La Côte-d’Ivoire DDR « La partie était loin d’être gagnée » fin de mission pour le Gl français Clément-Bollée

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«faire attention à la réintégration sociale de l’ancien combattant»

Par Christophe Boisbouvier RFI

En Côte d’Ivoire, comment convaincre quelque 74 000 anciens combattants de rendre leurs armes et de retourner à la vie civile ? C’est le défi qu’a relevé l’Autorité de désarmement, démobilisation et réinsertion (ADDR). Pendant trois ans, son directeur ivoirien, Fidèle Sarassoro, a eu maille à partir avec les « com-zone », les anciens chefs de guerre ivoiriens. Dans cette tâche, il a été secondé par un ancien officier français, aujourd’hui consultant international, le général Clément-Bollée. Ce mardi, au terme de sa mission à Abidjan, Bruno Clément-Bollée se confie au micro de Christophe Boisbouvier.

« Si l’on veut assurer la durabilité du processus [de réintégration], il faut faire attention à la réintégration sociale. Faire en sorte que l’ex-combattant se sente bien dans le milieu, dans le village, dans la communauté dans laquelle il rentre. […] Ce serait trop facile de leur donner de l’argent et de les laisser se débrouiller. Non, il y a un processus qui a été mis en place. Le parcours du combattant c’est un désarmement d’abord, une démobilisation qui dure quelques jours, il faut qu’il rende son arme, puis on l’envoie dans un camp de resocialisation où il passe un mois. Et là, on travaille l’esprit, on fait réfléchir l’ex-combattant à ce qu’il a vécu avec des équipes de psychologues, avec de la thérapie de groupe, la thérapie individuelle. Et puis on l’aide à se préparer à l’activité future qu’il pourra déployer. Ça, c’est tout à fait nouveau, des camps ont été créés pour ça… »

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Sa mission : pacifier la Côte d’Ivoire

Christophe Lucet Sudouest.fr

Le général quatre étoiles Bruno Clément-Bollée, né à Bordeaux, où il a commandé l’armée de terre dans la région en 2008, a le goût de l’Afrique. Retiré en 2013 du service actif, il est reparti en Côte d’Ivoire, où il avait commandé la force française d’interposition Licorne durant la crise de 2007. Cette fois, il portait le costume civil de consultant, mais affichait le même but que lorsqu’il tenait avec ses troupes la « ligne de confiance » entre les belligérants : pacifier le pays pour qu’il tourne la page de la décennie maudite où il a failli exploser. Cela supposait de désarmer, démobiliser et réintégrer 74 000 combattants. Une gageure. Et une mission accomplie.
Cinq ans après, la Côte d’Ivoire a désarmé les milices impliquées dans la guerre civile qui a suivi l’élection contestée de 2010-2011. Quel était votre rôle ?
Bruno Clément-Bollée. Je suis parti à Abidjan comme consultant international, chargé par le président Alassane Ouattara de diriger l’Autorité pour la démobilisation, le désarmement et la réintégration (ADDR) de dizaines de milliers de miliciens qui avaient participé à la guerre civile. La structure, qui employait 270 Ivoiriens, vient d’être dissoute car le travail est largement accompli.

Quel était l’enjeu ?

Quand j’ai démarré, le pays était loin d’être pacifié. Le défi était considérable : il fallait rebâtir les piliers de la sécurité (police, gendarmerie, armée, protection civile) en intégrant des gens des ex-Forces nouvelles (du Nord) et rendre à la vie civile 74 000 miliciens qui s’étaient battus, dont un tiers pour les Forces nouvelles, un tiers dans les milices d’autodéfense pro-Gbagbo de l’Ouest et d’Abidjan, et un tiers dans les groupes pro-Ouattara, qui avaient renforcé les colonnes nordistes à leur arrivée à Abidjan.

Comment avez-vous réussi à obtenir ce chiffre de 74 000 ?

En chargeant simplement les chefs de milice de nous fournir eux-mêmes la liste de leurs subordonnés. Ils ont accepté et signé, nous avons croisé et numérisé les listes. De 109 000 noms, on est descendus à 74 000, car il y avait des doublons, des triplons, des quadruplons. Cela restait un chiffre énorme pour une opération du type ADDR.

