On ne lutte pas contre les terroristes avec des militaires mal formés et équipés de gris-gris
PRAO Yao Séraphin
«Il n’y a point de grand conquérant qui ne soit de grand politique. Un conquérant est un homme dont la tête se sert, avec une habilité heureuse, du bras d’autrui»
(Voltaire)
Les Etats du continent ne parviennent pas à trouver la stabilité et la sécurité nécessaires à leur développement, malgré les efforts entrepris depuis plusieurs années. Les menaces sont multiples : la persistance des conflits internes et des rebellions locales, la menace du terrorisme djihadiste et le développement du crime organisé.
Pays pacifique et ouvert, la Côte d’Ivoire se doit d’assurer sa sécurité intérieure et extérieure alors que la situation internationale et le développement de la criminalité exigent une vigilance accrue et sans défaillance. La sécurité est devenue dans ce siècle un élément de la liberté. Certes, la sécurité n’est pas la liberté. Mais en un sens la sécurité est une condition de la liberté. Dans un pays, la sécurité des biens et des personnes doit être assuré par les forces de sécurité. La défense du pays étant assurée par l’armée. Face au terrorisme actuel, notre pays reste fébrile et fragile. Les raisons sont simples : notre armée n’est pas unie, les militaires sont mal formés et sous-équipés. La nouveauté enregistrée au sein des FRCI, c’est de croire que sans formation et équipements, ils pourront arriver à bout des terroristes. L’ambition de cette réflexion est nette, il s’agit de montrer les failles d’une armée que le président Ouattara compare aux forces de défenses des pays développés.
La Côte d’Ivoire n’a pas d’armée mais une juxtaposition de forces
La Côte d’Ivoire n’a pas une armée nationale unie. Une armée a ses codes, ses langages et ses pratiques. La place de l’armée est historique et stabilisatrice d’une nation. Elle doit rassurer le peuple sur le plan sécuritaire de la région. Le peuple a besoin de la paix pour vaquer à ses activités. Or, notre armée est profondément divisée. On se pose toujours la question de savoir s’il existe une armée en Côte d’Ivoire dans le sens d’une armée unie et prête à faire face à une attaque extérieure. L’armée devra être unie dans sa composition, et démontrer qu’elle pourra marcher au pas pour protéger la nation. Les ivoiriens ont le sentiment que l’armée actuelle est le prolongement des Forces Nouvelles. D’ailleurs l’appellation FRCI est fortement connotée. Il est urgent de revenir à l’ancienne appellation : FANCI. D’ailleurs, réunis du 1er au 2 septembre 2011, les militaires ivoiriens ont longuement réfléchi sur ce que doit être la nouvelle armée nationale. A l’issue de toutes les réflexions menées, la grande muette ivoirienne a souhaité ne plus s’appeler Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) mais plutôt Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), son appellation originelle. Pour l’heure, c’est une armée incapable de protéger les Ivoiriens. Ce sont les militaires français qui ont chassé les Djihadistes des plages de Grand-Bassam, là où on attendait les super-héros de 2011. Dans les affrontements à Bouna, ce sont les forces onusiennes qui ont pris le contrôle de la ville. Et pourtant, on attendait toujours ceux qui bandaient hier les muscles avec leurs gris-gris au cou comme des artistes américains. Les ivoiriens ne voient point l’héroïsme tant vanté des caporaux devenus des colonels de l’armée ivoirienne. C’est en pareille situation que l’Histoire leur donne l’occasion de montrer que les grades sont le fruit de l’effort et le courage. Mais les Ivoiriens ont attendu vainement les prouesses de nos redoutables militaires.
Les cinq conditions pour construire une armée forte en Côte d’Ivoire
Un pays doit avoir une armée forte. C’est le Président Obama qui disait en 2009, recevant le prix Nobel de la Paix, à Oslo, « il y a des cas où des nations (…) jugeront le recours à la force non seulement nécessaire mais moralement justifié ». L’enseignement du Président Américain est de dire qu’un pays doit avoir une armée bien entrainée pour préparer les batailles jugées moralement justifiées. Mais le Président Obama n’a pas dit qu’il fallait une armée composée d’illettrés, de fervents croyants en leurs gris-gris. Une armée doit remplir les cinq conditions suivantes.
Première condition : une armée doit privilégier la formation et la stratégie
Dans les écrits de Napoléon Bonaparte, grand stratège et tacticien hors pair, on retrouve quelques idées très claires. En stratégie et en tactique, a-t-il écrit, il n’y a pas de « si », il n’y a que des « car ». Il a affirmé et répété n’avoir jamais eu de révélations géniales. Ce qu’il a ordonné spontanément était toujours le résultat d’une profonde méditation. Tous les cas, toutes les possibilités, il les avait étudiés. Il continue pour dire que la guerre est un art simple et tout d’exécution parce que toutes les situations ont été réfléchies et longuement méditées. A la guerre, il n’y a ni hasard ni improvisation. Celui qui n’a pas de formation ne peut donc pas mettre en place une bonne stratégie.
