Côte d’Ivoire
Lettre ouverte au Président de la République
A Son Excellence
Monsieur Alassane OUATTARA
Président de la République de Côte d’Ivoire
Monsieur le Président de la République,
C’est avec un esprit constructif et dans le plus grand respect de votre personne et de votre fonction que je me permets, par devoir et en ma simple qualité de citoyen lambda, de vous faire connaître par la présente, en guise de contribution aux échanges que vous avez initiés avec certains acteurs de la vie sociopolitique, ma part de réflexion sur le projet d’élaboration d’une nouvelle constitution en vue de la création d’une nouvelle république. M’arrogeant donc virtuellement le privilège de vos invités qui ont eu l’insigne honneur de s’adresser ouvertement et publiquement à vous en prenant quelques fois à témoin l’opinion nationale et internationale à travers les medias, j’ai cru devoir m’inscrire dans la même ligne. Aussi, ai-je choisi de m’adresser à vous à travers cette lettre ouverte.
Monsieur le Président de la République,
Il semble, sur la foi des rapports des medias ainsi que des déclarations et autres indiscrétions, qu’au terme de vos consultations, le principe d’une nouvelle constitution soit acquis, même si un désaccord profond vous opposerait quant à la procédure engagée pour y parvenir. Ma position à moi, celle des nombreux ivoiriens dont je porte la parole, se singularise en ce qu’elle ne porte ni sur la procédure, ni sur le fonds, mais sur le principe même d’une nouvelle constitution et donc de l’avènement d’une nouvelle république en ce moment précis de l’histoire de notre pays. Je laisserai donc volontiers le débat juridique que je trouve, sous l’angle de la position que je défends, de toute façon trop précoce, aux experts qui du reste s’en donnent déjà à cœur joie. Je m’attacherai donc fondamentalement et essentiellement à l’opportunité d’une telle réforme au regard même du contexte et de la cohérence des engagements pris devant la nation.
En effet, Monsieur le Président de la République,nul, mieux que vous, n’a une plus claire vision de la situation sociopolitique actuelle de notre pays. Toutefois, il peut être tout à fait concevable que de votre position, certaines situations vous apparaissent ou vous parviennent tronquées ou totalement déformées dans leur netteté et acuité réelles. A contrario, le petit peuple, celle de ‘’en bas de en bas’’ dont je vous porte ici la parole, dans les faiblesses et les limites de sa position, a l’avantage de vivre les situations dans leur réalité brute. C’est avec cette excuse que je veux me permettre quelques rappels en situant la réalité du contexte actuel telle que vécue par les ivoiriens dans leur grande majorité. Cette situation, contrairement à ce que l’on aurait été en droit d’attendre au regard de vos efforts et des performances de notre économie, n’est pas reluisante. Certes nous ne sommes plus dans le précipice de mars-avril 2011 mais les défis actuels revêtent un caractère tout autant dramatique. Oserais-je vous faire une quelconque démonstration en la matière ? La cherté de la vie aggravée désormais par la rareté des denrées alimentaires, la menace de la famine et la terreur des nouvelles formes d’insécurité qui défient toute la société, constituent les préoccupations majeures des ivoiriens. Toutefois, le grand souci de tous demeure l’impératif de la réconciliation nationale. Le constat le plus frappant en effet, reste la division profonde dans la société ivoirienne. Cette division touche aussi bien le corps social que l’échiquier politique qui présente aujourd’hui un visage des plus hideux avec le déchirement et l’émiettement de la quasi-totalité des formations politiques qui comptent. Elle est réelle et profonde et ne saurait être appréciée sous le prisme de la politique politicienne. Les différentes consultations organisées depuis la crise postélectorale l’ont clairement démontrée et je sais que vous êtes assez avertis pour ne pas vous fier à l’apparence des chiffres ‘’officiels’’ en réalité destinés à l’opinion. Car derrière l’esthétique de ces chiffres dont la magie ne peut que forcer le respect de nos experts en technologie électorale, la réalité, vous le savez certainement aussi bien que moi, est tout autre. Il suffirait de sauter le vermis sur ces chiffres pour mieux appréhender la situation et comprendre que les législatives, municipales, régionales et les Présidentielles dernières, par leurs exceptionnels taux d’abstention, ont toutes envoyé un seul et unique message : les ivoiriens sont profondément divisés sur la marche de leur pays.
Monsieur le Président, ce message, vous l’avez si bien compris et tellement bien compris que dans votre esprit bien ordonné, vous déclariez solennellement lors de votre dernière investiture ceci et je vous cite :
‘’C’est dans ce contexte et conformément à la vision de la Côte d’Ivoire que je viens de partager avec vous, que je vais, dans les prochaines semaines, prendre deux grandes initiatives.
Tout d’abord, Nous devons renforcer notre processus de réconciliation nationale, par de nouvelles consultations que j’entreprendrai avec la CONARIV et les Autorités traditionnelles de notre pays. Ce processus nous permettra d’accélérer la réconciliation des filles et des fils de notre pays. Dans ce contexte, j’invite tous mes compatriotes, particulièrement les femmes et les hommes politiques, à saisir cette nouvelle opportunité de rassemblement de notre Nation.
Ensuite, le deuxième grand point, nous devons nous munir d’une nouvelle constitution qui doit garantir l’égalité de tous, la cohésion nationale, et la stabilité de nos Institutions. ‘’
Voilà les deux grands engageme nts que vous avez pris ce 03 novembre 2015 en prenant fonction pour votre dernier mandat devant la nation.
