, qu’elle pourrait en être l’entière condition de sa réalisation.
2 – Le second paradigme est que l’exercice du pouvoir constituant institué, dans le cadre d’une profonde réforme constitutionnelle, comme cela semble le cas, requiert obligatoirement en amont, la participation du corps social à l’élaboration de son écriture, en vue de parvenir à une cohésion sociale, au motif que celle-ci favorise l’émergence d’un consensus, aussi bien au niveau de la mise en œuvre de l’initiative, que de l’adoption du projet. Cette nécessité tirerait sa légitimité, du principe de l’unité indivisible de la nation (Art. 30), en tant que fondement supérieur de celle-ci, dont le caractère est en une certaine manière, intangible.
Il apparaît tout de suite, que la sollicitation à l’excès, de l’application de ce principe non écrit, conduit à établir une contrainte, non prévue par la Constitution elle-même. En tant que cette dernière exprime la volonté souveraine du peuple, il est difficile de lui opposer par la suite, la volonté de l’une de ses parties, qui favoriserait l’écart aux normes, par elle établies. Une telle déviance, correspond à une tentative de contrôle social, de type informel, de la part de certains leaders d’opinion ou groupes politiques, qui produisent et participent à la fabrication de règles, qu’ils estiment de leur point de vue, normales, nécessaires, voire obligatoires, au point de vouloir les imposer à l’ensemble du corps social. C’est une culture délinquante, au sens strictement juridique du terme, contraire à la cohésion sociale, en ce sens qu’elle favorise la désorganisation sociale, au lieu de renforcer les liens qui unissent une société, autour de normes acceptées et respectées par tous, pour en assurer l’homogénéité.
Il sera observé par ailleurs, que toutes les révisions constitutionnelles en Côte d’Ivoire, tire leur origine d’une initiative du Président de la République. Dès lors, l’entreprise de la révision actuelle, n’est pas une exception d’un point de vue historique, qui puisse justifier une procédure exceptionnelle, qui nous sorte du périmètre du Droit. Ceci pose in fine, le problème de la culture politique et démocratique de nos leaders politiques, et de la juridicité de nos sociétés, au regard de leur attachement à la règle de droit. L’on pourrait y voir l’origine des crises politiques qui secouent, hélas, régulièrement le continent Africain. La cohésion sociale implique une coresponsabilité de tous les acteurs de la vie nationale (pouvoirs, leaders politiques, militants, partisans, médias, simples citoyens). Le contraire serait de la démission et de l’irresponsabilité.
3 – Le troisième paradigme nous conduit à constater, que les règles qui régissent les relations entre les entrepreneurs politiques, sous le rapport du partage du pouvoir, sont source de cohésion ou de division sociale.
L’analyse de ce paradigme, à partir du référentiel politique traditionnel, fait écho à la confiance verticale, que l’on peut avoir envers les institutions, et la crédibilité qu’on accorde aux règles qui régissent le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels, pour garantir la cohésion sociale. De fait elle oblitère la dimension horizontale de celle-ci, appréhendée sous le rapport des liens pouvant exister entre citoyens lambda, communautés, appartenances, organisations, et territoires.
Ces observations nous conduisent à constater des clivages, des références divergentes, dans la définition même, du concept de cohésion sociale, qui ne saurait se résumer, à la négociation ou la discussion, entre le pouvoir constituant institué et des groupes, soient-ils représentatifs, ou significatifs, ou encore légitimes, pour impliquer et traduire cette cohésion sociale. Pour la raisonnement, en dépit de la similitude de vue qu’elle pourrait éventuellement susciter, celle-ci ne serait que l’entente d’une classe sociopolitique, d’une élite, sur un sujet précis et limité, à un moment donné, à l’exclusion des autres citoyens, composant la communauté nationale de base, autant dire le bas peuple.
