PRAO YAO SERAPHIN
«La provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds»
(Bertolt Brecht)
Après la conférence de la Baule, en 1990, le vent de la démocratie avait soufflé sur le continent africain. Mais depuis les années 2000, c’est plutôt l’ouragan de la modification des constitutions qui ravage l’Afrique. Les experts sont unanimes pour reconnaître trois causes au retard du sous-continent noir. Il s’agit des élections truquées, du népotisme et de la corruption. A côté de ces trois causes, il est possible d’ajouter la modification des constitutions africaines comme une quatrième cause explicative du retard des pays africains. Les exemples sont légions. En Mauritanie, la modification de la constitution en 1991 a permis à Ould Taya de rester au pouvoir jusqu’à son renversement par coup d’Etat en août 2005. En Guinée, la constitution a été modifiée en 2002 dans l’intention d’autoriser le feu Président Lansana Conté à se représenter, à la fin de son second et dernier mandat aux élections présidentielles. En Tunisie, la constitution a été modifiée également en 2002 pour permettre au Président, Zine Ben Ali de se représenter à l’élection présidentielle de 2004 qu’il a remporté pour un quatrième mandat avant la révolution. On peut citer également la modification de la constitution au Togo, en 2003, ce qui a permis à feu Eyadema de se faire réélire pour un troisième mandat de cinq ans, au terme de 36 années de pouvoir jusqu’à sa mort en 2OO5. En Ouganda, la médication constitutionnelle de 2005 a permis le maintien de Yoweri Museveni au pouvoir depuis sa victoire militaire contre le régime en place en 1986. Au Tchad également, la constitution a été modifiée en 2005 et a permis à Idriss Deby Itno à se maintenir au pouvoir depuis son coup d’Etat de 1990. Au Burkina Faso, la tentative de modification constitutionnelle a emporté le pouvoir de Blaise Compaoré en 2015. On peut s’arrêter à ces exemples car la liste est longue. Nous abordons dans ces lignes, le cas ivoirien.
Le régime Ouattara et le changement de constitution en Côte d’Ivoire
Pour le président Ouattara, la constitution actuelle est mauvaise. C’est pourquoi, il se propose de la changer. Mais ce qui est étonnant, c’est qu’il a appelé à voter « Oui » pour cette constitution. Et la constitution de juillet 2000 a été votée à plus de 86% du corps électoral. En 2000, la classe politique ivoirienne n’a pas joué le rôle qui lui était assigné. En effet, les ivoiriens ont fauté dans leur ensemble lorsqu’il s’agissait d’écrire la constitution de 2000. Au lieu de réfléchir à l’écriture d’une constitution reflétant l’histoire et le « projet ivoirien », on a pinaillé sur les conjonctions « et/ou ». En effet, lorsqu’il s’est agi de rédiger une constitution et un code électoral, les hommes politiques et, plus inquiétant, les membres de la société civile se sont livrés à une véritable foire d’empoigne pendant de longues semaines. Pinaillant à satiété sur des conjonctions de coordination au lieu de chercher à s’entendre sur un texte conciliateur.
C’est ainsi que l’on a vu la plupart des intellectuels ivoiriens se ranger sans trop barguigner derrière des positions partisanes, quitte à trahir la fonction première qui leur est dévolue et qui est censée faire d’eux des vigies, voire des éveilleurs de conscience. Aujourd’hui, le régime actuel souhaite changer la constitution pour dit-on éviter d’autres rebellions au pays. Une constitution se change et c’est parfaitement conforme à l’Etat de droit. Une constitution peut se changer assez souvent, dès lors que les procédures sont respectées et que la révision s’effectue dans les formes républicaines. D’ailleurs, toute constitution étant une œuvre humaine, elle est faite pour être adaptée à l’évolution de la société. On peut distinguer entre ce qui pourrait s’apparenter à une révision structurelle, consistant en une refonte profonde du texte constitutionnel et une révision conjoncturelle liée à la politique. Dans le cas ivoirien, la révision voulue par le président Ouattara est purement politique donc conjoncturelle.
