L’Église catholique en Côte-d’Ivoire se cherche un accent culturel africain

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Loup Besmond de Senneville (à Abidjan, Côte d’Ivoire)

Un colloque international réunit depuis lundi 28 juin à l’Institut catholique de Paris plusieurs dizaines de théologiens venus du monde entier, pour réfléchir au « dialogue des rationalités culturelles et religieuses ». Enquête en Côte d’Ivoire, où la question du dialogue entre univers culturels et religieux différents, entre rites traditionnels et foi chrétienne est omniprésente.
Cathédrale Saint-Paul à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

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C’est une fête qu’elle tente de ne jamais manquer. Chaque mois d’octobre, Marie-Yvonne Daté, 45 ans, quitte Abidjan pour rejoindre la province voisine d’Agnéby, au nord de la capitale ivoirienne.

Professeur de biologie, elle fait partie de l’ethnie Abé, et accorde une grande importance à une cérémonie qui marque chaque année le début des récoltes : la fête des ignames. Le village célèbre ainsi les premières pousses de ces tubercules très utilisées dans la cuisine ivoirienne.

Et pourtant, Marie-Yvonne ne participe qu’à une partie des festivités, qui s’étendent sur trois jours. L’an dernier, une nouvelle fois, elle a refusé de se rendre à la rivière, pour y adorer le génie qui y habite.

« Je suis catholique. Et il m’a toujours semblé que l’on ne peut pas à la fois adorer le Dieu des chrétiens et faire des offrandes à d’autres esprits. » Ses parents et elle ne guettent donc pas les « présages » des divinités de la rivière pour l’année qui vient.
Beaucoup mélangent culte catholique et religions traditionnelles

Le tiraillement vécu par Marie-Yvonne est caractéristique de ce que vit une grande partie des catholiques de Côte d’Ivoire, si ce n’est du continent. Et cette mère de famille d’Abidjan, membre de l’Opus Dei, confirme que beaucoup de ses proches mélangent régulièrement culte catholique et religions traditionnelles, malgré les tentatives de l’Église pour résister à ce syncrétisme. Dans son village, les prêtres célèbrent d’ailleurs la messe, au moment où les villageois se rendent à la rivière.

« Tout l’enjeu est de savoir si une cérémonie traditionnelle est compatible avec l’Évangile », explique le P. Jean Sinsin Bayo. Ce théologien, originaire du sud-ouest du pays, et ancien doyen de l’Université catholique d’Afrique de l’Ouest, est spécialiste des fêtes et rites traditionnels.

Pour définir cette compatibilité, il décrit un processus très fin, mettant en jeu des ressorts spirituels, mais aussi anthropologiques et sociologiques. « Tout rite vise à permettre à une communauté de mieux vivre. Partant de ce constat, le travail de l’inculturation consiste à saisir le principe d’un rite, pour voir s’il peut avoir un sens chrétien. Il ne s’agit pas simplement d’une adaptation matérielle. C’est plus profond. »

Une influence réciproque

Si les sacrifices, comme l’offrande d’un poulet ou des premières ignames, peuvent effectivement poser problème au regard de la foi, ce n’est pas le cas de pratiques comme les danses. C’est pourquoi ce spécialiste de l’inculturation s’oppose au « remplacement pur et simple » de rites traditionnels par des cérémonies chrétiennes.

L’influence entre rites chrétiens et traditionnels est d’ailleurs réciproque. Aussi le diocèse du P. Sinsin Bayo a-t-il mis au point, sous l’impulsion du cardinal Agré, évêque du diocèse entre 1968 et 1992, une cérémonie d’ordination prenant en compte des gestes traditionnels.

« Le candidat au sacerdoce va s’asseoir au fond de l’église, avec ses parents, et c’est un griot (1) qui l’appelle au nom de l’évêque. Il se lève, entouré de ses proches, et s’avance aux premiers rangs. Aux côtés du griot, tous représentent une communauté qui l’accompagne pour un rite initiatique. »
« Le Christ est un éléphant »

Autre geste fort de la célébration : un enfant jette de la cendre sur le prêtre, tout juste ordonné. « C’est ce qu’on fait pour introniser les chefs traditionnels, explique le P. Sinsin Bayo. Le chef est un dépotoir : c’est lui qui reçoit tous les déboires de sa communauté, mais ne doit rien en dire. Il doit tout accueillir en silence. Il en va de même du prêtre. »

Depuis le milieu des années 1980 et les travaux du dominicain français René Luneau sur la « christologie africaine », la figure du Christ peut également avoir pris des accents africains, en étant parfois présenté comme un guérisseur, ou encore comme un maître d’initiation. « On dit aussi que le Christ est un éléphant, complète le P. Bayo. Quand l’éléphant passe, il n’y a plus de rosée derrière lui. En ce sens, le Christ est celui qui ouvre la route. »

Pour les spécialistes, il n’y a, derrière ces discussions, ni « revanche culturelle sur l’Occident », ni « adaptation pure et simple d’un christianisme européen ». « C’est à chaque évêque africain de désigner un prêtre pour étudier en profondeur les rites locaux et faire des propositions », préconise le P. Bayo. « Ce travail de longue haleine est indispensable si nous voulons à la fois garder notre identité africaine, et nous tourner sincèrement vers Dieu. »

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Un congrès à l’Institut catholique de Paris

Un congrès sur le « dialogue des rationalités culturelles et religieuses » réunit à Paris, depuis lundi 27 et jusqu’à jeudi 30 juin, plusieurs dizaines de théologiens et de chercheurs du monde entier.

« Comment les univers culturels et religieux se rencontrent-ils et dialoguent-ils alors que leur approche rationnelle et leur appréhension du monde est singulière ? », interrogent les auteurs de la présentation du congrès.

Parmi les tables rondes, plusieurs abordent spécifiquement les questions liées à l’Afrique : notamment sur les « rationalités culturelles africaines », sur « les défis de l’inculturation », et sur la « pratique du dialogue en Afrique ». Les résultats feront l’objet d’un numéro de la revue Concilium.
Loup Besmond de Senneville (à Abidjan, Côte d’Ivoire)

(1) Communicateur traditionnel en Afrique occidentale.

http://www.la-croix.com/Religion/Monde/En-Cote-d-Ivoire-l-Eglise-au-defi-de-l-inculturation-2016-06-27-1200771805

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