Prao Yao Séraphin
« Ne rien répondre, c’est approuver, c’est dire oui ; rester silencieux face à une décision, c’est donner son accord implicite »
Les africains sont habitués au dolorisme, pleurant pour leur passé, un passé de colonisé. Cette douleur était justifiée hier mais pas de nos jours. Actuellement les africains sont en grande partie responsable du sous-développement de l’Afrique. L’Afrique n’est pas le seul continent à être colonisé pourtant il est le seul à demeurer dans le silence de l’avancement. Des pays comme l’Inde, la Malaisie, le Mexique, le Brésil, Singapor, anciennement des colonies sont devenus des grands pays. Le mal se trouve parfois en nous et nous détruit. Un sage disait qu’on peut te traiter d’esclave mais lorsque tu te comportes comme un esclave, c’est alors que tu donnes du contenu à cette injure. Tous les pays du monde ont compris que l’unité nationale est le ciment d’une nation. Mais en Afrique, certains gouvernants ont décidé de retarder le développement de leurs pays en prêchant l’évangile de la discorde. En Côte d’Ivoire, depuis l’arrivée du Président Alassane Ouattara au pouvoir, la Côte d’Ivoire donne l’impression d’un pays construit mais dans les faits, le pays est en déconstruction. La fracture sociale est visible même si les populations n’osent pas le dire. Qui en est responsable ? Un seul homme, le Président actuel. Il a importé dans notre pays les germes de la division et de la haine. Dans cette œuvre machiavélique, ses alliés semblent l’accompagner sans dire un mot. Dans ce contexte, on peut se poser la question de savoir si ceux qui profitent de cette situation sont des coupables ou des otages. Tel est l’objet de notre présente réflexion.
Le rattrapage ethnique comme colonne vertébrale de la gouvernance du régime actuel
Pour commencer soyons juste et précis. C’est bien le Président Ouattara qui a signé l’acte de naissance de sa théorie et pratique. Lors de son premier voyage en France après sa prise du pouvoir, il n’a pas manqué de se signaler dans ce sens. Répondant à une question relative à ses nominations claniques et tribales, voici ses propos recueillis par Vincent Hugeux et publiés le 25/01/2012, sur le site du journal français « l’Express » : « Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité. S’agissant des hauts cadres de l’armée, j’ai eu à négocier avec les officiers des ex-Forces nouvelles [FN, ancienne rébellion nordiste], qui voulaient tous les postes. Et j’ai réussi à imposer cet équilibre dans la hiérarchie militaire, jusqu’au niveau de commandant : le n° 1 issu des FN, flanqué d’un n° 2 venu de l’ancienne armée régulière. Tous grades confondus ; il y a 12 % de nordistes dans la police, 15 % dans la gendarmerie et 40 % environ dans l’armée… Sur ce terrain-là, on ne peut rien me reprocher. »
La Côte d’Ivoire n’est plus une république mais une société ethnique
La Côte d’Ivoire est devenue le pays de la gouvernance publique ethnico-tribale. Notre pays est devenu une poudrière tribale, dont les fondements sont l’appareil de l’Etat. Le tribalisme d’Etat est devenu la clé de répartition et de gestion des ressources du pays. Nous ne sommes plus dans une république. La raison est simple : la république n’est pas une simple juxtaposition d’institutions, une fédération d’ethnies. Elle est un ensemble de valeurs et d’obligations pour les dirigeants et les citoyens qui la composent. Depuis 2011, notre république est mise à mal par nos comportements sectaires, nos dérives identitaires alors que la république est une vision, un contrat.
Dans notre pays, c’est l’ethnie, la région et le parti politique qui déterminent l’ascension sociale des individus. Selon le sociologue Max Weber, l’ethnicité est le sentiment de partager une ascendance commune, que ce soit à cause de la langue, de coutumes, de ressemblances physiques ou de l’histoire vécue. Et c’est sur cette base que fonctionnent désormais les institutions de notre pays.
Le « tribalisme d’Etat » en Côte d’Ivoire a pour cache-sexe l’équilibre régional ou du moins le rattrapage selon les propres termes du Président Ouattara. Pratiquement tous les postes de direction sont aux mains des nordistes. Le rattrapage ethnique fonctionne à plein tube en Côte d’Ivoire. On a l’impression que les plus éduqués, les plus diplômés, les plus intelligents sont du Nord. Tous les régimes fascistes naissent comme ça, autour d’un clan, autour d’une communauté, sur des idées fausses voire des mythes.
La République est le destin commun de tous ceux qui ont choisi le pays, quelle que soit leur origine ou leur religion. Et c’est elle qui est la cible des communautaristes et des intégristes qui veulent imposer une société cloisonnée, fermée, à l’anglo-saxonne, où à chaque ethnie correspond un quartier, où plus personne ne communique avec l’autre parce qu’il est différent.
Pourquoi le silence des Nordistes face à cette ségrégation sociale ?