Les divergences qu’on observe, trouvent elles des explications pertinentes ? Le cas échéant, sont elles irréductibles ? Pour tenter, sinon de contourner ces contradictions, du moins d’éclairer un tant soit peu, le débat, il me paraît utile de mener trois différents types d’analyse. 1- Circonscrire la définition que nous voulons donner au concept de cohésion sociale. 2 – Identifier les limites du libre exercice du pouvoir constituant, tels que résultant à la fois de la Constitution et de la tradition historique de la Côte d’Ivoire. 3- En conclusion et en fonction des deux premières analyses, l’on pourrait s’interroger sur la nature de la réforme constitutionnelle, pour déterminer si elle correspond effectivement à une nécessité visant la cohésion sociale, ou au contraire, à une manœuvre à visée politique.
a) Définition de la cohésion sociale
La cohésion sociale, est le lien de sens, entre le corps social et la conscience collective d’une communauté nationale. Cette définition fait écho au vécu, en tant qu’elle découle de l’expérience des relations sociales, telles que le vit concrètement un peuple : solidarité, confiance dans les relations interpersonnelles, équité dans la redistribution des richesses, égalité de chances et de traitement, égalité d’accès aux fonctions et services publics, liberté d’expression et d’opinion, socialisation des individus par le travail, protection des droit de la personne humaine, niveau d’éducation des populations, inclusion, transparence et intégrité morale dans la conduite des affaires, justice, intégration territoriale, fraternité, conditions d’épanouissement, paix, sécurité, participation aux projets et décisions, synergie des intelligences, acceptation collective des normes culturelles, sociales et juridiques. Lorsque ces relations et situations sont vécues de manière positive, il y a cohésion sociale. Ce sont elles qui tissent le fondement d’un vivre ensemble harmonieux. Celle-ci relève donc, plus de la situation réelle de la société ivoirienne, que d’une circonstance, soit–elle, la réforme de la Constitution. C’est cette articulation des relations, interpersonnelles, communautaires, territoriales, institutionnelles, juridiques, sociales, culturelles et économiques, qui fonde la cohésion sociale, en fonction de leur intensité et de leur nature.
Dès lors, il y a intérêt commun à ce que ces relations soient vécues de la meilleure des façons et dans la meilleure des intelligences. Aussi, il s’évince de cet impératif, un objectif à atteindre, par le moyen d’une politique de cohésion sociale, qui en devient réellement la condition nécessaire à sa réalisation. Celle-ci peut se résumer en la capacité d’un État à garantir le bien-être de tous, à travers une politique de lutte contre la discrimination, les disparités, les inégalités, l’injustice, la corruption, les abus de pouvoirs, les passe-droit, l’insécurité, le chômage, etc.
b) – Limites imposées au libre exercice du pouvoir constituant institué.
L’identification des limites au libre exercice du pouvoir constituant institué ou dérivé, ne rencontre aucune difficulté majeure, si l’on s’en tient strictement aux données résultant de la Loi fondamentale et de la tradition en la matière, en faisant abstraction de considérations d’ordre politique ou du contexte historique de l’initiative en cours.
Sur le plan formel,
La Constitution fait réserve des circonstances dans lesquelles la révision ne peut intervenir. « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. … » Art 127. En cas de vacance « … Le Président de l’Assemblée nationale, assurant l’intérim du Président de la République ne peut faire usage des articles 41 alinéas 2 et 4, 43, et 124 de la Constitution. ». Au titre du régime de transition de l’ancien ordre juridique à la pleine entrée en vigueur de l’actuelle Constitution, « … le Président de la République assumant la transition ne peut, en aucune façon et sous quelque forme que ce soit, modifier la Constitution, … » Art 129. En dehors de ces limitations liées aux circonstances, le pouvoir constituant institué s’exerce dans le respect des règles de procédure définies par les articles 124, 125, et 126.