La constitution est l’émanation de la volonté populaire
Deux procédés de modifications sont possibles : la révision par voie référendaire et celle effectuée par le parlement en exercice .Cette dernière formule est la plus utilisée. La raison en est simple : la majorité présidentielle coïncidant avec la majorité parlementaire, le tour est vite joué, comme au Cameroun en 2008. Si rien n’interdit à ce que le législateur modifie, complète ou abroge les dispositions législatives antérieures, le droit de l’État, cependant, doit se concilier avec l’Etat de droit .En principe, la souveraineté du peuple ne peut être entamée que par le peuple lui-même. Ce que le peuple a fait, il lui appartient, de le défaire, en retour. En Côte d’Ivoire, la procédure pour l’adoption d’une nouvelle constitution est viciée. Il n’appartient pas au comité d’experts nommés par le Président de la république de proposer un nouveau contenu de la future constitution. Cette tâche revient au peuple ivoirien qu’on peut résumer par la société civile et aux politiques. Il n’est pas possible de passer d’une 2eme à une 3eme République sans associer le peuple ivoirien. C’est lui qui doit décider de tout, donc des questions de fond et les hommes de droit s’occupent de la forme et non du fond.
Une nouvelle constitution comme la création de la CDVR
Le président Ouattara n’a jamais écouté le peuple ivoirien depuis qu’il est au pouvoir. Par exemple, la création de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) est née sans associer le peuple comme en Afrique du Sud. En effet, la CDVR a été officiellement instaurée en septembre 2011 et c’est l’ordonnance n°2011 -167 du 13 JUILLET 2011 qui spécifie les attributions, organisation et fonctionnement de la CDVR. En Côte d’Ivoire, la CDVR n’a pas eu l’onction du peuple mais d’un homme : le président Ouattara. La CDVR était dépendante du Président de la république et la suite on la connait car elle a lamentablement échoué.
Pour sa nouvelle constitution, le président Ouattara a mis en place un groupe d’experts chargé de sa rédaction. Dans le même temps, il semble diriger les débats en indiquant les parties à changer. Finalement, on se pose la question de savoir pourquoi nommer un groupe d’experts ? On le voit bien dans le cas ivoirien, c’est l’exécutif qui se charge d’élaborer le projet de constitution et le soumettre, après, à l’appréciation du peuple. Cette méthode, est démocratiquement incorrecte. Selon le juriste Kouao Geoffroy, elle exclut, en amont, le peuple pour s’en référer en aval. A l’analyse, nous nous éloignons du référendum pour nous rapprocher du plébiscite qui est une parodie démocratique. A l’opposé, le mode démocratique, lui, suppose la mise en place d’une Assemblée constituante souveraine ou non. C’est cette Assemblée, désignée par le peuple, qui est chargée d’élaborer la constitution et l’adopter si elle est souveraine, ou de la soumettre au peuple pour l’adopter ou rejeter par référendum dans le cas où elle est assemblée non souveraine
Le temps n’est pas propice au changement constitutionnel
La Côte d’Ivoire est un pays divisé. La fracture sociale est visible même si les autorités actuelles pensent le contraire. Le rattrapage ethnique et la volonté du régime Ouattara a instauré une république nordiste, ont fini par créer dans le cœur des ivoiriens, la division. Pendant ce temps, de milliers d’ivoiriens sont en exil et d’autres en prison. Dans un tel contexte, le changement de constitution n’est pas opportun. Après toutes ces crises et leurs séquelles, le consensus est indispensable et nécessaire avant l’élaboration d’une autre loi fondamentale. C’est donc dire qu’il faut d’abord apaiser le pays avant de penser à une nouvelle constitution. Une grande partie des ivoiriens est exclue de la république, aller à une nouvelle république sans cette partie, serait suicidaire pour l’avenir du pays. La constitution n’est pas une chose banale, c’est l’âme d’un pays, c’est à la fois le concentré de l’histoire d’un peuple et la plateforme de ses espérances.
En plus selon le professeur Wodié, les dates annoncées pour le referendum sont irréalistes pour un travail objectif. La précipitation est une mauvaise conseillère.
Le peuple de Côte d’Ivoire ne restera pas silencieux
La démarche actuelle du régime Ouattara est incompréhensible. Cette volonté de vouloir s’éterniser au pouvoir par un bidouillage constitutionnel n’est pas acceptable. Alors en campagne pour un deuxième mandat, le président Ouattara assurait qu’il n’était pas habité par le démon du troisième mandat. Il a même promis à la présidente de la commission de l’union africaine qu’il ne se représentera plus à la fin de son deuxième mandat. Aujourd’hui, cette volonté du président Ouattara de « tuer » l’âme de notre pays n’est pas tolérable. Ce changement constitutionnel est une technique d’établissement de la monopolisation du pouvoir par le chef de l’Etat et un instrument de pérennisation du système politique actuel. Mais qu’on n’oublie pas qu’un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. Pour éviter des lendemains douloureux à notre pays, il faut mettre sur pied une commission consultative qui va regrouper toutes les forces vives de la nation. En effet, cette nouvelle constitution sera un contrat social avec le peuple ivoirien c’est pourquoi il doit être associé en lui donnant la possibilité de s’exprimer en amont.
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