Côte-d’Ivoire: « Notre lutte est plus utile en exil » (Emile Guiriéoulou) Interview

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Par Noé Michalon

L’ancien ministre ivoirien, Emile Guiriéoulou, réfugié au Ghana après la crise postélectorale de 2010-2011 a affirmé que la contribution de certains pro-Gbagbo à la « lutte politique est plus utile en exil », ajoutant qu’un retour au pays reviendrait à se taire ou à se rallier au pouvoir, dans une interview à ALERTE INFO dimanche.
L’ancien ministre sous Gbgabo, Emile Guiriéoulou en exil au Ghana

Comment vivez-vous votre exil ? Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Mon état d’esprit est bon, nous avons la santé et le moral, cela permet de tenir. Le pays (Ghana) est beau, la population accueillante, mais le pays (Côte d’Ivoire) nous manque puisqu’on ne peut pas y retourner. C’est donc une expérience bien plus traumatisante qu’une simple expatriation. La vie quotidienne n’est pas facile. L’une des plus grandes difficultés, c’est l’oisiveté. Quand on est exilé, il est difficile de trouver une activité professionnelle, vous vous levez le matin sans agenda, à part quelques réunions de temps en temps. Beaucoup ici vivent d’aides de la part de la famille, d’amis, ou même de personnes qui comprennent notre situation.

Cela fait moins de deux mois que Ben Soumahoro est décédé. Quelles étaient vos relations avec lui ?

Nous n’étions pas très proches en Côte d’Ivoire, même si nous étions tous deux députés. Mais au Ghana, nous nous sommes beaucoup rapprochés, on se téléphonait souvent. Son décès a été un grand choc pour tous. Depuis novembre, il était assez replié sur lui même, on sentait que son état de santé y était pour quelque chose. Mais il évoquait dans toutes les conversations son projet de rentrer au pays et ne se voyait pas mourir en exil. Un message qu’il nous a toujours donné, c’était d’être constant dans notre combat, de ne pas céder à la facilité. Il nous disait qu’il connaissait M. Ouattara et qu’il ne fallait pas se laisser attendrir et ne jamais abandonner Gbagbo.

Vous présidez la Coordination du Front Populaire Ivoirien en exil, quelles sont vos activités ?

Essentiellement des réunions de temps en temps pour nous informer et faire des suggestions sur le fonctionnement du parti et la marche du pays. Vu qu’on n’a pas d’activité professionnelle, nous avons beaucoup écrit, principalement sur le procès Gbagbo, pour lequel nous avons consacré trois ouvrages. Un quatrième ouvrage collectif à paraître concerne le rapport des experts de l’ONU qui nous accusait au moment de la crise de certaines choses. Nous avons aussi mené des campagnes médiatiques, comme une série d’interviews pour la chaîne béninoise Canal 3 Monde. Nous menons aussi des activités de lobbying, auprès des leaders d’opinion d’Afrique et du monde, puisque beaucoup d’Africains ne sont pas au courant de la situation en Côte d’Ivoire, même ici au Ghana.

Quel est votre point de vue sur la division du FPI ?

Pour nous le FPI n’est pas divisé. Le congrès du 30 avril 2015 à Mama a élu Laurent Gbagbo président du parti, et on a un secrétariat général qui fonctionne. Malgré l’appui de son allié Alassane Ouattara, Affi N’Guessan a été exclu, donc n’est plus président du parti, ce qu’il fait n’est plus valable. Pour nous tout est une question de temps pour que la clarification se fasse. Ici, cette situation s’est légèrement ressentie auprès d’un petit nombre de camarades, mais cela ne gêne pas notre fonctionnement. La position du parti est simple : Affi Nguessan a eu des manquements. La porte reste ouverte si lui et ses partisans veulent revenir. On étudiera leur situation au cas par cas, s’ils font leur mea culpa.

Qu’est-ce qui vous empêche de rentrer en Côte d’Ivoire ? La peur d’être arrêté ?

On n’a pas peur d’aller en prison, la prison c’est fait pour les hommes. Mais nous pensons que le débat politique et la démocratie sont en danger en Côte d’Ivoire. Le FPI est constamment contrarié, les conditions d’une vie politique normale ne sont pas réunies. Au pays, nous serions empêchés d’exercer nos droits, ce que l’exil nous permet de faire. Par ailleurs, la situation sécuritaire n’est pas encore bonne là-bas. Certains de nos camarades ici avec nous ont décidé de rentrer et sont aujourd’hui en prison. L’un d’entre eux a échappé de justesse à une arrestation et est de retour avec nous à Accra. Si tu rentres au pays, tu te tais ou tu t’allies au pouvoir, sinon tu vas en prison ou il t’arrive quelque chose d’autre…. Notre contribution à la lutte est donc plus utile en exil qu’en Côte d’Ivoire.

Vous sentez-vous en sécurité à Accra ?

Il y a eu une période où certains se sont sentis menacés mais c’est passé, donc je n’ai pas d’inquiétude particulière ni avec les autorités ni le peuple Ghanéens.

Suivez-vous les débats sur la nouvelle constitution ? Quel est votre point de vue sur le sujet ?

