A qui profite vraiment la reforme du permis de conduire ?
Bogui Pascal
Bogui Pascal est un opérateur économique, mais c’est aussi un citoyen qui suit de près l’actualité sociale de son pays. Il voit se multiplier, au sein de la population, les motifs de colère. Dans le cadre du débat sur la réforme du permis de conduire, il nous livre son sentiment. Il s’interroge sur la récente réaction de la société Interflex Africard, appartenant à l’homme d’affaires ivoirien Niamoutié Kouaho, et sur l’attitude du gouvernement ivoirien suite à la suspension du caractère obligatoire du renouvellement pour tous les permis de conduire, y compris ceux dont le délai de validité n’était pas arrivé à expiration.
Quelle est la vérité sur l’actuelle réforme du permis de conduire ? Est-ce une escroquerie organisée par certains ? Un prestataire de service, la société Interflex qui refuse d’assumer ses lacunes ? Un ministre, Gaoussou Touré, dépassé ? La colère des Ivoiriens provoquée par cette réforme du permis de conduire était-elle vraiment le symbole d’un front social qui se lève ?
Voilà les questions que je me pose aujourd’hui, en tant que simple citoyen. Ces questions reflètent, selon moi, une grande partie de ce que pensent les Ivoiriens à la lumière de la décision de suspension prise par le chef de l’État : les nouveaux formats de permis continueront d’être édités, mais le renouvellement obligatoire est suspendu. Pendant ce temps ceux qui perdent leur permis, ceux dont les permis hors catégorie B, ne sont plus valide passeront au nouveau format, tandis qu’une réflexion sera menée pour avoir à terme, un seul type de permis au lieu de trois en ce moment, dans le pays.
Reprenons les faits : depuis plusieurs mois, le dossier de renouvellement du permis de conduire suivait son cours. Selon des chiffres provisoires 500 000 permis au nouveau format (dont 200 mille permis issus du renouvellement) circulent en Côte d’Ivoire, sur un total estimé d’un million de permis. Un communiqué récent du ministre des Transport avait rappelé la date de fin de validité des anciens permis. Jusque là, rien d’anormal.
Le gouvernement avait justifié cette réforme par le fait que les anciens permis ne sont pas sécurisés et qu’ils sont facilement falsifiables. Les nouveaux permis, avec un code à barres permettraient aussi de mieux contrôler les conducteurs et les véhicules. Ce que tout le monde souhaite.
Je note que cette réforme avait été acceptée par les acteurs professionnels du secteur des transports : les chauffeurs de taxi, de gbaka. D’ailleurs, le ministère des transports, écoutant leurs doléances, avait remis à plus tard certains aspects de la réforme : instauration du permis à points, institution du permis professionnel et des permis double et tricycle.
Comment ne pas être d’accord avec une réforme qui allait dans le bon sens , alors que désormais des ivoiriens s’interrogent sur les véritables intentions du gouvernement et les réactions de la société Interflex Africard-CI, dirigée par Niamoutié Kouao, qui édite le nouveau Permis de Conduire et qui prétendait ne pas avoir atteint les objectifs qui lui ont été fixés ,d’un millier de permis lorsqu’à la fin de la convention de concession de l’édition des permis de conduire, le ministère des Transports a réclamé la base de données?
Dois-je rappeler que c’est par décret présidentiel que M. Niamoutié Kouao et son associé de la Société Starten ont eu ce marché sous Gbagbo , sur proposition du ministre des Transports d’alors, Kabran Appiah et du Premier ministre d’alors Pascal Affi N’Guessan (actuel président du Front Populaire Ivoirien (FPI) ?
On sait qu’à cette époque, malgré les réticences d’un ministre comme Mabri qui ne voulait pas du permis Interflex, la société avait obtenu la plus grosse part du gâteau dans le partage des ristournes. Dois-je rappeler aussi que ce sont Blé Goudé et Bohoun Bouabré qui avaient introduit Niamoutié Kouaho chez Laurent Gbagbo ?
