Jean-Claude Djéréké
Porter un jugement négatif sur tout ce qui est fait par X ou par Y, c’est avoir l’esprit de critique, ce qui est différent d’avoir l’esprit critique (penser par soi-même au lieu de prendre pour argent comptant les dires ou réflexions d’autrui). Autant il est bon de soumettre au questionnement ce que l’on entend, voit ou lit, autant il est nécessaire de reconnaître et de saluer les paroles et gestes qui font avancer la communauté. Le 22 mai 2016, les évêques catholiques de Côte d’Ivoire ont fait quelque chose de positif. Pour le dire autrement, ils ont fait une proposition qui, si elle est mise en œuvre, ne peut que contribuer à l’apaisement et à la cohésion du pays. En effet, au terme de leur 104e assemblée plénière (Yamoussoukro, 15-22 mai 2016), ils ont demandé la libération de tous les prisonniers politiques. Non pas parce qu’ils encourageraient l’impunité mais parce que, affirme leur porte-parole, un seul camp n’est pas coupable et/ou responsable des atrocités et crimes commis dans notre pays entre 2002 et 2011 et parce qu’il est impossible de parvenir à une réconciliation durable et sincère si certains Ivoiriens sont privés de la liberté d’opinion, de mouvement, de réunion, d’expression, etc.
Certains diront que, si nos prélats avaient parlé depuis 2011, cela aurait peut-être épargné à notre pays certains drames tels que la mort en prison ou en exil de plusieurs Ivoiriens.
D’autres estimeront que les évêques, à travers leur déclaration, ne recherchent qu’une chose: se racheter auprès des Ivoiriens qui ne comprenaient pas leur silence face à une cruauté et un usage de la force qu’ils n’avaient pas connus et subis sous Houphouët, Bédié, Gueï et Gbagbo. De fait, le peuple est de plus en plus mécontent du régime et nul ne sait jusqu’où son mécontentement peut aller et quel sort il réserve à ceux qui se sont associés avec les imposteurs pour l’affamer et le malmener.
D’autres encore feront remarquer que les évêques pouvaient faire davantage: par exemple, se prononcer sur la privatisation des entreprises nationales, sur les Ivoiriens expropriés par l’État au profit d’étrangers, sur le sort des exilés, sur la Constitution (faut-il simplement réviser celle de juillet 2000 ou bien avons-nous besoin d’une nouvelle Constitution? Un individu ou un parti politique peut-il ouvrir, tout seul, un tel chantier quand on sait que la Constitution révisée ou la nouvelle Constitution s’appliquera à tous les Ivoiriens?)
Tout en regrettant que nos évêques aient traîné les pieds avant de prendre position sur la violation des droits de l’homme par le régime Ouattara, je leur adresse mes plus vives félicitations car eux au moins ont osé s’exprimer et déplaire au pouvoir. En effet, qui a déjà entendu les autres chefs religieux condamner ce qui se passe dans le pays depuis 2011 (enlèvement et assassinat d’enfants, caporalisation des médias publics, rattrapage ethnique, atteinte à la liberté d’expression, appauvrissement de la population, etc.)? Qui n’a pas constaté que Boikary Fofana, qui faisait énormément de bruits quand Gbagbo était au pouvoir, est devenu silencieux? Or il n’est mentionné nulle part que c’est uniquement l’Église catholique qui devrait protester quand le pays est mal géré. Les autres confessions religieuses devraient, elles aussi, dire quelque chose et montrer ainsi qu’elles se soucient du bien-être des Ivoiriens. B. Fofana, qui se plaignait hier de ce qui lui paraissait inacceptable, se tait-il aujourd’hui parce que la Côte d’Ivoire n’a plus de problèmes ou bien parce qu’un de ses coreligionnaires occupe le fauteuil présidentiel?
On peut tout reprocher aux évêques catholiques ivoiriens, sauf d’avoir cautionné toutes les actions des présidents chrétiens que le pays a eus. Yago et Dacoury, en effet, n’étaient pas toujours tendres avec Houphouët. Dans “Cardinal Agré: ses grands bonheurs, ses menus secrets” (Abidjan, NEI/CEDA, 2010), l’ancien archevêque d’Abidjan a révélé avoir déconseillé à Robert Gueï de faire tirer sur l’avion qui emmenait Konan Bédié en exil. Contrairement à ce que racontent certaines personnes mal informées, le second cardinal ivoirien n’a pas toujours caressé Bédié et Gbagbo dans le sens du poil. En un mot, il est arrivé des moments où l’Église catholique s’est refusé à accompagner, tête baissée, les détenteurs du pouvoir politique et c’est tout à son honneur car l’intérêt général (la Côte d’Ivoire) doit passer avant les intérêts de tel ou tel groupe particulier. Je lui tire mon chapeau pour avoir réclamé la libération des partisans de Laurent Gbagbo qui ne sont pas plus coupables que ceux de Dramane Ouattara. Souhaitons que les autres communautés religieuses lui emboîtent le pas, le plus tôt possible.
Jean-Claude DJEREKE
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