Cette première semaine d’audience à la Cour Pénale Internationale (CPI) où comparaissaient Laurent Gbagbo et son éphémère ministre de la jeunesse, Charles Blé Goudé, a démontré, à l’excès, l’amateurisme de cette Cour. Le dossier Côte d’Ivoire est ouvert depuis cinq ans, l’institution a donc eu le temps de se préparer. Pourtant la Procureur, Fatou Bensouda, son premier substitut, Eric MacDonald et la représentante des victimes, Paolina Massidda ont démontré leur méconnaissance de ce pays. Longtemps le débat sur la CPI s’est porté sur sa légitimité, sur le fait qu’elle ne juge que des Africains et qu’elle soit un instrument de politique internationale au service de l’Occident au même titre que la diplomatie, les sanctions ou les embargos. Après cette semaine d’audience, un pas a été franchi. La question centrale qui se pose désormais est celle de sa capacité à rendre la justice. Si ce procès arrive à son terme, ce qui n’est pas certain, il n’y aura que des vaincus. La justice internationale, les inculpés et leur défense, enfin et surtout toutes les victimes ivoiriennes. Aucune vérité ne peut sortir de cette Cour.
Une longue suite de défaillances…
Les deux premiers jours ont été entièrement consacrés à l’accusation et à la représentante des victimes. Elles n’ont cessé d’écorcher les noms propres de personnes comme de lieux et ont résumé l’histoire de la Côte d’Ivoire à la manière d’une page Wikipédia. A cela se sont ajoutées des défaillances techniques multiples, allant des pannes de sons, d’images, à des problèmes récurrents de traductions etc [ii]. Les jours suivants ces problèmes ont perduré. En outre, accusation et défense ont passé de longs moments à régler des questions de calendriers, d’horaires, de procédures comme sur la manière d’auditionner les 138 témoins qui défileront à la barre. Le clou du spectacle s’est produit à la dernière heure du dernier jour de cette première semaine, lorsque la Cour a commis un impair magistral. Alors qu’elle siégeait en huis clos pour échanger sur les difficultés qu’elle rencontrait afin de garantir l’anonymat des témoins et donc de leur sécurité, un micro est resté malencontreusement ouvert. Eric MacDonald a donc, malgré lui, divulgué le nom de cinq témoins « anonymes » présentés par l’accusation !
Depuis sa création en 2002, la Cour Pénale Internationale (CPI) n’a traité qu’une seule plainte jusqu’à son terme[III], et a dépensé plus d’un milliard d’euros. Le premier procès d’un ancien chef de l’Etat était pour cette institution, déjà contestée de toutes parts, l’occasion de redorer son blason. A l’issue de cette première semaine, la restauration de son image s’avère très compromise tant sur la forme que sur le fond.
Dans un excellent article l’historien John Laughland rappelle la manière dont la CPI « s’est toujours empressée de courir après la politique étrangère de ses financiers ». Ses principaux bailleurs de fonds sont l’Allemagne, le Japon, le Canada et la France. Il n’est donc pas surprenant que cette Cour reprenne la « version officielle » des événements survenus en 2010 et 2011. Fatou Bensouda réécrit cette histoire à la manière de Choi Young-jin, ancien représentant spécial de Ban-Ki Moon en Côte d’Ivoire. Son accusation repose sur de faux postulats, comme le nombre de victimes évalué à 3000[IV] et occulte une grande partie des événements, notamment la mise en place, en janvier 2011, par les Nations Unies, la France et l’Africom d’une opération militaire nommée : « Restaurer la paix et la démocratie[V] ».
