L’interrogatoire du deuxième témoin se poursuit ce jeudi face à la Défense de Laurent Gbagbo. Récit du mercredi, une journée d’audience relativement calme lors du face à face entre le témoin et la Défense de Charles Blé Goudé.
« Ils ont visé la mosquée », raconte le deuxième témoin du procès Gbagbo
Par Antoine Panaïté de la plateforme Ivoirejustice de Radio Pays-Bas Internationale
Il va falloir accélérer. Au début de l’audience, le juge Cuno Tarfusser annonce qu’il laisse aux parties jusqu’au mercredi 17 février (date de la pause judiciaire) pour interroger les trois prochains témoins, celui d’aujourd’hui inclus.
Ceci dit, l’interrogatoire du deuxième témoin du procès peut reprendre. Répondant aux questions de l’adjointe du bureau de la procureure, l’homme raconte comment s’est passée sa journée du 25 février 2011.
Il revient sur ce qu’il disait la veille, sur ces jeunes militants pro-Gbagbo qu’il affirme avoir vu jeter des pierres sur lui et d’autres habitants du quartier Doukouré, à Yopougon.
«Ils venaient pour brûler notre quartier (…) On les a repoussés vers le 16ème arrondissement (…) à la station de police ». Selon le témoin, tout cela se passait à la limite de son quartier : les pro-Gbagbo étaient dans le quartier d’en face, Yao Séi, aidés par de « nombreux » membres des FDS. Les pierres lancées ont ensuite été accompagnées de balles et de gaz lacrymogènes, tirés par les policiers.
«Tu vois les gens tomber, dit le témoin. J’ai essayé de m’enfuir mais j’ai vu que ma jambe était cassée, les gens fuyaient, des gens étaient blessés (…) et je ne pouvais pas bouger ». Il raconte qu’il ne comprendra que plus tard que c’est une grenade qui l’avait blessé au pied. « C’était déchiré », explique-t-il avant de montrer aux juges la partie droite de son cou : « J’ai aussi été blessé là ».
«Savez-vous qui a lancé la grenade ? » demande l’avocate. « J’ai vu un policier qui tirait (…) je ne sais pas quelle arme c’était », répond l’homme. L’adjointe poursuit : « Et il y avait des blessés autour de vous ? ». « Oui, Il y avait beaucoup de blessés » confirme le témoin avant d’ajouter : «Il y en a qui sont morts (…) quelqu’un a eu la main coupée, elle pendait ».
« J’ai vu le feu sortir du tank (…) ils ont visé la mosquée »
Puis le témoin évoque l’arrivée d’un tank de la Brigade anti-émeute (BAE). Un tank venu se positionner près de la mosquée non loin de là. « J’ai vu le feu sortir du tank (…) ils ont visé la mosquée », relate-t-il en précisant que cette attaque s’est déroulée en même temps que les tirs de la police sur les habitants de Doukouré. Il évoque les nombreux barrages à Yopougon où il affirme que les Dioulas étaient des cibles privilégiées.
C’est seulement le lendemain que l’homme se rendra à l’hôpital. Le témoin ira au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Yopougon où il passera une semaine. Le certificat médical résultant de cette visite est présenté à la Cour et versé au dossier de l’accusation comme élément de preuve. On y lit le constat du médecin : « Fracture ouverte de la jambe droite suite à un accident balistique ».
Puis des photos sont partagées par le bureau de la procureure avec la Cour. L’homme a été blessé à la jambe mais aussi au cou, à la hanche, au bras ou encore au dos. C’est à l’hôpital qu’on lui a expliqué que c’était une grenade : « Il y avait pleins de petits bouts (…) c’était déchiré », explique-t-il.
Aujourd’hui, l’homme assure qu’il ne peut plus marcher correctement, qu’un de ses pieds est plus long que l’autre, qu’il a été mal soigné. On ne lui avait mis qu’un plâtre de qualité moindre sur le pied.
Après avoir finalement répondu aux questions de l’adjointe de la procureure sur les crimes datant d’avant le 25 février (2011) dont il a été le témoin direct ou dont il a entendu parler, l’homme répond, concernant Blé Goudé, qu’il l’a vu à la télévision. « Vraiment, j’ai eu peur ce jour-là » explique-t-il en référence à une intervention de Blé Goudé sur la RTI qu’il a vu avant le 25 février.
« On se connaît entre nous »
Après une pause de 30 minutes, Geert-Jan Knoops, l’avocat principal de Charles Blé Goudé, commence le contre-interrogatoire et revient sur ce que le témoin a dit la veille, à savoir que c’est à la suite du meeting de Blé Goudé au bar Le Baron que des jeunes pro-Gbagbo sont venus lancer des pierres aux habitants de Doukouré. L’avocat néerlandais fait comprendre qu’il trouve curieux que le témoin n’ait pas mentionné cet élément dans sa déclaration aux enquêteurs de la CPI en 2014. « J’ai pas pensé à ça », justifie-t-il en considérant qu’il n’avait que ses blessures en tête et qu’il ne savait pas à l’époque qu’il serait amené à parler devant la Cour.
Un autre élément douteux pour la défense de Blé Goudé est comment le témoin sait que les hommes venus étaient des pro-Gbagbo. Il répond : «On se connaît entre nous (…) une fois que tu es là-bas, on sait ce que ça veut dire ».
L’interrogatoire de Knoops visant à contester la crédibilité du témoignage se conclura par cette question : «Pourquoi le docteur n’a pas mentionné vos autres blessures sur le certificat ? » Réponse de l’intéressé : «Mon problème, c’était mon pied».
La fin de l’audience verra Jean-Serges Gbougnon, un des avocats de Blé Goudé, vite interrompu dans son interrogatoire par une demande de séance à huis-clos partiel. Une séance où l’on verra (sans entendre, évidemment) l’ensemble de la salle rire de bon cœur, vraisemblablement après une remarque du témoin. Un moment de détente rare dans un procès où les moments de tensions sont devenus la norme.
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