D’abord la réconciliation nationale, ensuite la nouvelle constitution.
Voilà ce qui arracha dans l’intégrité et la sincérité de mon cœur les vives félicitations que je vous adressai ce jour à l’occasion de la chaude poignée de mains dont vous me fîtes l’honneur. Oui Monsieur le Président, tel est bel et bien le bon ordre, telle est la juste cohérence de ces deux engagements. Aussi, sauf à considérer que cette réconciliation est déjà faite, ce qui à l’évidence n’est pas le cas, vous ne pouvez passer à une nouvelle République au moment où :
Les populations restent divisées,
Une partie de la population et non des moindres ne se sent pas concernée par les consultations électorales,
Plusieurs dizaines de milliers de vos compatriotes se trouvent en exil et d’autres en prison,
Tous les partis politiques se trouvent curieusement tous émiettés et en crise de légitimité ou de légalité.
Dois-je vous rappeler votre noble engagement du rassemblement des filles et des fils de la nation autour de la République ? Et votre promesse de ne laisser aucun citoyen au bord de la route ?
Monsieur le Président,
L’unité et l’indivisibilité sont des attributs sacrés d’une république. C’est dans cette unité et dans cette indivisibilité que le peuple exerce sa souveraineté. Aucune partie du peuple, ni aucun individu, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale tout comme il ne saurait y avoir une république des pros-Ouattara et une des pros-Gbagbo. Depuis la disparition du père de la nation, le Président Félix Houphouët BOIGNY, paix à son âme, jusqu’à ce jour, en passant par le boycott actif de 1995, le coup d’Etat de 1999, la partition du pays consécutive à la rébellion de septembre 2002, la tragédie de mars-avril 2011, notre pays n’a jamais aussi mal porter sa promesse de patrie de la vraie fraternité et la république n’a jamais autant failli à sa vocation de rassemblement et d’intégration de ses fils et de ses filles. Bâtir la nation ivoirienne, voilà le grand chantier et le grand rêve de FHB. Au-delà du développement qu’il voulait harmonieux pour tout le pays, il avait un souci scrupuleux de la cohésion sociale et de l’unité nationale qu’il s’attelait, sur les bases d’amour, de fraternité et de tolérance, à construire patiemment, sagement et méthodiquement à travers un savant brassage des peuples. Ses armes étaient le dialogue, le pardon et la paix. Monsieur le Président, après ces longues années de confrontations fratricides, tel est me semble-t-il, l’œuvre dont la poursuite est la plus attendue par les ivoiriens, pour reprendre leur marche triomphale vers leur destin glorieux et par Houphouët BOIGNY, pour s’offrir enfin un repos paisible de son âme dans la félicité du Père. Cela passe d’abord et avant tout par la réconciliation nationale dont nous attendons, comme promis, le nouveau plan. Vivement ! Car quand après une crise aussi grave, la réconciliation est reléguée au rang des préoccupations secondaires, l’on expose fatalement le fruit des efforts et les quelques acquis à l’annihilation et le pays tout entier, aux soubresauts aux conséquences connues.
Certes, Il est légitime et même humain que chacun veuille marquer son passage par son empreinte et de façon indélébile, mais n’est-il pas plus judicieux de poser, comme un sage architecte, les fondements solides, quitte à laisser les successeurs bâtir dessus un édifice solide et durable, plutôt que de se précipiter pour le voir s’écrouler à la moindre intempérie ?
Bien entendu, l’avènement d’une nouvelle république sera nécessaire mais à mon sens, pas avant que nous ayons réussi la réconciliation des filles et des fils de la nation. Je pense en effet que Nous ne pouvons pas créer une nouvelle république pour y transporter nos sempiternelles querelles. Réglons d’abord nos problèmes et retrouvons nous ensuite en nouvelle république pour y travailler main dans la main pour la construction de la nation ; telle est la logique de la position que je défends et qui s’inspire des leçons du passé que nous devons toujours garder en mémoire comme vous le conseillait du reste, le Président du conseil constitutionnel et je cite : ‘’Pour toutes ces raisons, Excellence, Monsieur le Président de la République, le Conseil constitutionnel soutient votre initiative de modification de la Constitution. Il souhaite que, tenant compte des erreurs du passé, cette révision se fasse dans les meilleures conditions de transparence possibles afin que, lors du référendum à venir, le peuple ivoirien sache avec précision le contrat social qui lui est proposé, et se prononce donc en parfaite connaissance de cause, et qu’au final, nul n’ait le sentiment désagréable d’avoir été entrainé malgré lui dans un traquenard’’.En effet, la constitution de 2000, même votée à l’appel unanime des acteurs à 86% n’a pu éviter le chaos à notre pays.
Cela dit je ne verrais aucune objection sur le principe d’une simple révision ou modification n’aboutissant pas à une nouvelle république.
Nouvelle république d’accord, mais réconciliation d’abord.
Telle est notre position, telle est la suggestion que j’avais à cœur, de vous faire au nom de l’impérieuse nécessité du Pardon, de la Réconciliation nationale et de la Paix en Côte d’Ivoire.
Vous en souhaitant bonne réception, veuillez croire, Monsieur le Président de la République, en l’assurance de ma très haute considération.
KONAN Kouadio Siméon
Candidat aux élections Présidentielles 2010 et 2015
Président du mouvement Initiatives Pour la Paix (IPP)
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