Je me demande ce qui justifie cette nouvelle constitution. Les déclarations du porte-parole du gouvernement me laissent perplexe. Il a été annoncé que la peine de mort serait supprimée et que les mandats seraient limités à deux. Mais c’est déjà le cas dans la constitution de 2000! C’est un gouvernement de menteurs. Cela est grave, M. Ouattara a prêté serment sur cette constitution, donc dire ce mensonge est un parjure. Je suis surpris que la presse ivoirienne ne relève pas ces incongruités.

Quant à la création d’une vice-présidence et d’un sénat, il n’y a pas besoin d’une nouvelle constitution pour le faire, il suffit de changer quelques articles lors d’une révision. J’espère me tromper, mais je pense que l’objectif réel de cette manœuvre est de permettre à M. Ouattara de se représenter en 2020 en remettant les compteurs à zéro avec une nouvelle république. Enfin, Francis Wodié a souligné un problème de fond: sur quels fondements juridiques peut-on abolir une constitution et en faire une nouvelle? Nous ne sommes pas en régime d’exception, ou alors, si nous sommes dans un coup d’Etat, qu’on nous le dise! Il ne s’agit pas d’un «débat d’intellectuels» comme le disent certains mais d’un fait plus grave. J’ai également lu que la constitution n’entrerait en vigueur qu’en 2020. Il n’y a donc pas urgence! On court en plus le risque d’avoir deux constitutions en même temps, et que celle de 2020 soit obsolète avant même son entrée en vigueur!

La seule chose qui pourrait me donner tort serait le maintien de l’âge maximal d’une candidature à 75 ans. Mais les députés n’auront qu’à demander à relever ce seuil en arguant qu’on l’a aussi abaissé de 40 à 35 ans, et M. Ouattara se sentira légitime à se présenter en disant que cette proposition ne vient pas de lui mais de l’assemblée.

Le chef de l’Etat a pourtant affirmé que ce mandat serait son dernier…

Nous sommes en Afrique, on connaît les pratiques ! Au Rwanda, M. Kagamé a fait signer des pétitions pour dire que la population voulait qu’il reste au pouvoir. J’imagine demain une délégation de chefs traditionnels qui supplieront dans tout le pays le président de se présenter. Et il n’aura qu’à céder à cet « appel du peuple ». Le problème sous-jacent est celui des divisions du parti unifié. Les gens ne s’entendent pas. Demain, la seule personne qui peut maintenir une certaine unité chez eux, c’est Ouattara. Je suis donc opposé à ce projet de constitution, qui a des motivations politiciennes.

Quel est votre regard sur les procès du couple Gbagbo ?

Je trouve qu’à Abidjan comme à La Haye, les témoignages peu crédibles. Pourquoi sont-ils découverts à Abidjan et couverts ou floutés à la CPI ? Un témoignage a besoin de courage. Être masqué permet de mentir, d’échapper au regard des gens. Un témoignage anonyme est sans valeur. Ce sont des procès politiques, et comme le dit Simone, je veux les faits. Mais la roue tourne. Les juges, en Côte d’Ivoire, sont devant leurs responsabilités. Ils ne sont pas éternels. Au Burkina, quand M. Compaoré est tombé, le médecin qui avait signé le certificat qualifiant de naturelle la mort de Sankara, a été arrêté 30 ans après. Que ces juges fassent leur travail en leur âme et conscience, car ADO et le RDR quitteront un jour le pouvoir, et personne n’est à l’abri d’une révision de procès.

Sam l’Africain a déclaré qu’à partir du 11 mars 2011, Simone Gbagbo a pris un ascendant sur son mari en termes de pouvoir. Pouvez-vous confirmer, vous qui étiez aux affaires à ce moment ?

Pour commencer, pourquoi prend-on Sam l’Africain comme quelqu’un de crédible ? Je suis désolé de voir qu’il passe pour une référence. Était-il au conseil des ministres ? Ensuite, Laurent Gbagbo a fait de la politique depuis son plus jeune âge. C’est un homme qui sait ce qu’il veut et fait. Au FPI, les décisions se prenaient au Secrétariat Général, et il n’a jamais voulu imposer quoi que ce soit au parti. Dire qu’il peut être manipulé et influencé de la sorte est une insulte. J’ai eu la chance d’être l’un de ses ministres, après avoir été un député proche de Simone Gbagbo. Après tout, certains pensent que Dominique Ouattara dirige la Côte d’Ivoire…

Suivez-vous la vie politique ghanéenne ? Comment voyez-vous les prochaines élections générales en novembre ?

Je constate une cristallisation de la vie politique. Les dernières élections avaient donné la victoire de très peu au gouvernement actuel, et ceux qui ont perdu pensaient avoir gagné. Cette année marque la dernière candidature d’Akufo Addo, donc ayant connu cette situation d’élection très attendue, on s’inquiète un peu. Mais les Ghanéens nous rassurent, nous disent qu’ils n’en viendront jamais à se battre. Quant à notre sort, les élections ne m’inquiètent pas vraiment non plus. Le Ghana est un pays panafricaniste qui accueille des réfugiés depuis toujours. Ici, on trouve des Togolais ou des Ougandais qui sont là depuis longtemps… Le peuple ghanéen ne voudra pas d’une expulsion massive de réfugiés.

Noé Michalon, envoyé spécial à Accra

Alerte info/Connectionivoirienne.net

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