Démolitions tous azimut en Côte-d’Ivoire «La mafia de l’immobilier» frappe encore (Riviera Bonoumin)

Riviera

Les constructions d’un ancien sous-officier des Fanci rasées, ses matériaux de plusieurs millions de FCFA emportés.

En Côte d’Ivoire un phénomène nouveau a fait son apparition au moment même où les plus hautes autorités du pays servent les discours sur l’Etat de droit. Il s’agit des expropriations de terrains bâtis ou non dans le district d’Abidjan où des constructions sont détruites ou rasées au profit de groupes ou d’individus puissants. Il en va ainsi de la destruction du Café de Rome dont le dossier est loin d’être clos. C’est le cas également de l’expulsion d’un domaine bâti depuis 1982 par un certain Souleymane Boundy dont les enfants croisent le fer en ce moment avec l’homme d’Affaires Ali Fawaz. Cette affaire est loin d’être conclue face à la résistance des Boundy soutenue par des riverains à Marcory Zone 4.

Depuis hier mercredi 5 mai 2016, une autre affaire nous a été révélée par un citoyen ivoirien, M. Guémi Bébo, sous-officier des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire, à la retraite. Celui-ci est victime d’une mafia sans visage qui a ses ramifications au ministère de la Construction et de l’Urbanisme. Ses constructions comprenant un immeuble de deux niveaux sur le lot n°1672, ilot 57 bis, issu du lotissement Bonoumin Est-Ouest, dans la commune de Cocody ont été entièrement rasées après trois passages de bulldozers sous forte escorte policière. Sans s’arrêter au balayage de l’armature de l’édifice dont les travaux se sont arrêtés depuis 2008, les hommes commis à cette tâche ont emporté du matériel stocké dans la bâtisse inachevée et comprenant du fer à béton évalué à 14 millions de FCFA, des carreaux d’une valeur de 12 millions de FCFA, une bétonnière, 6 feuilles de tôles, un groupe électrogène. M. Guémi estime à 278 805 941 FCFA la perte subie après la démolition intervenue début mai. Cette perte bien détaillée sur des documents de spécialiste ne comprend pas le coût des matériaux emportés.

Comment en est-on arrivé là ?

Selon les explications données par M. Guémi et attestées par des documents du ministère de la Construction, le lot de 1000 m² faisait partie d’un terrain villageois qui lui a été vendu le 20 avril 2003 par Aoulé Ahiba Simplice. Son attestation de cession a été signée des mains de Dompé Yapi, chef du village d’Anono.

– Le 11 décembre 2007, il obtient sa lettre d’attribution
– Le 29 mai 2008, il obtient le titre foncier n°120 787
– Le 12 novembre 2008, l’arrêté de concession provisoire

Ces trois documents dont nous avons obtenu copies, faut-il le préciser, portent la signature du ministre Marcel Amon Tanoh, à l’époque, ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat et aujourd’hui directeur de cabinet du président de la République. L’article 2 de l’arrêté de concession provisoire (Acp) mentionne : « Le concessionnaire est tenu sous peine de déchéance : 1°) de clôturer le terrain dans un délai de trois mois pour compter de la date de concession ; 2°) de commencer les travaux de construction dans le délai d’un an pour compter de la même date ; 3°) de réaliser entièrement la mise en valeur du terrain par l’édification de bâtiments en matériaux définitifs à usage d’habitation, dans un délai de deux ans pour compter de la même date. »

Ce même article mentionne aussi que l’édification des habitations est subordonnée à l’obtention d’un permis de construire. Mais comme cela se fait dans les usages à Abidjan et ailleurs dans le pays, Guémi Bébo a entrepris les travaux sur le terrain pour respecter les conditions de l’Acp dans l’attente de son permis de construire. C’est de là que viendront ses malheurs après avoir stoppé ses travaux en 2008. Le ministère s’appuiera sur le défaut de permis de construire pour lui adresser une « mise en demeure de démolition » le 24 février 2014 des soins du Directeur des Affaires Juridiques et du Contentieux Mohamed Lamine Dosso.

Et tenez-vous bien ! Alors que M. Guémi est propriétaire du lot n°1672, ilot 57 bis du lotissement Bonoumin Est-Ouest, il reçoit une mise en demeure qui vise les constructions sur le lot n° 1642, ilot 57 sis à Bonoumin (Commune de Cocody). Il proteste contre la mise en demeure le 25 mars 2014 et signale que le lot visé par la mise en demeure n’est pas le sien. Mais mieux, il se rend au ministère de la Construction pour mieux comprendre les choses sous les menaces incessantes de la démolition de ses biens. Il est d’abord reçu par Koné Asstou, sous-directrice de la réglementation et de la législation. C’est ici que le sous-officier à la retraite, après avoir montré tous ses papiers, sera très surpris d’entendre de la bouche de cette dame « Si vous avez tous ces papiers authentiques et que quelqu’un est plus fort que vous et qu’il a besoin du terrain, que faites-vous ? ». Après avoir marqué son étonnement, M. Guémi dit avoir répondu en ces termes : « Je ne sais pas si j’ai un rival sur ce terrain parce que je suis enregistré au guichet unique du ministère de la Construction ». Les menaces n’ont pas cessé après cette première rencontre infructueuse, encore moins après la deuxième rencontre qu’il a eue avec le directeur des Affaires juridiques et du Contentieux, Mohamed Dosso qui martèle que sans le permis de construire, point de salut pour Guémi Bébo. Or, s’étonne le sous-officier, dans les pratiques, le défaut de permis de construire n’induit pas la démolition. Au contraire, les murs des bâtiments sont marqués de croix rouges, invitant le propriétaire a arrêté les travaux et à se mettre en conformité avec la loi.

Contre toute attente, les constructions du militaire retraité seront démolies et le terrain mis à nu comme si aucune brique n’y avait été placée auparavant.
Voilà qui révolte le sous-officier qui perd là, le fruit de longues années de sacrifices et de privation. Il n’a pas confiance en la justice où l’affaire traîne avec toutes les complicités qui ont réussi à emballer son avocat. Il n’a plus confiance en son pays qu’il a pourtant contribué à servir et est dégoûté par tant d’injustice dans un pays où la signature d’une autorité ne fait plus foi, selon ses propres termes.

Sylvain Debailly à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr

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