Or la stratégie militaire a un sens bien précis. Elle est la concrétisation de la politique de défense définie par les autorités militaires au plus haut niveau. Elle se traduit par la conception, la mise sur pied, l’organisation et la mise en œuvre des moyens militaires en vue d’atteindre les objectifs définis par la stratégie globale. La stratégie générale militaire interagit par conséquent avec les autres stratégies générales. Cependant son élaboration est bien dans le domaine de compétence des forces armées.
Deuxième condition : une armée bien équipée
Sans équipements, moyens de communication, de déplacement et da puissance de feu, comment vaincre ? Selon les quotidiens ivoiriens, les forces spéciales ivoiriennes manquent d’équipement. C’est d’ailleurs l’une des causes des pertes enregistrées au niveau de ce régiment. Il est impossible de demander à un militaire d’aller déraciner un baobab, avec un couteau à la main. C’est ridicule pour un pays qui se veut émergent. C’est avec un équipement moderne que nous arriverons à construire une armée redoutable et efficace. Mais qu’on se mette d’accord, l’équipement dont nous parlons n’a rien à voir avec les gris-gris que nos dozos affectionnent tant. Sur le terrain, l’armée la plus résolue et plus opérationnelle est celle qui est mieux équipée. C’est avec des équipements modernes et des entrainements réguliers, que notre armée pourra protéger le pays des attaques éventuelles. C’est dire qu’on ne se calfeutre pas dans sa base et contempler ses équipements comme des bibelots.
Troisième condition : le renseignement militaire
Il est admis qu’un général ne doit rien négliger pour être instruit des mouvements de l’ennemi, et employer à cet effet des reconnaissances, des espions, des corps légers conduits par des officiers capables. Mais le renseignement militaire s’attache en priorité au renseignement opérationnel, c’est-à-dire relatif à la conduite d’opérations militaires. Il peut donc être de différents niveaux : stratégique, opérationnel et tactique.
Quatrième condition : l’armée doit être républicaine
Les agents de la force armée ne doivent pas être considérés comme des bruts toujours cités dans des affaires de répression vis-à-vis des populations. Ils doivent plutôt être perçus comme les premiers partenaires des civils pour mieux garantir leur sécurité. Or c’est la triste réalité que nous constatons en Côte d’Ivoire. Les ivoiriens sont en insécurité avec les FRCI. Ils tuent, violent, rackettent les populations. Une armée doit être au service d’un pays et non au service d’un Homme. L’armée Burundaise est aujourd’hui citée en exemple. Réformées dans le cadre des accords d’Arusha qui ont mis fin à la guerre civile en 2003, les Forces de défense nationale (FDN), sont le résultat d’une longue et douloureuse intégration des milices qui ont saccagé le pays pendant dix ans. Tandis que les Forces armées burundaises (FAB), qui existaient auparavant, étaient composées en majorité de Tutsis, les nouvelles FDN ont dû répartir l’ensemble des forces à égalité exacte entre les deux ethnies hutue et tutsie, tel que stipulé dans les accords. Entraînées par les Occidentaux, les FDN ont depuis incarné le succès d’Arusha en participant à plusieurs missions de maintien de la paix de l’ONU en Somalie (Amisom) et Centrafrique (Minusca).
Cinquième condition : des éléments disciplinés et remplis de volonté
L’épaisseur d’un rempart compte moins que la volonté de le défense. Cette citation de Thucydide est remplie de sens et de portée. En clair, le courage et la volonté de ceux qui combattent conditionnent la victoire. C’est pourquoi ceux qui composent l’armée doivent être la photographie du corps social. Et pourtant c’est la plaie de notre armée actuelle. C’est une armée clanique et divisée. Les nominations sont devenues fantaisistes à tel point que l’indiscipline est devenue la règle au sein de l’armée. Ces dernières années, les nominations au sein de l’armée ont pris une allure de récompense de guerre. Le manque de formation aux droits et devoirs du militaire, le non- respect de la population civile, le dysfonctionnement dans la chaîne de commandement, l’attachement d’une frange d’ex -rebelles à leurs chefs de guerre et le mode de recrutement complaisant, conduisent à une indiscipline généralisée au sein de notre armée. La non- application du profil de carrière et la question des avancements démotivent et renforcent cette indiscipline.
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