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée Nationale. » Art 124. Cette disposition laisse à penser que cette initiative est partagée entre les parlementaires et l’exécutif. Ici les deux organes concernés jouissent à égalité, du pouvoir constituant. Cette légitimité est tirée du suffrage universel Aussi, « Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté par l’Assemblée nationale à la majorité des 2/3 de ses membres effectivement en fonction. » Art 125. Dès lors, que cette initiative provienne de l’exécutif (projet de révision) ou du législatif (proposition de révision), le texte doit être voté à la majorité de la 2/3 de l’Assemblée Nationale, pour être pris en considération. Il en découle, qu’en voulant maintenir la rédaction de son texte initial, ou en refusant de prendre en compte les amendements de l’autre, chacun des organes investis du pouvoir constituant, peut bloquer la révision, du fait de l’enlisement des discussions ou d’une absence d’accord sur les termes de celles-ci. Dans l’éventualité où la procédure « de prise en considération » menée devant l’Assemblée Nationale échoue, le Président de la République ne peut avoir recours au référendum sans reprise à la base du projet.
Ce n’est qu’une fois cette formalité accomplie auprès de l’Assemblée Nationale, que peut intervenir, sous l’empire de l’article 126, l’adoption définitive de la révision, qui pose une double condition de fonds. « …..Est obligatoirement soumis au référendum le projet ou la proposition de révision ayant pour objet l’élection du Président de la République, l’exercice du mandat présidentiel, la vacance de la Présidence de la République et la procédure de révision de la présente Constitution. Le projet ou la proposition de révision n’est pas présenté au référendum dans toutes les autres matières lorsque le Président de la République décide de le soumettre à l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le projet ou la proposition de révision n’est adopté que s’il réunit la majorité des 4/5 des membres de l’Assemblée nationale effectivement en fonction. … » Art 126.
Il existe quelques incertitudes ou interprétations divergentes sur la portée réelle de ces textes, quant aux étapes de la procédure à suivre. Une analyse textuelle consistant à isoler les textes les uns des autres n ‘est pas acceptable pour en dégager tout le sens, car elle supprime de fait les liens de sens, qui les parcourent. Il existe une solidarité et une complémentarité des textes, qui assurent la cohérence du titre XIV de notre Constitution, et éclaire sa compréhension. Il en découle que la mise en œuvre de l’initiative de Révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire s’opère sur 3 phases:
De prime abord, placée sous le régime de l’article 125, quelle que soit la nature de celle-ci, présidentielle (projet de Révision) ou parlementaire (proposition de Révision), elle requiert, pour sa prise en considération, un vote de l’Assemblé Nationale, prononcé à la majorité de 2/3, soit 66%.
Ensuite, en fonction des matières qui y sont traitées, et conformément à l’article 126, deux procédures sont prescrites pour son adoption, soit la voie parlementaire, soit la voie référendaire. Suivant la première, elle est à nouveau soumise au vote de l’Assemblée Nationale, qui peut alors l’adopter définitivement, à la majorité des 4/5, soit 80%. La seconde, la voie Référendaire, requiert également pour son adoption définitive un vote à la majorité absolue des suffrages exprimés, soit 51%. On pourrait leur donner la dénomination générique de procédures d’adoption, à la différence de la procédure de prise en considération. Que faut-il entendre par là ? Pourquoi cette distinction ?
Certains estiment qu’un projet de révision élaboré par le Président de la République, peut être directement soumis au Référendum, sans que l’Assemblée Nationale ne le prenne en considération, par un vote à la majorité des 2/3. Cette lecture est contestable, car en distinguant ces 3 modalités, avec des conditions différentes (quorum de 66%, 80%, 51%), et des désignations terminologiques différentes (vote de prise en considération, procédures d’adoption (parlementaire ou référendaire), la Constitution institue, non seulement l’indépendance et l’autonomie de ces opérations, mais les hiérarchise. On peut regretter qu’il n’existe pas d’organe juridictionnel, chargé du contrôle de conformité des limitations d’ordre procédural, à l’exercice du pouvoir constituant dérivé dans l’actuelle Constitution. Celui-ci n’affecte pas sa souveraineté par rapport à la définition du contenu du projet de révision. On peut espérer que ce besoin trouve une réponse dans la Constitution révisée.
