Tribune de Geoffroy-Julien Kouao (analyste politique, enseignant des universités)
Le régime parlementaire et l’émergence politique en Côte d’Ivoire
En réaction contre l’absolutisme du pouvoir, Charles Louis de Montesquieu préconise la séparation des pouvoirs à laquelle nous devons la typologie des régimes politiques. Il ressort de cette classification deux régimes essentiels qui sont le régime parlementaire et le régime présidentiel. Le premier régime consacre la séparation souple en célébrant la collaboration des pouvoirs, alors que, le second, qui, lui, renvoie à la séparation rigide des pouvoirs consacre l’isolationnisme.
A l’indépendance, la Côte d’Ivoire choisit le régime présidentiel qui dans la pratique constitutionnelle va se muer en régime présidentialiste, consacrant ainsi la prépondérance du président de la République sur les autres institutions. La constitution du 03 novembre 1960 faisait du Président de la République, le chef de l’Etat et le chef du gouvernement. Dans le cadre du parti unique, le président de la république était le président du PDCI-RDA, parti-Etat. Les députés, jusqu’en 1980, étaient désignés par le président de la République, président du parti unique.
Le 07 novembre 1990, sous la contrainte de la rue et des bailleurs de fonds étrangers, un poste de premier ministre est créé. L’exécutif ivoirien prend une forme bicéphale : un Président de la République, chef de l’Etat et un Premier ministre, chef du gouvernement. Dans le fond, l’exécutif reste monocéphale car, le président reste le détenteur exclusif du pouvoir exécutif et c’est lui qui conduit et détermine la politique nationale. D’ailleurs, la révision constitutionnelle du 2 juillet 1998 fait perdre au Premier ministre son statut de chef du gouvernement au profit du Président de la République.
La constitution du 1er août 2000 fait, certes, du premier ministre le chef du gouvernement, mais l’entièreté du pouvoir exécutif est entre les mains du Président de la République. En réalité, le premier ministre ivoirien est, constitutionnellement, un prince nu que l’accord de Marcoussis a tenté, maladroitement, d’habiller sans y parvenir.
En sus de ses compétences exécutives, le Président ivoirien exerce des compétences en matière législative. En effet, il est en amont et en aval de la procédure législative. Il peut selon la constitution prendre des ordonnances (article 75C) et dans le cadre de ses pouvoirs de crise (article 48C), il se substitue au législateur. Dans la réalité, le véritable détenteur du pouvoir législatif, en Côte d’Ivoire, est le Président de la République.
En matière judiciaire, Le président de la République est le garant de l’indépendance des juges. Il préside le conseil supérieur de la magistrature. Le président de la République a le droit de faire grâce.
De ce qui précède, le président de la République est un omni-président. D’où la polarisation de l’activité et l’attention politiques autour ou sur sa personne.
A l’analyse, cette concentration des pouvoirs par le président de la République phagocyte les autres pouvoirs et constitue un obstacle au développement institutionnel, donc politique.
Aussi, nous pensons que le moment est venu de penser à un autre mode de gouvernance dans le cadre d’un régime parlementaire, qui loin d’être une panacée, n’en présente pas moins des avantages dont notre pays pourrait tirer profit.
L’adoption du régime parlementaire, en effet, serait une bonne réponse au présidentialisme (I) et participerait à la rationalisation des pouvoirs en Côte d’ivoire (II)
I-Le régime parlementaire : une réponse au présidentialisme
L’instauration d’un régime parlementaire dans notre pays présenterait un double avantage : faire l’économie de l’élection présidentielle (A) et mettre fin au culte de la personnalité (B)
A-La disparition du scrutin présidentiel
La fonction présidentielle polarise toutes les forces, les énergies et les passions en Côte d’Ivoire. Pour preuve, les élections présidentielles sont les moments de crispations et de fractures sociopolitiques.
En 1990, les premières élections multipartites, après trente ans de monopartisme, avaient déjà donné lieu à des violences, notamment dans le centre-ouest du pays.
Les élections présidentielles de 1995 se sont déroulées sur fond de violences mortifères avec le boycott actif des deux principaux partis politiques d’opposition d’alors (le Front populaire ivoirien et le Rassemblement des républicains) qui ont exigé en vain l’institution d’une commission électorale indépendante et la révision de la liste électorale.