On découvre aujourd’hui, un peu tardivement, qu’Interlfex n’a pas respecté le nombre de sites d’enrôlement demandés par le gouvernement. Aucun site n’a été ouvert à l’intérieur du pays. De plus, les bases de données n’ont pas été mises à la disposition de l’État par le promoteur qui gère les permis dans une opacité totale. La société prétend que les bases de données, obtenues grâce à une convention avec l’État de Côte d’Ivoire, lui appartiennent et qu’elle n’a pas à les céder à l’État. Elle dispose seule des logiciels et de la capacité de lire les puces contenues dans les permis, refusant de mettre cela a la disposition du gouvernement. Interflex n’a jamais mis à la disposition de l’administration ivoirienne des lecteurs Palmers adaptés, pour la lecture des puces.
Quelle est la stratégie de défense d’Interflex ? Considérant que la meilleure défense, c’est l’attaque, Interflex, sous le prétexte de la défense des droits des consommateurs et pour mieux cacher ses lacunes et ses propres intérêts financiers, a tenté de remettre maladroitement en cause le processus actuel de renouvellement des permis de conduire , faisant montre de courage seulement lorsque le chef de l’État a tapé du poing sur la table, espérant ainsi donné le coup fatal au ministre des Transports .
Qui avait intérêt ( et pourquoi ) à torpiller un processus engagé depuis deux ans, en s’appuyant sur la grogne des Ivoiriens ? Pourquoi, alors qu’on arrivait à la fin du processus, vouloir tout reprendre à zéro, tout arrêter et laisser pour compte les 200 mille personnes ayant renouvelé leur permis, sans oublier les 300 mille autres usagers qui circulent avec le nouveau permis ?
Il est clair qu’il s’agissait pour Interflex, de masquer ses lacunes et de ne pas réduire ses profits. Elle ne souhaite pas mettre fin à cette opacité créée impunément par l’appui politique dont elle avait bénéficié lors du démarrage de l’édition des nouveaux permis , dont le prix était de 25 mille Fcfa à l’époque contre 10 mille Fcfa aujourd’hui.
Alors qu’on attendait qu’Interflex donne des explications, y compris sur la technologie (les puces), la transparence nécessaire dans la gestion des bases de données et le respect de la convention signée avec l’État , elle a choisi, à travers un communiqué, d’ouvrir une polémique, afin de oublier ses lacunes et les failles de son système.
Même si le chef de l’État a suspendu le renouvellement pour y voir un peu plus clair, cette réforme du permis de conduire allait dans le bon sens et elle était souhaitée par tous, y compris les bailleurs de fonds ?
Les causes de la grogne sont connues : des journées perdues pour se faire enrôler , des changement de permis incessants, 200 000 conducteurs qui ont déjà souscrit au nouveau permis et qui ont payé, des injustices nouvelles qui apparaissent, et la somme de 10 mille francs CFA à débourser.
Cette réforme du permis de conduire qui s’inscrivait dans une réforme globale avec, pour l’État un meilleur contrôle du secteur des Transports, avait été pourtant été conduite dans la concertation..De nombreuses observations ont été faites, et des corrections ont été apportées au projet. Aujourd’hui, en plus du nouveau permis et du document de visite technique, les cartes grises, par exemple, sont plus sécurisées. Il est quasiment difficile de vendre un véhicule volé. Il ne faut pas nier que la réforme produit des résultats très positifs. D’autres types de propositions sont en cours pour améliorer la réforme, en mettant, si possible, moins à contribution les usagers et les consommateurs qui font face à la cherté de la vie dans bien d’autres domaines.
L’objectif d’un million de permis à éditer dans le contrat initial avec Inteflex Suisse a-t-il été atteint ? Interflex dit n’avoir pas atteint ce chiffre, alors que tout porte à croire que plus d’un million de permis ont été réalisés durant la période.
Aujourd’hui, – propagées par qui ? – de fausses rumeurs circulent, augmentant la grogne des consommateurs. Voici le genre de fausses rumeurs qui circulent, celle-ci étant relayée par La Lettre du Continent, un support crédible, alors que beaucoup d’informations qui y sont diffusées s’avèrent fausses. Cette fausse information était destinée à nuire au ministre Gaoussou Touré :
« Patron de la filiale du groupe colombien Quipux chargée de gérer le Centre de gestion intégré des documents de transport en Côte d’Ivoire (CGI), Ibrahima Koné est de nouveau sollicité par le ministre ivoirien des Transports pour refaire les permis de conduire de Côte d’Ivoire au motif que les documents actuels, mis en circulation par Quipus en 2014, pour un période de 10 ans, ne sont pas suffisamment sécurisés. Gaoussou Tourén un proche de l’homme d’affaires, vient de faire valider cette procédure par le gouvernement. Les Ivoiriens devront supporter seuls les frais, soit 10 000 FCFA par permis (15 euros). La communication du CGI est assurée par la société First Communication, dirigée par Mariam Touré, la fille du ministre Gaoussou Touré. »
Rien de tout cela n’est vrai. Mais, la Lettre du Continent a pris l’habitude de ne pas vérifier ses sources.