Sur le plan matériel :
L’énoncé des limites d’ordre matériel opposables au pouvoir constituant institué, pourrait être, extrêmement bref, dés lors que l’on choisit de s’en tenir strictement au Droit. En effet, la seule limite de fond expressément prévue par la Constitution est énoncée à l’article 127 : « La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision », étant précisé que celle-ci est « démocratique et sociale » (Art.30).
Conclusion partielle :
Il est manifeste, dans l’esprit de la Constitution, une logique de démocratie représentative clairement affirmée. Dès lors, la démocratie semi-directe, que certains souhaitent voir s’instaurer à l’occasion de la révision constitutionnelle, n’y a pas place. L’introduction de mécanismes de démocratie directe, permettant d’associer en aval, la société civile et politique à l’élaboration du projet de révision, avec le pouvoir d’intervenir directement sur son contenu, est contraire à la philosophie de notre Constitution. Il convient de rappeler aussi, que la logique de démocratie représentative est la même qui prévaut pour l’élaboration des lois ordinaires, et que la Constitution est d’abord une loi, même si elle est la Loi Fondamentale. Preuve en est qu’elle est publiée par un Décret d’application, au même titre qu’une loi ordinaire ( Cf. Art 42 et 128). Dès lors, la participation directe des citoyens à l’élaboration des lois, est une procédure exceptionnelle, et non la norme. Elle ne figure pas dans l’ordonnancement constitutionnel de notre pays.
Cependant, force est de constater, que le Référendum qui fait appel à une démocratie directe, procède d’une technique binaire (votation par oui ou non / pour ou contre) qui n’offre aucune possibilité d’amendement et de sélection. En matière contractuelle on parle de contrat d’adhésion, on accepte le tout ou on rejette le tout, sans autre possibilité laissée au consentement donné. Qu’est-ce qui pourrait plaider pour cette exception ? Le contexte historique au regard des nombreuses convulsions qui l’ont marqué et déchiré le tissus social ? L’importance de dresser un bilan collectif de ces crises à répétition pour en tirer tous les enseignements ? L’absence d’une représentation parlementaire de l’opposition, n’entache-t-elle pas, le caractère démocratique et inclusif de la réforme envisagée ? Le Président peut-il objectivement mener tout seul cette réforme, au motif d’une « normalité » retrouvée, alors qu’elle n’est pas effective ? Si l’on peut être sensible à ces arguments, comme c’est personnellement mon cas, ces motivations paraissent alors tout à fait recevables, mais pourraient trouver des réponses satisfaisantes, dans la méthode utilisée pour sa mise œuvre, à l’intérieur du cadre juridique, et non en dehors. Nous y reviendrons plus en détail. Néanmoins, il convient de souligner, que l’existence d’une opposition, ne signifie nullement absence de cohésion sociale. C’est là, l’une des caractéristiques d’une démocratie, elle lui est même nécessaire, sinon il nous faut retourner au régime du parti unique, pour espérer rencontrer un consensus, qui s’assimile à une unanimité. À l’inverse, J’observe que le parti Leader, affirme une différence marquée par sa philosophie, son idéologie, et sa vision, qu’il assume, mieux qu’il revendique. C’est la preuve que la différence, n’est pas attentatoire à la démocratie, c’est elle précisément, qui justifie la conquête du pouvoir. En effet, pourquoi vouloir le pouvoir si on a rien à proposer comme changement, comme vision ? Dans cette perspective, notre préoccupation centrale devrait être la force et la stabilité des institutions pour accueillir et survivre à de telles alternances. La contestation systématique, c’est le refus de toute autorité, même celle de la loi. Elle est plus proche de l’anarchie que de la démocratie.
Deuxième Partie : De la manœuvre à visée politique [à lire prochainement]
Commentaires Facebook