«Les modifications que nous comptons apporter, vont tenir compte de notre histoire, de notre culture et des valeurs que nous voulons promouvoir pour la Côte d’Ivoire nouvelle». Tels étaient les propos du Président de la République de Côte d’Ivoire lors de l’annonce de sa volonté de réviser la Constitution en octobre 2015. Une entreprise délicate dans un Etat qui se remet à peine d’une crise qui l’a divisé pendant de longues années, mais qui n’en demeure pas moins nécessaire.
Que faut-il réviser dans l’article 35?
La première question à trancher est celle de la nationalité du candidat. Cette question est sûrement la plus épineuse. Elle passionne autant qu’elle divise dans un Etat où le débat sur l’« ivoirité » n’a pas encore connu son épilogue. L’« ivoirité », ce concept d’origine culturelle a été perverti en politique et a été utilisé comme arme pour écarter de la course à la présidence certains candidats. La constitution prévoit dans cette veine que le candidat «doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine». Cette disposition de la constitution paraît peu en phase avec la consistance de la population ivoirienne. En effet, le récent recensement général de la population et de l’habitat révèle que près d’un tiers de la population ivoirienne est issu de l’immigration. Il va sans dire qu’il y a de nombreux brassages, échanges et que la population à terme est métissée. Les Ivoiriens ont donc de moins en moins l’ensemble de leurs ascendants « ivoiriens d’origine ». Sont-ils pour autant moins attachés à leur patrie ? L’exemple patent du Président Barack Obama aux Etats-Unis conduit à rechercher l’attachement à son pays, ailleurs que dans l’intensité de la nationalité de ses parents. De plus, l’Etat de Côte d’Ivoire n’est juridiquement né qu’en 1960. Le candidat qui a eu quarante ans en 2000 est né en 1960. Quant à ses parents, leur date de naissance ne peut être qu’antérieure, au minimum de vingt ans, à 1960, et se situer à un moment où la nationalité ivoirienne n’existait pas encore. Dès lors, aucun des candidats ne pourrait satisfaire à cette exigence.
Deuxièmement, les autres conditions d’éligibilité sont moins mises en avant mais ne sont pas dénués d’importance pour autant. Bien au contraire, elles contiennent des dispositions qui sont potentiellement porteuses de germes conflictuels. Il en va ainsi du fait que le candidat doit « être de bonne moralité et d’une grande probité ». S’il est vrai que cette disposition semble nécessaire, il n’en demeure pas moins, qu’elle est lourde de conséquences. En effet, elle laisse au Conseil Constitutionnel, dont l’indépendance est de façon récurrente décriée, le soin de déterminer qui est bonne moralité et d’écarter le cas échéant, le candidat qui peinerait à satisfaire à cette exigence. Seulement, la constitution est muette sur les critères d’appréciation laissant ainsi une trop grande marge de manœuvre à un Conseil qui n’est souvent pas dénué de tous soupçons de partialité. D’ailleurs celui-ci estime que « La morale est au-delà du droit (…) comportement, à l’attitude, à la conduite, qu’une simple résultante objective de l’action judiciaire ». En clair, en dépit d’un casier judiciaire vierge, le Conseil peut, souverainement et subjectivement écarter une candidature s’assignant ainsi « une mission presque divine » selon professeur Ouraga Obou. La révision de la constitution doit envisager la clarification de cette disposition. Le fait pour le candidat de jouir de ses droits civiques et politiques semble amplement suffisant.
Si cette condition peut être conflictuelle, il y en a d’autres qui sont plutôt un obstacle à la transparence dans le profil du candidat. En effet, l’article 35 exige l’« état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins » et la déclaration de patrimoine. Si ces précautions de la constitution sont opportunes, elles manquent de pertinence car ces données ne sont pas divulguées à la population, aux électeurs. Cette opacité doit être clarifiée et les électeurs doivent être à mesure d’accéder à ces informations.
Enfin, la constitution prévoit que le candidat « doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence ». Cette restriction constitutionnelle est abusivement discriminatoire. Elle exclut, illégitimement et indélicatement d’ailleurs, des potentiels candidats seulement parce que ceux-ci résideraient à l’étranger. Travailler à l’étranger semble donc, au regard de cette disposition, être symptomatique d’une absence d’attachement à sa patrie. Les motivations qui sous-tendent cette disposition sont dangereuses et d’une singulière vacuité. L’atténuation apportée par la constitution notamment pour les « membres des représentations diplomatiques et consulaires (…), fonctionnaires internationaux et aux exilés politiques » traduisent bien la nécessité non pas d’apporter de simples tempéraments mais de réviser carrément cette exigence.
En définitive, la révision de la constitution va au-delà du symbole. Elle est une nécessité pour redonner à l’éligibilité sa pertinence et sa contribution à la construction d’une Nation inclusive. Certes, on connait les motivations du Président Ouattara, dont on a contesté l’éligibilité affirmant qu’il était d’origine burkinabè. Néanmoins, le caractère discriminatoire, confligène de l’article 35 rend impératif sa réforme radicale. Il faut cependant que cette réforme soit transparente, participative et consensuelle pour éviter qu’elle ne soit détournée à des fins politiciennes.
* Doctorant au Laboratoire d’études constitutionnelles, administratives
et politiques (LECAP) de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan – Côte d’Ivoire.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
Par Hugues Arnaud Gohi
Jeudi 25 Février 2016
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