Une tribune de Geoffroy-Julien Koua, politologue
Dans un Etat, il existe deux modes d’établissement de la constitution : le mode autoritaire et le mode démocratique. Celui-ci inclut le peuple, celui-là l’exclut. En effet, dans le mode autoritaire ou dictatorial, la constitution provient d’un geste unilatéral du ou des pouvoirs. Elle est octroyée au peuple par le détenteur du pouvoir. C’est la technique de l’octroi différente du contrat ou pacte constitutionnel. Dans cette hypothèse, la constitution résulte d’une transaction, d’un compromis entre les forces en présence. A l’observation, dans ces deux conjectures, la population est exclue du processus d’élaboration de la constitution. A l’opposé, le mode démocratique, lui, suppose la mise en place d’une Assemblée constituante souveraine ou non. C’est cette Assemblée, désignée par le peuple, qui est chargée d’élaborer la constitution et l’adopter si elle est souveraine, ou de la soumettre au peuple pour l’adopter ou rejeter par référendum dans le cas où elle est assemblée non souveraine.
Dans l’espèce ivoirienne, selon les juristes proches du pouvoir, c’est l’exécutif qui sera chargé d’élaborer le projet de constitution et le soumettre, après, à l’appréciation du peuple. La méthode, est démocratiquement, incorrecte voire impolitique. Elle exclut, en amont, le peuple pour s’en référer en aval. A l’analyse, nous nous éloignons du référendum pour nous rapprocher du plébiscite qui est une parodie démocratique. En effet, ici, le texte soumis est en fait un prétexte. Il s’agit moins pour le peuple de l’approuver que de manifester à cette occasion sa confiance, mieux son allégeance à l’homme qui l’incarne où à une idée qu’on veut en réalité lui imposer. Cette posture, politiquement, prend valeur d’immersion.
Dans l’espèce ivoirienne, il faut mettre en place une assemblée constituante non souveraine. Elle sera composée de la communauté politique (pouvoir et opposition), la société civile (les ONG, les organisations syndicales et confessionnelles) et les intellectuels (juristes, politologues). Cette assemblée constituante doit être élue. C’est à elle d’élaborer l’avant projet de la constitution. Son travail terminé, l’avant projet est remis à l’exécutif qui en fait un projet de constitution et le propose au peuple. Il n’ya pas de démocratie en dehors du peuple. Et ne l’oublions pas, notre démocratie n’est pas seulement représentative, elle est aussi directe (Article 32 de la constitution). Et l’occasion est belle, opportune de pratiquer la démocratie directe en donnant la parole au peuple au début et à la fin du processus référendaire, d’autant plus qu’il s’agit de la constitution, la norme suprême. Celle-ci est l’affaire de tous les ivoiriens et non celle du seul exécutif. Certes, le chef de l’exécutif est élu au suffrage universel, il ne reste pas moins un mandataire du pouvoir constituant originaire, le peuple. En sus, sa légitimité n’est pas au-dessus de celle de l’Assemblée nationale comme l’écrivent les juristes proches du pouvoir. Pour preuve, l’acte juridique pris par le parlement (La loi) est supérieur à celui du président de la République (Le décret). Dans une République démocratique, la valeur ou la place d’une institution dépend de la valeur de l’acte juridique qu’il prend. Nuance. Les juristes du pouvoir donnent, pour soutenir leurs argumentations, les exemples de la rédaction de la constitution du 4 octobre 1958 par un comité consultatif mis en place par De Gaule et de la constitution Russe de 1992 élaborée par M. Boris Eltsine. Deux mauvais exemples. La volonté monarchique du général De Gaule, à travers la mise en place d’une constitution qui a instauré un président fort, a conduit à sa démission en 1969 après avoir été conspué par la rue en mai 68. En sus, les différentes révisions de la constitution française ont fait de ce pays un Etat avec un régime parlementaire. Oui, la France est un régime parlementaire dualiste. Et, aujourd’hui, il est inimaginable qu’en France le gouvernement prenne l’initiative d’élaborer seul la constitution de la 6e République. Quant à la Russie, elle n’a jamais été un exemple démocratique, Boris Eltsine encore moins.
Si nous voulons être une démocratie émergente, évitons que la loi suprême qui définit l’organisation et le fonctionnement de l’Etat soit l’expression d’une volonté personnelle ou corporatiste mais celle de la volonté générale.
Geoffroy –Julien Kouao
Enseignant de droit constitutionnel et analyste politique
Auteur de « Cours de Droit constitutionnel et institutions politiques »
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