Par Hamidou Anne, chroniqueur du Monde Afrique et membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.
Incontestablement, la France était l’une des cibles du carnage du dimanche 13 mars en Côte d’Ivoire. Le communiqué d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) revendiquant l’attaque de Grand-Bassam en témoigne. Faut-il pour autant trier les victimes, séparer les Français des autres, comme l’ont fait certains médias avec indécence ?
Le commando terroriste de Grand-Bassam ne tirait pas en prenant soin de regarder la couleur de peau de ses victimes. Non, ces gens étaient venus assassiner en masse, mettre en scène leur violence, nous faire peur, mourir en donnant la mort. Tout, dans leur projet, est effroyable. Leur seul ennemi, c’était la vie, identités et origines confondues.
Du fait de leur faiblesse, nos Etats d’Afrique sont plus exposés aux assauts des terroristes. Leur économie en pâtit. La Tunisie, par le coup asséné au tourisme, ressource importante pour le pays, continue de payer un lourd tribut à cette guerre. Le Burkina Faso, le Mali, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et tous les pays de la zone subissent de plein fouet le développement de cette internationale djihadiste.
Si l’exercice d’identification des victimes est nécessaire, ne serait-ce que pour rendre les corps aux familles éplorées, s’acharner dans une incompréhensible distinction entre victimes africaines et européennes est absurde. A quoi bon cet inventaire scandaleux pour voir qui est noir, blanc ou jaune ? C’est notre humanité qui est touchée dans son ensemble. Il n’y a pas de sous-morts ou de morts banales. Il y a des vies perdues, des familles qui souffrent et des pays davantage exposés à la menace terroriste.
Les Ivoiriens ne sont pas des dommages collatéraux
Trois jours après l’horreur de Grand-Bassam, qu’on laisse au moins à la Côte d’Ivoire un délai de décence et lui permettre de pleurer ses morts dans la dignité et le recueillement qu’impose le deuil. D’ailleurs, selon un média français, les quatre Français tués vivaient dans le pays. Ils sont ainsi indéniablement dans le lot des morts ivoiriens.
Les victimes ivoiriennes ne sont pas des dommages collatéraux de ceux qui voulaient tuer des Européens. A Sousse, à Abidjan ou encore à Ouagadougou, les victimes africaines étaient des cibles et non des morts par accident, présents au mauvais endroit, au mauvais moment. Il ne faut pas non plus oublier que les auteurs de ces barbaries sont aussi des vies perdues par le continent. Ce sont des jeunes africains radicalisés, pris dans une spirale du mal, qui tuent pour imposer un obscurantisme qui leur est inoculé par des marchands de mort.
L’Afrique n’est pas une victime par défaut de l’islamisme radical. Le terrorisme islamiste à un agenda africain propre. Dans le Sahel, les hommes de Mokhtar Belmokhtar, comme tant d’autres groupes armés, se chargent de distiller la terreur au nez et à la barbe des Etats souvent désarmés face à un ennemi de cette envergure. Au Nigeria et dans le nord du Cameroun, c’est Boko Haram, rebaptisé Etat islamique en Afrique de l’Ouest, qui sème la mort.
L’implication française dans les enjeux géopolitiques, à travers les opérations « Serval » et « Barkhane » notamment, est indéniable et place la France comme une cible privilégiée d’AQMI. Mais les morts de Grand-Bassam sont d’abord des victimes ivoiriennes. C’est ce pays frère qui est touché. Notre devoir de solidarité au peuple ivoirien et d’indignation face à la barbarie terroriste doit être absolu.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.
Par Hamidou Anne
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