«Probo Koala», le silence coupable de Gbagbo qui l’incrimine
L’affaire du « Probo Koala » est l’un des dossiers judiciaires les plus énigmatiques que la Côte d’Ivoire ait connu. En 2006, ce navire affrété par l’armateur Trafigura accostera au Port Autonome d’Abidjan pour vider son contenu toxique, faisant 17 morts et des milliers de victimes. Mais pourquoi le président ivoirien de l’époque, Laurent Gbagbo a-t-il laissé faire ?
L’affaire du « Probo Koala » a mis à nu la cupidité des dirigeants.
L’affaire du « Probo Koala », c’est l’histoire d’un navire transportant « la mort » dans ses cales. Au cours de l’année 2006, il quittera les eaux néerlandaises pour prendre pied au Port Autonome d’Abidjan. Dans sa besace, plus de 70 tonnes de produits liquides et solides mortels. Plusieurs camions citernes seront par la suite dépêchés pour décharger le produit litigieux avant de le déverser sur certains sites du district d’Abidjan. La besogne terminée, les auteurs de cet acte odieux prendront le chemin du retour comme si de rien n’était. Nous sommes en septembre.
Au réveil, les Ivoiriens commenceront à flairer l’odeur plus que nauséabonde des produits qui ont été disséminés dans la lagune Ebrié et à la décharge d’Akouédo notamment. Dix-sept personnes perdront la vie dans les jours qui suivront et les hôpitaux seront pris d’assaut par les populations. On dénombrera des milliers de malades. Cette histoire rocambolesque sera appelé tout simplement l’affaire des déchets toxiques. C’est le début d’un feuilleton « hilarant » et ahurissant. Qui a fait quoi ?
A cette période, c’est le régime de la « Refondation » dirigé par Laurent Gbagbo qui était aux commandes du pays. Prenons le scénario suivant : un navire entre sur votre territoire, accoste au sein de votre plus grand port, décharge des produits pas comme les autres sur votre sol et retourne sans être inquiété. Un tel cas de figure est vraiment digne d’un film de science-fiction, pourrait-on dire. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Ni l’administration du port d’Abidjan ni celle des Douanes ivoiriennes, encore moins les services du Ministère des Transports et même au sommet de l’Etat, de la Présidence de la République ivoirienne n’a eu vent de tout ce manège. Alors qu’on s’attendait à ce que le chef de l’Etat ivoirien engage des poursuites judiciaires non seulement contre les autorités locales mais aussi Trafigura, c’est plutôt le « silence bruyant » qui a été observé par le locataire du palais présidentiel.
Au contraire, l’Etat de Côte d’Ivoire a accepté de toucher 100 milliards de FCFA venant de la part du propriétaire du bateau, en échange de l’abandon de poursuites judiciaires. Incroyable mais vrai, dira-t-on ! Pour calmer les ardeurs des populations qui crient justice, il sera organisé des « pseudo-auditions » au cours desquelles Marcel Gossio (le directeur général du port autonome d’Abidjan), le Colonel-major Gnamien Konan (Douanes ivoiriennes), le ministre Anaky Kobena (Transports) ou encore Pierre Djédji Amondji (Gouverneur du district d’Abidjan) passeront tour à tour devant l’Assemblée nationale ivoirienne alors dirigée par Mamadou Koulibaly pour se prononcer sur l’affaire du Probo Koala. A l’écoute de leurs versions des faits respectives, l’opinion publique est formelle : il faut qu’ils soient purement et simplement démis de leurs fonctions, comparaissent devant les tribunaux avant d’être condamnés.
Affaire du Probo Koala, Gbagbo a encouragé l’impunité
Coup de théâtre ! Aucun d’entre eux ne comparaîtra devant une juridiction ivoirienne. Il va de soi que personne n’ait été condamnée. Mieux ou pis, ils ont tous été reconduits à leur poste. Gbagbo et ses collaborateurs se sont plutôt attelés à réfléchir sur la redistribution de la manne financière à leur accorder par Trafigura, soit 100 millions de francs CFA par famille de défunts. Quant aux autres, une « grille salariale » a été établie. De nombreuses organisations des victimes des déchets toxiques se mettront en place comme par enchantement, les entremetteurs aussi. Vive l’arnaque ! La suite, on la connaît : des milliards de FCFA ont été détournés et éclabousseront même certaines personnalités bien des années après. Le cas du ministre de l’Intégration africaine dans les premières années d’Alassane Ouattara au pouvoir, Adama Bictogo (accusé d’avoir empoché 600 millions de francs CFA) est un cas assez rare pour être signalé. Mais faut-il rappeler que l’homme n’a jamais été ni écroué ni condamné.
Près d’une décennie après, l’affaire du « Probo Koala » n’a toujours pas été résolue. Les indemnisations des victimes ne sont pas encore achevées. On a oublié les morts en se focalisant sur le « butin ». En plus d’avoir oublié les morts de cette tragédie, on a foulé leur mémoire au pied. Le dernier fait en date corrobore cette thèse. Il s’agit entre autres du rachat du réseau de stations-services (une quarantaine) de la société nationale d’opérations pétrolières de Côte d’Ivoire (Petroci) par Puma Energy, une filiale de Trafigura, l’affréteur du « Probo Koala », le navire de la mort. Au nom du lien qui l’unissait aux personnes directement incriminées, Laurent Gbagbo s’est tu et a fermé les yeux sur ce drame. C’est donc un complice de fait pour non-assistance à personne en danger. L’actuel homme fort de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a, quant à lui, fait mine d’oublier l’histoire en bradant une grande partie de l’un des symboles de l’économie ivoirienne au tueur des Ivoiriens. Vrac ! Triste réalité !
Richard Le Guerinec
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