Par Jean-Claude Djereke
Depuis quelque temps, les soi-disant disciples d’Houphouët parlent d’Ivoirien nouveau, soutiennent que l’Ivoirien devrait désormais être ceci ou cela. Et j’ai envie de dire: “honni soit qui mal y pense” car tirer les habitants d’un pays vers le haut, les inviter à passer “de la médiocrité à l’excellence” (Ebénézer Njoh-Mouelle) n’est pas une mauvaise chose.
Mais les Ivoiriens qui ont 30 ans et plus se rappelleront certainement cette phrase d’Houphouët selon laquelle “la paix n’est pas un simple mot mais un comportement” et que l’on pourrait traduire de la manière suivante: les actes ne doivent pas jurer avec les paroles, agir est aussi important que discourir tant il est vrai que “l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou, s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins”. Le premier président de notre pays avait-il lu l’allocution adressée par le pape Paul VI aux membres du Conseil des laïcs, le 2 octobre 1974 et reprise dans “Evangelii Nuntiandi” (exhortation apostolique sur l’évangélisation dans le monde moderne, n. 41)? Je ne saurais le dire. Ce que je puis affirmer, et c’est le message porté par la présente réflexion, c’est que le concept d’Ivoirien nouveau n’est rien d’autre qu’un slogan creux. Je le considère même comme un opium destiné à endormir les Ivoiriens. Mystifier nos compatriotes, anesthésier leur conscience pour mieux les plumer et les appauvrir, telle est en effet la vraie motivation de ceux qui usent et abusent de ce concept.
Pourquoi s’agit-il d’un slogan creux? Parce que le comportement des Houphouëtistes est aux antipodes de ce qu’ils prêchent, jour et nuit. Et il ne sera guère difficile de trouver des exemples pour étayer notre thèse. Le premier exemple est la naturalisation de Blaise Compaoré dont le but est de permettre à l’ancien dictateur d’échapper à la justice burkinabè qui désire connaître la vérité sur la mort de plusieurs Burkinabè parmi lesquels Thomas Sankara, Jean-Baptiste Lingani, Henri Zongo, Clément Oumarou Ouédraogo et le journaliste Norbert Zongo. Peut-on vouloir en même temps la fin de l’impunité et chercher à soustraire à la justice un individu qui, en plus d’avoir fait couler le sang dans la sous-région (Liberia, Sierra Leone, Burkina, Côte d’Ivoire et Mali), s’est enrichi en volant et en pillant à droite et à gauche? Les Balla Keita, Boga Doudou, Désiré Tagro, Dali Obré, Dagrou Loula, Marcelin Yacé et le Français Philippe Rémond assassiné le 31 mars 2011 par les forces fidèles à Dramane Ouattara pour avoir fustifgé le néocolonialisme de la France sont-ils moins importants que Robert Guei et ses proches? Leur vie et leur mort ont-elles moins de valeur? Ceux qui estiment que le moment est venu d’abandonner les mauvaises habitudes ne devraient-ils pas se battre pour que justice soit rendue aux familles de tous ceux qui sont morts dans des conditions atroces pendant le long règne de Compaoré?
Mon second exemple est Yamoussoukro qui se dégrade de jour en jour. Le paradoxe est que Laurent Gbagbo est le seul président ayant essayé de redorer le blason de cette ville alors que, au départ, il n’était pas d’accord avec le projet de faire du village de Félix Houphouët la capitale politique de notre pays. Malheureusement, le néocolonialisme français et ses laquais locaux ne lui laissèrent pas le temps d’achever ce qu’il avait si bien entamé. Il peut toutefois, et ce n’est pas son seul mérite, se réjouir de n’avoir pas succombé à la tentation de faire de Mama la nouvelle capitale du pays comme l’autre qui, en s’occupant plus de son village que de Yamoussoukro, fut soupçonné de vouloir effacer les traces du “Vieux”. Ce que je veux mettre en évidence ici, c’est que le RHDP donne souvent l’impression que c’est uniquement “dans la bouche” qu’il est houphouëtiste.
Troisèmement, on veut que les Ivoiriens tournent le dos à la violence, qu’ils ne règlent plus leurs inévitables contradictions et conflits par la force. Or qu’avons-nous constaté à la Maca le 20 février 2016? Comment Yacou-le Chinois et ses acolytes sont-ils morts? À ce propos, au moment où les Ivoiriens sont exhortés à adopter des comportements nouveaux, comment peut-on autoriser des gangsters à détenir des kalachnikos en prison? Comment un individu condamné deux fois à 20 ans de prison peut-il bénéficier d’un traitement spécial? Et Soro, dont on peut logiquement penser qu’il a épousé la cause de l’Ivoirien nouveau, comment voulait-il résoudre son différend avec Chérif Sy et Salif Diallo? Demanda-t-il à Djibril Bassolé et à Gilbert Diendéré d’arrêter leur stupide coup d’État contre la Transition? Leur conseilla-t-il de reconquérir le pouvoir par les urnes et non par les armes?
Lorsque ceux qui sont censés incarner une autorité morale (intellectuels, guides religieux et traditionnels) continuent à se vendre et à se prostituer pour si peu, lorsque la peur de perdre certains avantages matériels ou d’être jetés en prison les conduit à garder le silence devant la dictature, les meurtres d’enfants et le rattrapage ethnique, lorsqu’ils poussent le petit peuple à ne compter que sur Dieu alors que Celui-ci compte sur l’homme pour que la société devienne meilleure, plus juste et plus humaine, ergoter sur l’Ivoirien a-t-il encore un sens?
Quand un candidat félicite un autre candidat avant la proclamation des résultats d’un scrutin truqué et gagné d’avance, juste parce qu’il veut empocher 100 millions de f cfa, c’est cela l’Ivoirien nouveau? Un tel homme mérite-t-il encore d’être pris au sérieux?
L’exemple vient d’en haut, dit-on. Or ceux qui dirigent notre pays en ce moment sont loin d’être des modèles en matière de respect des droits de l’homme, d’amour et de défense de la patrie, de solidarité avec ceux et celles qui sont victimes d’injustice, de discrimination et de traitements inhumains. C’est pourquoi je voudrais demander une seule chose aux adeptes de l’Ivoirien nouveau: qu’ils commencent par tenir les promesses qu’ils ont faites lors de la campagne électorale au lieu de nous rebattre les oreilles d’une chose à laquelle eux-mêmes ne croient pas.
Jean-Claude Djereke
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