Béchir Ben Yahmed, patron du magazine panafricain Jeune Afrique, écrivait ceci dans sa chronique « Ce que je crois » de l’édition du 22 au 28 mai 2016 : « Au début du mois de mai, le Fmi a publié la version française de son rapport semestriel sur les perspectives économiques de l’Afrique subsaharienne. Se départant de sa légendaire prudence, il y affirme que ‘‘ l’activité économique a nettement ralenti, que la croissance, qui était tombée en 2015 au plus bas niveau depuis le début du siècle, devrait ralentir encore en 2016, pour se situer à 3% l’an.’’ C’est à peine plus que la croissance démographique. Autant dire que c’est la stagnation économique pour la majorité des pays, une petite progression pour les plus chanceux et les mieux gouvernés, et la régression pour ceux, très nombreux, hélas, qui sont mal gouvernés. La raison principale en est la baisse des prix des produits du sous-sol africain : ils sont moins demandés par ceux qui les importaient, en particulier la Chine, et l’excédent financier africain avec ce pays s’est transformé en déficit. » Et M. Béchir Ben Yahmed de conclure que l’afro-optimisme dans lequel tout le monde baignait ces dernières années était bâti sur du sable. Faut-il vraiment désespérer du continent noir ? C’est aller trop vite en besogne. Il est vrai que la forte croissance que l’Afrique dans son ensemble avait connue ces dernières années était essentiellement tirée par la vente des matières premières, notamment le pétrole, dont les prix avaient atteint des sommets il y a quelques années, avant de retomber à de très bas niveaux. Les pays dont l’économie dépend fortement des exportations de l’or noir broient véritablement du noir en ce moment, au point que le Nigeria, présenté comme la première économie du continent, en est réduit à dévaluer sa monnaie. L’autre grand exportateur de pétrole qu’est l’Angola connaît lui aussi de gros problèmes du fait de la chute des cours de ce produit. Les prix des autres minerais de notre continent que la Chine consommait tels que le cuivre, le manganèse ou le fer sont aussi en chute libre, du fait du ralentissement de l’économie chinoise.
Que faut-il faire pour échapper à la stagnation, et tenir la promesse de l’émergence qu’ont faite presque tous les Présidents africains ? Pour Béchir Ben Yahmed, il faut soit la chance, soit la bonne gouvernance. Oublions vite la chance et parlons de la bonne gouvernance. Elle est plus que jamais une exigence, pour qui veut vraiment émerger. Pour émerger, il nous faudra de bonnes infrastructures, une agriculture diversifiée qui permette à nos pays de se nourrir, c’est-à-dire une agriculture qui ne serait donc pas accaparée par les produits de rente ou d’exportation, et un début de transformation de nos matières premières. Nous oublions très souvent que les pays industrialisés ont d’abord commencé à se nourrir eux-mêmes, puis à vendre le surplus de leurs productions. Tant que nous ne serons pas autosuffisants sur le plan alimentaire, c’est-à-dire que tant que nous ne dépendrons plus de l’extérieur pour nous nourrir, l’émergence sera une illusion. Pour doter nos pays de bonnes infrastructures, transformer nos matières premières, nous nourrir, il nous faudra beaucoup de capitaux financiers, et un capital humain bien formé. Pour obtenir des capitaux, il faut inspirer confiance. Cela veut dire que le climat des affaires doit être totalement assaini et la corruption traquée dans tous les secteurs. La Côte d’Ivoire a mis en place un certain nombre d’institutions pour arriver à inspirer cette confiance. Ainsi nous avons la Cour arbitrale qui permet de régler les litiges commerciaux sans passer par la justice, et aussi la Haute autorité à la bonne gouvernance. Cela a permis à la Côte d’Ivoire de remonter dans le classement des pays pour ce qui est du climat des affaires et de la perception de la corruption. Mais il est évident que nous avons encore de gros efforts à faire pour que la confiance soit au niveau maximal. Poursuivons les efforts, continuons de dégrossir notre pierre brute et nous y parviendrons.
L’autre élément important pour arriver à l’émergence est la formation du capital humain. Il est temps que nous sortions de ce modèle de formation qui est beaucoup plus basé sur la théorie plutôt que sur la pratique. Il nous faut plus de jeunes qui, à la fin de leurs études, savent faire, au lieu de jeunes gens qui savent simplement. Il nous faut des jeunes qui savent construire des maisons, des routes, des ponts, produire des bananes et de l’igname de façon moderne, fabriquer des fauteuils, des portes, des ordinateurs, des téléphones, des voitures, des jus de fruits, de bissap, etc. En clair, il nous faut des gens qui savent quoi faire de leurs dix doigts. Et en cela nous saluons la nouvelle vision du Chef de l’état sur la formation professionnelle que le ministre Paul Koffi Koffi est chargé de mettre en musique. Il l’a longuement exposée dans notre tribune « L’invité des rédactions » et nous publions les échanges qu’il a eus avec les journalistes dans nos éditions de ce jour et de demain. Ses propos nous rassurent sur notre capacité à émerger, comme promis par le Président de la République.
Venance Konan
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