Par Laura Martel
L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et son bras droit Charles Blé Goudé sont actuellement poursuivis devant la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes contre l’humanité présumés, commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011. La grande absente du procès, c’est Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien chef d’Etat, recherchée par la CPI pour son implication présumée dans les mêmes crimes. Mais la Côte d’Ivoire a préféré juger elle-même l’ex-première dame. Condamnée à vingt ans de prison, il y a un an jour pour jour, elle pourrait bientôt être poursuivie pour crimes de sang devant la cour d’assises.
Quand le verdict tombe il y a un an, le 10 mars 2015, c’est la surprise. Le parquet avait requis dix ans de prison. Le jury condamne Simone Gbagbo à vingt ans fermes et dix ans de privation de droits civiques, pour plusieurs chefs d’accusation, dont atteinte à la sureté de l’Etat, pour son implication dans la crise post-électorale. Les jurés ont donc estimé que, loin de se cantonner à un rôle honorifique, la première dame était une pièce maitresse du pouvoir Gbagbo.
Ancienne syndicaliste, co-fondatrice du FPI et longtemps députée de la commune d’Abobo, Simone Gbagbo s’est elle-même toujours investie en politique. Celle qu’on surnommait « La dame de fer » n’hésitait pas à se prononcer sur des décisions d’Etat quand son mari était au pouvoir, quitte parfois à le mettre en porte à faux. C’est le cas par exemple en 2008, lorsqu’elle explique qu’il faut revoir l’accord de Ouagadougou, signé tout juste un an plus tôt, entre le président Laurent Gbagbo et Guillaume Soro pour les Forces nouvelles.
« Les solutions qui ont été trouvées par les accords de Ouagadougou sont des solutions qui sont onéreuses. Il faut que nous acceptions de revisiter ces accords de Ouagadougou. Si nous acceptons dès maintenant de nous asseoir, de revenir à des considérations beaucoup plus réalistes, en tenant compte des capacités réelles de notre Etat, à ce moment-là, nous allons trouver des solutions », déclare-t-elle alors.
Un premier procès critiqué
Le procès qui a abouti à sa condamnation le 10 mars 2015 a essuyé de nombreuses critiques. A l’énoncé du verdict, la défense de Simone Gbagbo a accusé la justice ivoirienne de ne pas être impartiale. « Vingt ans, si ça repose sur des faits, sur des preuves, nous pouvons l’accepter. Mais ça a été fait à la tête du client. Si nous sommes abattus, ce n’est pas parce que ce sont des condamnations de vingt ans, c’est parce que le droit n’a pas été dit », a déploré Me Mathurin Dirabou, l’un des avocats de l’ex-première dame.
De son côté, l’ONG Human Rights Watch a dénoncé un procès « inéquitable », mais aussi « insuffisant », puisqu’il n’abordait que des crimes contre l’Etat et non contre des personnes. Juger Simone Gbagbo pour crimes de sang, c’est ce que cherche à faire la Cour pénale internationale. En 2012, un mandat d’arrêt a été lancé contre elle pour les mêmes crimes que ceux pour lesquels Laurent Gbabgo et Charles Blé Goudé sont actuellement jugés.
« Madame Gbagbo, selon nous, est l’un des co-auteurs indirects responsables des crimes contre l’humanité qui ont été commis, au même titre que M. Laurent Gbagbo et M. Charles Blé Goudé, même dans la mise en œuvre et dans les détails il y a des nuances », souligne Pascal Turlan, conseiller au bureau du procureur de la CPI. « Madame Gbagbo, comme cela a été expliqué dans le mandat d’arrêt, était impliquée dans l’adoption du plan commun qui a mené à la commission des crimes ; elle avait évidemment conscience que la mise en œuvre de ce plan aboutirait à la commission des crimes; et elle a elle-même contribué à cette mise en œuvre. Elle a discuté de la mise en œuvre de ce plan, elle en a assuré la coordination, elle a joué un rôle dans le recrutement, dans l’instruction des membres de la galaxie patriotique, dans leur intégration au sein des forces de défense et de sécurité. Elle a exercé, selon nous, un contrôle sur les crimes, elle avait le pouvoir de contrôler les milices de jeunes, elle a donné les faits des instructions, donc voilà un certain nombre d’éléments qui expliquent sa responsabilité dans les crimes pour lesquels nous souhaitons la poursuivre », explique-t-il.
Refus de transfèrement à la CPI
Mais malgré les demandes répétées de la CPI, la Côte d’Ivoire refuse jusqu’à présent de transférer Simone Gbagbo. Pour Abidjan, la CPI n’a pas à se substituer à la justice ivoirienne qui a prouvé, avec le procès de l’an dernier, qu’elle faisait son travail. Ce n’est pas l’avis des victimes représentées au procès de La Haye, qui déplorent cette absence de l’ex-première dame sur le banc des accusés.
« Les victimes considèrent qu’il y a eu essentiellement trois grands responsables dans la crise post-électorale : M. Gbagbo, Mme Gagbo et M. Blé Goudé. Et donc elles se disent que le fait que Mme Gbagbo soit absente ne permettra pas de comprendre entièrement le rôle qu’elle a joué dans la crise post-électorale », souligne Paolina Massidda, représentante des victimes. « La deuxième chose c’est qu’elles considèrent que les évènements pour lesquels Simone Gbagbo a été jugée en Côte d’Ivoire ne sont pas les mêmes évènements de la crise post-électorale que ceux jugés par la CPI. Donc elles considèrent que la justice ivoirienne, de facto, n’a pas jugé Mme Gbagbo pour les évènements de la crise post-électorale, et elles craignent que cela ne puisse pas être fait pas la justice nationale. Donc de rester sans alternative quant au fait que la justice puisse être rendue ».
Un nouveau procès pour crimes de sang ?
Malgré ces craintes exposées par les victimes, la justice ivoirienne pourrait bien juger très prochainement Simone Gbagbo pour des crimes de sang. On l’a appris ce mercredi : la chambre d’accusation a rendu, en janvier, un arrêt pour son renvoi devant la cour d’assises, justement pour de tels crimes présumés commis pendant la crise post-électorale. Ses avocats se sont immédiatement pourvus en cassation. Ce sera donc à la Cour suprême de trancher, lors d’une session prévue le 17 mars prochain.
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