En outre, les méthodes d’investigation de la CPI comme son mode de travail ne lui permettent pas de réaliser de véritables enquêtes. Elle se contente de collationner des rapports d’ONG, des documents transmis par le Gouvernement d’Alassane Ouattara, des photographies et des vidéos récoltées ici ou là. Les longues interventions de Fatou Bensouda et d’Eric MacDonald n’ont consisté, à ce stade, qu’à présenter des power points, des clichés, des images confuses, pour la plupart déjà postées sur YouTube ainsi que des extraits de déclarations faites par les inculpés. La cour n’a pas déclaré avoir fait réaliser des autopsies sur les corps de victimes, un seul rapport balistique a été effectué et rendu public lors de l’audience de comparution des charges en juin 2014. Etrangement, l’accusation n’en a pas fait mention pendant cette première semaine d’audience ; il faut dire qu’à l’époque, il avait été très contesté…
Pourtant, les charges qui pèsent sur Laurent Gbagbo et son co-inculpé[VI] sont lourdes. Accusés de crimes contre l’humanité, ils sont poursuivis pour quatre faits précis :
– avoir réprimé la manifestation du 16 décembre 2010 à l’appel de Guillaume Soro et Alassane Ouattara pour s’emparer de la Radio Télévision Ivoirienne, (RTI);
– l’assassinat de sept femmes lors d’une manifestation le 3 mars 2011 à Abobo ;
– des obus tombés dans Abobo le 17 mars ;
– l’attaque de Yopougon à partir du 12 avril 2011. Pour rappel, l’ancien Président a été arrêté le 11 avril 2011.
Jusqu’à présent, la CPI n’a donné aucun élément permettant de penser qu’elle possède des preuves solides sur ces quatre chefs d’accusation. Au contraire, les informations qu’elle partage sont parfois surprenantes pour ceux qui connaissent le dossier et les documents, photos ou vidéos sur lesquelles elle s’appuie sont vagues. Notamment concernant la marche des femmes d’Abobo ainsi que les obus tombés dans cette commune qui sont deux faits importants puisqu’ils ont conduit au vote par le Conseil de sécurité des Nations Unies de la résolution 1975. L’IVERIS reviendra, de manière plus précise, sur ces deux charges lors des audiences qui leurs seront dédiés.
Des témoins insolites
Pour étayer son accusation, il reste les témoins. La révélation par Eric MacDonald de l’identité des cinq personnes appelées à la barre par l’accusation a fait l’effet d’une bombe en Côte d’Ivoire car il s’agit de personnalités de poids qui étaient toutes des proches de Laurent Gbagbo à l’époque des faits. Il s’agit notamment du général Philippe Mangou, chef d’Etat major de Laurent Gbagbo pendant la crise et la guerre, ainsi que du général Tiapé Kassaraté, commandant supérieur de la gendarmerie, également au service de l’ancien Président ivoirien. Après avoir dirigé toutes les opérations, notamment à Abobo jusqu’au 11 avril 2011, non seulement ils n’ont pas été inquiétés par Alassane Ouattara à la fin de la guerre, mais Philippe Mangou et Tiapé Kassaraté ont été nommés en mai 2012, ambassadeur au Gabon pour le premier et au Sénégal pour le second. En conséquence, dans quelle mesure ces deux individus peuvent-ils apporter un témoignage impartial alors qu’ils devraient se retrouver, en toute logique, dans le box des accusés ? Quelle crédibilité leur accorder ?
Une défense de connivence
Face à de tels témoins et à une telle accusation, la défense de Laurent Gbagbo pourrait se jouer sur du velours. Il n’en est rien. Pour des raisons aussi curieuses qu’incompréhensibles, l’ancien Président ivoirien a choisi Maître Emmanuel Altit. Cet avocat, qui fut celui des infirmières bulgares et du soldat Gilad Shalit, est un ardent défenseur de la CPI, il n’a donc pas choisi une défense de rupture. Au troisième jour de l’audience, lorsqu’il prend la parole sur un ton monocorde et dénué de passion, il plaide dans un langage conforme à celui de ses pairs de La Haye. Pour donner des gages aux partisans de Laurent Gbagbo, il dénonce l’intervention française ; néanmoins, il ne cite pas Nicolas Sarkozy, ne mentionne jamais le rôle des Nations Unies ni celui du très actif Philipp Carter III, ambassadeur des USA en Côte d’Ivoire au moment des faits. Alors qu’il est devant la justice internationale, il ne rappelle pas, non plus, les violations du droit international et la manière dont la France et les Nations Unies ont outrepassé la résolution 1975. Il aurait pu simplement rappeler la déclaration d’Alain Juppé devant l’Assemblée Nationale le 6 avril 2011 : « Les forces françaises ne participent pas à l’opération militaire car elle se déroule en dehors du cadre légal de la résolution de l’ONU » ! Très vite, Emmanuel Altit laisse la parole à son assistante, la jeune Jennifer Naouri, qui, à son tour, présente longuement et très consciencieusement des power points, des clichés et des extraits de livres ou de déclarations…
Laurent Gbagbo s’étant déclaré indigent, Emmanuel Altit et son équipe, composée d’une seule Africaine, sont donc rémunérés par la CPI et perçoivent également un budget annuel pour frais d’enquête. Or, toute sa présentation prouve que l’avocat de l’ancien Président ivoirien n’a pas, lui non plus, réalisé d’investigations. Comme l’accusation, la défense donne parfois des informations imprécises, voire fausses[VII]. Cette défense donne un sentiment de malaise, d’un entre-soi de fonctionnaires internationaux où les deux parties fonctionnent en miroir. Seules les interventions de Charles Blé Goudé et de sa défense, composée majoritairement d’Africains, ont permis à la Côte d’Ivoire d’entrer dans cette salle d’audience.