Les permis de conduire mis en circulation par Quipux, depuis la réforme, ne sont pas concernés par le renouvellement en cours. La sécurisation de ces permis, qui ne sont pas à puce mais avec un code à barre et un holograme infalsifiable, ne pose aucun problème. Les permis à changer ne concernent que les retardataires titulaires des permis à trois volets et les permis format des cartes de crédit, produits par Starten-Interflex pendant des années.
Quipux est une société de droit ivoirien, – de droit OHADA, devrais-je dire – avec l’État qui y détient des parts, afin d’éviter les conflits d’intérêts et empêcher que la réforme ne servent que les intérêts financiers de sociétés privées. Il me semble que Quipux a parfaitement rempli son rôle, contrairement à Interflex.
Ce qui était en jeu, c’était la sécurité des Ivoiriens dans un secteur aussi stratégique que les Transports , et non un business personnel d’un membre du gouvernement. Et le chef de l’État qui connaît bien la situation, ne s’est pas laissé abuser outre mesure , au delà de la suspension du renouvellement obligatoire.
Les débats sur le permis de conduire se sont déroulés dans un climat malsain qui se nourrit des réactions à chaud des uns et des autres, ainsi que sur des accusations gratuites et des rumeurs sans aucun fondement.
Ce dossier a été révélateur de ce qui a été pendant longtemps la manière de gouverner en Afrique et des lacunes des sociétés africaines. Sommes-nous capables de prendre des décisions fermes, afin de mettre fin à certains scandales ? Pouvons-nous mettre fin aussi aux conflits d’intérêts qui voient se mélanger la sphère publique et la sphère privée ? Le droit des affaires, tel qu’il est défini par l’OHADA, peut-il être respecté ?
Aller vers l’émergence suppose un débat public de qualité, une volonté de transparence chez tous les acteurs de l’économie, de la société et du politique. Les Ivoiriens aujourd’hui, comme dans tous les pays, semblent s’interroger sur la capacité des hommes politiques à réformer le pays, à améliorer leurs conditions de vie. On sent monter un mécontentement lié à l’incapacité de ceux qui nous gouvernent à communiquer. On le voit sur un autre sujet : la grève des étudiants et les rumeurs de viol de 4 étudiantes lors de la descente des forces de police au campus de Cocody. D’un côté, les rumeurs que fait circuler Interflex, de l’autre, les déclarations du FPI.
Or, chacun sait ce que trame Interflex et ce que veut le FPI : accroître le mécontentement des Ivoiriens, créer un front social.
Face à cette situation, le gouvernement se devait de ne pas garder le silence, ni laisser les choses s’enliser ou simplement nier , d’où la mesure de suspension décidée par le chef de l’État le 1er Mai sur proposition du premier ministre, et du ministre des Transports.
Les Ivoiriens ont conscience que les choses s’améliorent, mais ils disent aussi que beaucoup reste à faire.
Si nous voulons une société réconciliée, apaisée, et des comportements responsables fondés sur une conscience citoyenne, dans tous les domaines, la transparence est nécessaire.
Un seul exemple: fallait-il plaider la gratuité du renouvellement permis de conduire ? La gratuité n’existe pas. Il faut bien que quelqu’un paie. L’État, me direz-vous ? Mais, l’État, c’est le contribuable, donc vous et moi qui payons à la fin. La réforme profite à tous, pas à un ministre. Elle prendra plus de temps que prévu, notamment pour parvenir à l’harmonisation en vue de faire circuler un seul type de permis dans le pays, d’ici une dizaine d’années, au lieu de fin 2016.
Bogui Pascal , opérateur économique
Les commentaires sont fermés.