En 2000, le scrutin présidentiel donne lieu à de violents affrontements. En effet, le 24 octobre, le ministère de l’Intérieur annonce la victoire du général Gueï qui décrète un couvre feu et l’état d’urgence. Laurent Gbagbo se déclare « chef de l’Etat » et appelle ses militants à descendre dans la rue. Deux jours plus tard, de violents heurts éclatent entre militants du RDR d’Alassane Ouattara et militants du FPI de Laurent Gbagbo. Ils font plus de 100 morts. Le 27 octobre 2000, un charnier contenant 57 corps est découvert à Yopougon dans la banlieue d’Abidjan.
En 2011, c’est l’apogée de la violence postélectorale. A l’issue du scrutin présidentiel, s’installe une dyarchie de fait. La république du Golfe et celle du Plateau. La guerre civile qui en découle fait 3000 morts. L’élection présidentielle de 2015 s’étant déroulée dans un contexte tout particulier où le candidat de la coalition au pouvoir n’avait pas de véritable challenger face à lui ne saurait être prise comme une antithèse à notre thèse.
De ce qui précède, l’élection présidentielle Côte d’Ivoire a une forte charge centrifuge et mortifère. Sauf à renoncer à la raison et faire nôtre la culture de l’anomie, nous devons mettre fin à cette situation et le remède viendrait, selon moi, du régime parlementaire.
Si la côte d’ivoire adopte, ce régime politique, elle ferait l’économie de l’élection présidentielle, du moins au suffrage universel direct. En effet, dans un tel système, le président de la république serait élu au suffrage universel indirect par un collège de notables politiques. Ce pourrait être les parlementaires comme en Italie, en Israël ou en Allemagne. En évitant l’élection au suffrage universel direct du président de la république, nous sauvons des vies humaines, car, à l’évidence nous avons un problème avec ce scrutin.
La seule élection nationale, au suffrage universel direct, serait celle des députés qui cristallise moins de passion à cause de l’éclatement des circonscriptions électorales et au aussi du scrutin de liste qui plonge, parfois, sinon souvent, les candidats dans l’anonymat.
La disparition de l’élection présidentielle nous éviterait les décomptes macabres des lendemains d’élection et surtout le culte de la personnalité.
B-la fin du culte de la personnalité
Le régime présidentiel ivoirien a cultivé à son paroxysme le culte de la personnalité. Houphouët-Boigny en fut l’exemple type. Tout partait du président Houphouët et tout revenait au président Houphouët. Ses successeurs ont continué et consacré la coutume. Nonobstant l’existence d’autorités déconcentrées et décentralisées, le dernier mot, dans l’affaire la plus banale, revient au Président de la République. Une grève d’enseignant, par exemple, ne peut prendre fin qu’avec l’intervention du Président de la République. L’omniprésence du président de la république a fait de lui un centre de crispation des passions qui se muent facilement en idolâtrie. On comprend alors la passion et l’idolâtrie que leurs partisans vouent aux anciens chefs d’Etat Gbagbo et Bédié et au chef de l’Etat en exercice. Le discours social le traduit bien en parlant de Pro-Gbagbo, pro-Ouattara et de pro-Bédié.
Le mérite du régime parlementaire est de construire le dépérissement des pouvoirs du Président de la République. Comme l’empereur du japon ou le président allemand, le président ivoirien aura un rôle purement honorifique et protocolaire. Tout au plus, le Chef de l’État, Président de la République est considéré comme étant le garant des institutions et de l’unité nationale. C’est à lui qu’il revient d’apaiser les tensions politiques et d’arbitrer tout conflit, tout en respectant à la lettre la Constitution qu’il a pour devoir de faire respecter. L’effectivité du pouvoir exécutif sera détenue par un Premier ministre, issu de la majorité parlementaire.
L’instauration d’un scrutin proportionnel à l’élection des députés permettra, non seulement, une meilleure représentation du paysage politique national mais, et ce sera son mérite, mettra fin au tringle isocèle ayant pour sommets le FPI, le RDR, et le PDCI et qui, malheureusement, s’analyse, aujourd’hui, en un triangle des Bermudes politique. Le morcellement du paysage politique entrainera celui des personnalités politiques, subséquemment, la fin des hommes forts et le déclin de la recherche fantasmagorique de l’homme providentiel qu’on ne saurait trouver dans un régime parlementaire caractérisé par la rationalisation du pouvoir.