Les grands absents
La CPI prend l’eau de toute part… Depuis l’incarcération de Laurent Gbagbo à La Haye, Fatou Bensouda, a toujours assuré qu’elle ne jugerait pas une seule partie et qu’elle continuait ses investigations concernant le camp Ouattara. Cet argument n’a aucune crédibilité à ce stade. Elle n’a pas eu besoin d’enquêter pendant cinq ans avant de demander l’extradition de Laurent Gbabo, en novembre 2011, et de Charles Blé Goudé, en mars 2014 à La Haye. Pourquoi Alassane Ouattara, Guillaume Soro et ses chefs de guerre ne sont-ils toujours pas inquiétés ? Leurs crimes commis dans l’Ouest, notamment ceux de Duékoué sont largement documentés. Il existe des rapports d’ONG, des photographies, des vidéos, des témoins sont prêts à venir à la barre… Que pensent les victimes qui regardent ce procès et ne se trouvent pas dans le camp des vainqueurs ? Quelles images ont-elles de cette justice internationale ?
Selon diverses sources judiciaires, ce procès devrait durer entre trois et cinq ans. Est-ce qu’il est imaginable que les Ivoiriens supportent ce spectacle aussi longtemps ? Coup de pied de l’âne, Alassane Ouattara a profité de la résolution votée par l’Union Africaine en faveur du retrait des pays africains de la CPI pour annoncer, lors de sa rencontre avec François Hollande le 4 février 2016, qu’il « n’enverrait plus d’Ivoirien à la CPI ». Or, jusqu’à présent, il avait toujours assuré qu’il coopérait avec la justice internationale.
Si la Procureur, malgré toutes ses déclarations de bonnes intentions, n’a plus les moyens de juger les responsables des crimes du camp Ouattara et ainsi de reconnaître la souffrance des victimes de chaque camp, il faut arrêter cette mascarade sur le champ. Si la Procureur n’a pas les moyens de conduire un procès dans des conditions acceptables où la justice pourrait être rendue, il faut arrêter la farce judiciaire en cours…
Leslie Varenne
Directrice de l’IVERIS
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[I] Les audiences sont diffusées en léger différé de 30 minutes pour éviter les incidents comme celui de la divulgation par inadvertance d’un nom de témoin !
[II] Alors même que la Cour vient de s’installer dans de nouveaux locaux qui ont coûté plus de 200 millions d’euros et qu’elle dispose d’un budget de 2,5 millions d’euros par semaine.
[III] Il s’agit de Thomas Lubanga, République Démocratique du Congo, arrêté en mars 2006 et condamné à 14 ans de prison en juillet 2012.
[IV] Le chiffre de 3000 morts est un chiffre officiel, la Commission Dialogue Vérité et Réciliation fait état de 16 000 morts, mais ce chiffre parait encore sous évalué. Dans son livre Abobo la guerre, l’auteur de ses lignes citait un militaire ivoirien qui avançait le nombre de 20 000 morts.
[V] Dans le livre Abobo la guerre.
[VI] Charles Blé Goudé à une charge supplémentaire portant sur une attaque menée dans la commune de Yopougon entre le 25 et le 28 février 2011.
[VII] Notamment en ce qui concerne la marche des femmes d’Abobo et les obus lancés sur le marché de cette commune.
Leslie Varenne
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