La Côte d’Ivoire est une et indivisible. En science politique on parle de principe d’indivisibilité. Ce principe signifie que la République est conçue au sein d’un Etat unitaire dans lequel la souveraineté nationale est indivisible. Contrairement à l’Etat fédéral où la souveraineté est fragmentée entre les différents Etats fédérés, l’Etat unitaire est le seul détenteur de la souveraineté. Ce principe emporte plusieurs conséquences sur l’unité du territoire et du peuple de Côte d’Ivoire, sur le recours à la langue comme langue de la République et sur le principe d’égalité devant la loi de tous les citoyens. En Côte d’Ivoire, c’est plutôt le régionalisme qui a pris le pas sur ce principe. On peut donc se demander si nos frères nordistes sont des otages ou coupables de cette pratique du rattrapage ethnique ?
Une première réponse est de dire qu’ils sont pris en otage par les gouvernants actuels. On pourrait par exemple mettre en avant le fait que c’est le Président de la république qui nomme et de ce fait, il est le seul responsable. On peut également dire que le Président Ouattara a instrumentalisé le Nord à tel point qu’il se sent dans l’obligation de nommer les fils et filles de cette partie du pays. Il n’est pas superflu également de dire qu’on gouverne avec les cadres de son parti et comme les nordistes constituent la majorité des militants du RDR, c’est normal que ces derniers occupent les plus hauts postes du pays. Si on retient ces quelques arguments alors on peut dire que les nordistes sont des otages de la pratique du rattrapage ethnique en Côte d’Ivoire. Mais il est possible de prendre le contrepied parfait de cette argumentation pour accuser nos frères nordistes de connivence avec les gouvernants actuels.
La seconde réponse à notre question inaugurale est de dire que nos frères nordistes sont coupables. En général, lorsqu’on est contre une politique, on doit pouvoir dire non. En restant muet face à la destruction de la nation, le Nord devient coupable. En effet, la cohésion sociale correspond à la situation d’un groupe fortement solidaire et intégré. Cette cohésion favorise l’intégration des individus, c’est à dire la participation à un réseau de relations sociales qui confère aussi une identité propre. Ne pas s’opposer à l’éclatement de la nation est une faute grave.
Les ivoiriens se souviennent encore du comportement républicain du ministre Joseph Dja Blé en 2006. Alors qu’il était ministre de l’Intérieur, il s’est insurgé contre le tribalisme dans la Police. Il a refusé de procéder au recrutement des agents de la Police nationale sur des bases tribales. Voici ce qu’il disait « Ils m’ont demandé de ne pas recruter des ressortissants du Nord et de ne retenir à 80% que des gens de ma région. Je n’ai pas accepté cela. Si d’autres ministres l’ont fait, moi je ne le ferai pas ». Il continue pour dire ceci « Il faut arrêter ce genre de pratiques qui nous ont conduits à la guerre. Si nous voulons aller à la réconciliation, nous devons y mettre fin. Cette guerre, nous en savons beaucoup, mais allons d’abord à la paix. Quand la paix sera revenue, nous ferons l’histoire de cette guerre, parce que nous savons d’où elle est venue ». Monsieur Joseph Dja Blé était ministre sous le Président Gbagbo et de sa région. Si aujourd’hui aucun cadre du Nord ne peut s’opposer à cette pratique alors on peut dire que nos frères du Nord sont complices.
On peut également dire que la pratique actuelle du rattrapage ethnique est une suite logique de la Charte du Nord. Cette malheureuse et historique Charte du Nord, a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Voici quelques lignes tirées de cette charte « …………….aborder et réaliser le ralliement constructif autour d’une idée force : «un pour tous, tous pour un» au service de l’intérêt supérieur d’un Grand Nord réhabilité en tant que membre à part entière d’une nation ivoirienne forte et harmonieuse. Faire renaître le sentiment de l’attachement mutuel sur fond de nos affinités traditionnelles, raviver la notion de solidarité ethnique entre communautés unies par un même destin, propager la vertu de l’esprit de sacrifice pour forger un idéal lumineux, redéfinir une position commune au sujet d’un modèle de société où l’égalité sera la règle, voilà qui constitue une ambition prétentieuse, mais non impossible.. ».
Coupable ou otage, le Grand Nord doit s’unir avec le reste du pays pour condamner tout ce qui peut nous diviser.
Conclusion
A l’observation, notre pays marcherait vers des situations de confusion demain. Les méthodes de gouvernance en cours contribuent à diviser les ivoiriens qu’à les unir, à les appauvrir qu’à les enrichir. L’histoire rappelle que tous les gouvernements qui ont érigé le tribalisme en mode de gestion politique ont conduit leurs différents pays à des frustrations ayant finalement abouti à des rebellions ou coups d’Etat. Au Rwanda de Juvénal Habyarimana, le tribalisme était le système politique par excellence. Cela ne gênait personne. Les tutsi, victimes de ce tribalisme, s’organisaient pour renverser la tendance. La suite est connue.
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