II-Le régime parlementaire : la rationalisation du pouvoir
La principale caractéristique du présidentialisme ivoirien est la confusion, en pratique, des pouvoirs entre les seules mains du président de la république. L’avènement du régime parlementaire permettrait la collaboration entre les pouvoirs exécutifs et législatifs (A) et leur équilibre ou responsabilité réciproque (B)
A-la Collaboration des pouvoirs législatifs et exécutifs
Ici apparaît le paradoxe entre le texte constitutionnel qui consacre la collaboration entre les pouvoirs et la pratique constitutionnelle :
En effet, Aux termes de l’article 42 de la constitution, le Président de la République a l’initiative de la loi concurremment avec les membres de l’Assemblée Nationale.
In concreto, la tradition politique ivoirienne montre que si le gouvernement est fécond en projets de loi, les parlementaires semblent frapper par une stérilité inquiétante tant les propositions de loi sont d’une rareté éloquente.
Par ailleurs, Les membres du Gouvernement ont accès aux commissions de l’Assemblée nationale. Pendant la durée d’une session ordinaire, une séance par mois est réservée en priorité aux questions des députés et aux réponses du Président de la République.
La coutume constitutionnelle veut que le nouveau premier ministre se présente devant les députés à l’Assemblée nationale pour prononcer son discours de politique générale. Ce fut le cas pour le Premier ministre, Jeannot Ahoussou Kouadio, le 16 juillet 2012. Une coutume politique bien curieuse car, le premier ministre n’est pas responsable devant l’Assemblée nationale, mais devant le président de la République. Le discours du premier ministre devant les députés ne présente aucun enjeu politique. Si par extraordinaire, les députés n’étaient pas d’accord avec le premier des ministres, celui-ci ne court aucun risque de dissolution du gouvernement.
Deuxième anomalie, c’est moins le premier ministre que le président de la république qui détermine la politique générale nationale et internationale.
Dans un régime parlementaire cette collaboration aurait un sens politique car permettrait au parlement de contrôler la politique intérieure et extérieure et la nomination des hauts fonctionnaires, évitant ainsi le népotisme et le favoritisme. A l’évidence, le régime parlementaire irait dans le sens de l’équilibre et la responsabilité des pouvoirs.
B-l’équilibre ou la responsabilité des pouvoirs
L’irresponsabilité des pouvoirs exécutif et législatif l’un envers l’autre constitue l’une des faiblesses de notre charpente institutionnelle actuelle. Cette irresponsabilité favorise la mal gouvernance et l’impunité politique.
Avec le système parlementaire, chaque semaine, le gouvernement serait devant le parlement pour expliquer le bien-fondé de ses orientations politiques.
La motion de censure et la question au gouvernement constitueront des épées de Damoclès qui obligeraient l’exécutif à l’efficacité, à la transparence et à la sanction en cas de besoin.
Le pouvoir de dissolution réciproque oblige les pouvoirs exécutif et législatif à la bonne gouvernance et favorise l’alternance politique et le renouvèlement de la classe politique. Ce qui serait salutaire pour la Côte d’ivoire gagnée de fait par la gérontocratie.
Conclusion
Seulement, dans le cas de la Côte d’Ivoire, nous avons essayé pendant cinq décennies le régime présidentiel et nous sommes aujourd’hui sous surveillance onusienne. Le temps est venu d’essayer le système parlementaire. Ce qui, à l’évidence passe par la troisième République. Et la réforme constitutionnelle annoncée est plus que jamais l’occasion pour la Côte d’Ivoire de redéfinir de façon rationnelle son régime politique.
Geoffroy-Julien Kouao
Enseignant de droit constitutionnel et Analyste politique.
Bibliographie
-Jean Gicquel : Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchretien, 21 ed 2007
-Philippe Ardant : Institutions Politiques et Droit Constitutionnel, Paris, L.G.D.J., 16e ed,
-Francis Wodié : Institutions Politiques et Droit Constitutionnel en Côte d’Ivoire, Abidjan, PUCI, 1996
-D. Turpin, le régime parlementaire, 1997
-Geoffroy-julien Kouao : Cours de droit constitutionnel et institutions politiques
-Bamba Kassimi et Kevin Adou : Côte d’Ivoire : Chronique d’une crise (2002-2008)
-Lexique de politique, 7e ed, Dalloz
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