Gohi Huges Arnaud publié en collaboration avec Libre Afrique
Une seule personne de moins de 35 ans au gouvernement, moins de 10% de jeunes au Parlement ivoirien. Pourtant, près de 70% de la population ont moins de 35 ans et la liste électorale est dominée par les jeunes. Ces derniers constituent donc l’essentiel de la population ivoirienne et de l’effectif des partis politiques. Seulement, ils peinent à occuper des postes conséquents, en dépit de leur ferveur et de leur engagement en politique. Ce paradoxe est inquiétant et suscite de vives interrogations. D’aucuns proposent la discrimination positive via les quotas pour améliorer la représentativité politique des jeunes. Est-ce pertinent ?
Les partisans du système de quota avancent plusieurs raisons pour justifier son adoption. D’abord, Ils estiment que les quotas sont correctifs d’une irrégularité et qu’il n’existe d’autres alternatives que de forcer la réparation des disparités par le système de quotas qui permet d’obtenir rapidement l’équilibre que l’on désire atteindre. Le système aurait donc l’avantage de l’efficacité. Ensuite, ils soutiennent que l’inscription des quotas dans la loi aiderait à contourner la résistance traditionnelle. Certains dirigeants politiques sont hermétiques aux discours et à la sensibilisation en faveur d’une approche-jeunes. Pour eux, un poste politique est l’aboutissement d’une longue lutte et n’est par conséquent réservé qu’aux personnes d’un certain âge qui jouissent d’une présomption d’expérience et de compétence. Ils s’appuient même sur des proverbes africains qui dénotent de l’encrage socioculturel du mal comme : « Un vieillard assis voit plus loin qu’un jeune homme debout », « Les enfants savent courir, mais ne savent pas se cacher », etc. Autant de proverbes infantilisant la jeunesse et lui ôtant tous soupçons de responsabilités. Les quotas permettraient alors de passer outre ces préjugés et d’imposer les jeunes. Enfin, les jeunes promus par le système de quotas pourraient constituer une vitrine, des modèles, des références, qui aideraient la société à réaliser que la jeunesse peut diriger et motiver ainsi les jeunes à s’engager davantage en politique.
Ces arguments, bien que partant de bonnes intentions, sont discutables. Loin d’être une solution, le système de quota est problématique et pourrait bien être la porte ouverte à l’incompétence et à l’irresponsabilité. En effet, les postes occupés dans cette configuration ne relèvent pas de la compétence, mais de l’obligation. Il est clair que la nécessité de l’application de telles lois déboucherait sur l’émergence de personnes dont le seul mérite est d’être dans la tranche d’âge définie par les textes.
De même, ce système renforce le soupçon sur les politiques car l’accès au poste sera dévalorisé même pour ceux qui ont la compétence, puisqu’aux yeux des citoyens ils ont eu leur poste grâce au quota. Le soupçon sur la compétence est l’odieux corollaire des politiques de discrimination positive.
Dans la même veine, ce système n’est pas forcément un bon signal donné à la société. En effet, la faible responsabilisation sociale est due, en partie, aux pesanteurs, clichés, préjugés sociaux. Ceux-ci ne disparaitront pas parce que l’on impose des jeunes à certains postes. Cependant, il est difficile d’apprécier la valeur et le mérite d’une autorité qui, loin de résulter d’une appréciation de ses capacités, ne l’est qu’en faveur de l’application de la contrainte du quota. Au final, l’effet recherché est complètement inverse et l’admiration recherchée fait plutôt place à l’accentuation des résistances à la responsabilisation des jeunes.
En outre, dans un tel contexte, le quota fixé risque, plutôt que d’être un nombre planché, de devenir un chiffre plafond. En d’autres termes, si le mal n’est pas traité à la racine et que l’on se borne à définir un nombre de jeunes à certains postes, la dynamique de responsabilisation peinera à s’enclencher et le nombre de jeunes ne dépassera pas celui prévu par les textes. Le système de quotas ne s’attaque donc pas au mal, il ne fait qu’en couvrir les symptômes puisque l’on traite une discrimination avec une autre discrimination. Cela nourrira le ressentiment de ceux qui ne bénéficient pas de telles mesures de discrimination positive et donc, avoir l’effet inverse que celui recherché.
Par ailleurs, le système de quotas est injuste puisqu’il piétine le principe d’égalité de tous devant le droit. En effet, il réserve un certain nombre de sièges à une catégorie définie : les jeunes, ceci au détriment des autres couches sociales. En d’autres termes, en voulant régler le problème de responsabilisation politique des jeunes, le système de quotas fait naître d’autres disparités et freine le mérite d’autres personnes peut-être plus compétentes. Les postes qui devaient résulter d’une saine appréciation des compétences, sont finalement l’émanation d’une course inégalitaire déjà remportée par les jeunes avant même le coup de sifflet de départ.
En définitive, le système de quotas part d’une bonne intention. Seulement, il n’est guère curatif, ne donnant qu’un semblant de résultats d’ailleurs édulcorés par de nombreux vices. En effet, ce système de quotas entretient une situation de rente au profit des jeunes discriminés sans leur donner les vrais moyens de s’en sortir. De même, ce système incite les autorités à ne plus faire d’effort pour prendre le problème à bras-le-corps.
Dès lors, la solution est à rechercher ailleurs, notamment dans le changement radical des règles du jeu politique qui constituent souvent des barrières à l’entrée pour les jeunes: les structures de jeunesses des partis politiques qui isolent les jeunes de la direction des partis, la caution excessive de 20 millions de FCFA du candidat à l’élection présidentielle, son âge minimum 40 ans trop élevé etc.
Telles sont les véritables réformes à envisager, en plus de la sensibilisation à mener, en vue de faire du jeune un authentique acteur de changement.
Gohi Huges Arnaud, Doctorant au Laboratoire d’Etudes Constitutionnelles Administrative et Politique (LECAP) de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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