Réforme annoncée de la Constitution – Le juriste et analyste politique Geoffroy Kouao propose l’Etat fédéral et le régime parlementaire
Geoffroy-Julien Kouao est analyste politique, juriste et professeur des universités. Il est l’auteur de plusieurs tribunes dans des journaux ivoiriens. Présent à Grand Bassam le samedi 26 mars 2016, il a déposé une gerbe de fleur à la mémoire des victimes de l’attaque terroriste. Après ce geste, il a entretenu les journalistes sur des sujets se rapportant à l’édification de la nation ivoirienne. En particulier la réforme constitutionnelle annoncée. Pour lui, c’est l’occasion ou jamais pour adapter notre loi fondamentale au contexte nouveau. Ci-après ses propositions en différents points
• Pourquoi changer la nature du régime et la forme de l’Etat en Côte d’Ivoire
Nous sommes confrontés aujourd’hui à un défi sécuritaire. Ce défi sécuritaire vient s’ajouter aux autres défis déjà existants. Le défi social avec le chômage endémique des jeunes, le problème de la cohésion sociale donc le défi politique. Je pense que pour relever ces défis, nous devons nous inscrire dans la réflexion. Nous devons penser à remodeler l’organisation et le fonctionnement de notre société. Il nous faut réinventer l’Etat et je pense que la réforme constitutionnelle annoncée par l’exécutif parait comme une opportunité. Cette réforme doit être l’occasion de redéfinir la nature de notre régime politique et la forme de notre Etat.
Nous devons arrêter de confier, au regard des nombreux défis qui sont les nôtres, l’entièreté du pouvoir entre les mains d’une seule personne. Autrement dit, le régime présidentiel devient à mon sens un non-sens. Il devient obsolète. Il faudrait que nous pensions, dans le cadre de la réforme à venir, à nous inscrire dans un régime parlementaire qui va permettre une gestion collégiale du pouvoir d’Etat pour mutualiser les intelligences afin de répondre aux nouveaux défis.
Mais ceci n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin. Pour créer la justice sociale, la cohésion nationale au niveau des entités locales sur l’ensemble du territoire national. Il faudrait que nos autorités locales, nos organes décentralisés aient plus de moyens sur le plan sécuritaire, politique et économique pour pouvoir répondre aux nouvelles attentes créées par le terrorisme, le chômage et la fracture sociale. Pour y arriver nous devons dans le cadre de la réforme constitutionnelle, penser à un Etat fédéral, avec des entités fédérées qui auront plus de pouvoirs sur le plan local pour amener les Ivoiriens vers la prospérité et vers la sécurité. La réforme constitutionnelle annoncée ne peut être l’affaire du seul pouvoir Exécutif. C’est pourquoi l’Exécutif doit dès maintenant essayer de prendre en compte toutes les propositions et ouvrir le débat sur la question.
• La réforme constitutionnelle, une affaire de tous
Nous faisons des propositions qui vont participer à la construction de l’édifice théorique de la réforme constitutionnelle. Pour le moment, rien n’est défini. Mais l’Exécutif a nommé une personnalité pour conduire la réflexion et nous sommes prêts à y participer. Nous faisons à notre niveau des propositions qui peuvent améliorer l’image politique, économique et sociale de la Côte d’Ivoire. Si on devait seulement s’arrêter, comme l’écrivent certains journaux, à instaurer un poste de vice-présidence ou bien simplement à revoir les conditions d’éligibilité du président de la République, nul besoin d’entrer dans une troisième République. Une simple révision constitutionnelle aurait suffi. Ce ne serait pas de trop. La constitution est l’affaire de tout le monde. Elle est la base juridique de l’organisation et du fonctionnement de l’Etat. Tout le monde est donc concerné. On ne peut pas lancer un projet d’une telle envergure de façon solitaire, il faut associer toutes les intelligences. Dans tous les cas, nous, intellectuels, notre contribution c’est d’avancer des idées, c’est de donner des pistes de réflexion. Et je pense que le régime parlementaire et l’Etat fédéral sont des pistes de réflexion à étudier et à approfondir.
• Avantages d’un régime parlementaire et d’un Etat fédéral
Regardons bien. Prenons le cas de l’Etat fédéral sans rentrer dans les détails. La première puissance économique du monde, c’est les Etats-Unis et c’est une fédération. La première puissance économique du Mercosur, c’est le Brésil et c’est une fédération. La première puissance économique de l’Europe, c’est l’Allemagne et c’est une fédération. Les deux premières puissances économiques de l’Afrique, c’est le Nigeria et l’Afrique du Sud et ce sont des fédérations. C’est déjà suffisant pour vous montrer la pertinence d’une telle idée. Quant au régime parlementaire, la plupart des grandes démocraties européennes sont des régimes parlementaires. Le pays qui marche le mieux en Afrique, le Cap Vert est un régime parlementaire. La stabilité de l’Ethiopie est due à son régime parlementaire. Donc il faut essayer. Dans tous les cas de figure, le régime présidentiel a montré ses limites dans notre cas. Le culte de la personnalité, la concentration du pouvoir entre les mains d’une seule personne en sont les manifestations, pas parce que le dirigeant veuille tous ces pouvoirs mais la Constitution les lui donne.
N’oubliez pas que toutes les crises ivoiriennes sont parties de l’élection présidentielle, donc de la lutte pour le pouvoir. Parce que le poste de président est un poste quasi divin en Côte d’Ivoire. Il faut donc remédier à cela en trouvant une solution sur le plan juridico-politique. C’est le régime parlementaire.
• Le régime parlementaire comme palliatif à la faillite du régime présidentiel
Le régime parlementaire va évidemment rapprocher le pouvoir des populations. Il va permettre l’émergence de plusieurs intelligences politiques qui vont contribuer à l’éducation des masses populaires. Avec le régime parlementaire, nous sommes en plein dans le système libéral. L’un des piliers du système libéral, c’est l’expression plurielle, l’indépendance totale de la presse, la libéralisation de l’audiovisuel. L’émergence de nouveaux médias tels internet va permettre aux intellectuels, aux sachants, à la société civile de jouer leur rôle qui est celui de l’éducation des masses populaires.
Vous avez parlé du Niger, c’est vrai. C’est un cas regrettable mais notre système présidentiel n’a jamais marché. Il faut changer. Il faut une refonte totale de la constitution. Parce que dans un Etat confronté à une situation de crise extrêmement grave et où il n’y a pas de perspectives réelles, c’est la Constitution qu’on interroge. C’est le droit qu’on interroge. Le droit doit venir au secours de la politique. C’est ce qui a été fait en France lors de la crise de la décolonisation ou pendant la guerre d’Algérie. C’est avec le droit que le général De Gaulle a réglé les questions. Je pense que l’initiative du gouvernement est à saluer, la 3e République est salutaire mais il faudrait lui donner du contenu et de la contenance. On ne change pas de République pour des réformes minimes telles l’instauration d’une vice-présidence ou la révision des conditions d’éligibilité du président de la République. Il faut aller plus loin, il faut oser. C’est l’audace idéologique qui féconde l’action politique.
Les commentaires sont fermés.