La Côte d’Ivoire avait déjà tenté ce type d’opération ?

Oui, en 2004 et 2012, mais il fallait recommencer car l’anarchie régnait encore, avec des gens armés partout. Pour amorcer la pompe et impliquer les bailleurs de fonds, le gouvernement ivoirien a tout financé au départ et ouvert 6 500 postes dans la fonction publique (douanes, eaux et forêts, protection civile, pénitentiaire). On a organisé des examens et, à l’été 2014, tous les postes étaient pourvus. De plus, 20 000 ex-miliciens étaient repartis chez eux : on les avait formés, coachés et dotés d’une aide à la réinstallation. Mais la partie était loin d’être gagnée, car il fallait non seulement réintégrer, mais aussi resocialiser les autres : la plupart venaient de passer dix ans l’arme à la main en vivant de pillages.

Comment avez-vous fait ?

Nous avons envoyé des sergents recruteurs dans les villages, contacté tous les intéressés par SMS ou en allant chez eux. Et nous avons ouvert cinq camps encadrés par des gendarmes, des spécialistes de l’ONU, de la Croix-Rouge, des psychologues. Durant un mois, les ex-miliciens vivent ensemble, saluent le drapeau, se forment, suivent des modules de réflexion, entendent témoigner des combattants réintégrés. On remet de la rigueur. C’est une thérapie de groupe pour faire comprendre que « la récréation est finie ». À raison de 3 200 personnes par mois, on en a profité pour brasser les gens des divers groupes, ce qui exige une grosse coordination avec l’armée.
Évidemment, beaucoup voulaient être fonctionnaires. Il fallait lever l’obstacle psychologique. Des partenariats ont été noués avec le privé (Bolloré, Fayat, des entreprises du BTP…), on a monté des formations d’apprentis. Les résultats sont là, irréversibles : sur 74 000 individus, 69 506 sont désarmés et démobilisés, dont 60 000 réintégrés et 9 000 en cours de réintégration. Les autres sont morts, partis à l’étranger ou se sont débrouillés seuls…

Cette expérience réussie peut-elle faire école ailleurs ?

Bien sûr. J’avais testé ces camps de formation citoyenne en 2005 à Madagascar dans le cadre de la coopération militaire. Je l’ai conceptualisée lors de mon passage au Quai d’Orsay (1) et je l’ai proposée en Guinée, à Djibouti et au Togo.
À la demande des Nations unies, nous avons fait deux séminaires internationaux sur le sujet, et sept pays africains sont venus : Mali, Centrafrique, République démocratique du Congo, Burkina Faso, Guinée, Sénégal et Niger. L’ONU est très consciente que la resocialisation des combattants par un travail de prise de conscience est essentielle si l’on veut avoir des résultats durables dans les projets de réintégration de ces personnes.

En Guinée, le désarmement avait permis de créer des gardes ruraux. A-t-on fait pareil en Côte d’Ivoire ?

Oui. 1 500 ex-miliciens ont été formés comme pompiers secouristes et organisés en 30 unités de 50 hommes, une dans chaque district : ainsi, en désarmant, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’un outil nouveau, et la démarche est duplicable partout. En Guinée, ces équipes sont intervenues dans la lutte contre l’épidémie Ebola.

La Côte d’Ivoire a-t-elle aussi profité économiquement de cette opération sécuritaire ?

Oui. Nous avons réfléchi à l’économie de « l’informel », ces petits métiers qui couvrent 80 % de l’activité. Ils font vivre les familles mais sont précaires, le moindre imprévu peut tout ruiner. D’où l’effort des autorités pour rendre formel ce qui est informel. Cela passe par des formations reconnues, l’inscription des personnes au registre des métiers, la bancarisation par le biais de pécules de l’ONU, la perception de l’impôt et, en échange, une couverture de santé. Cette politique a permis de réintégrer 40 000 personnes. Autre piste utilisée : la collecte et la valorisation des déchets plastique, qui s’est avérée viable économiquement…

(1) En 2010, il avait été nommé directeur de la coopération de sécurité et de défense aux Affaires étrangères.

Richard Le Guerinec

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