Accords de Lina-Marcoussis en Côte-d’Ivoire: 13 ans après, quel bilan ?

Accords-de-Linas-Marcoussis

Le 15 janvier 2003, à l’initiative du président de la république française, monsieur Jacques Chirac, une table ronde de négociations s’était ouverte à Linas-Marcoussis, en France, entre les acteurs politiques ivoiriens, après le déclenchement d’une rébellion armée conduite par Guillaume Soro, le 19 septembre 2002, en Côte d’Ivoire.

La table ronde était présidée par Pierre Mazeaud, assisté du juge Keba Mbaye et de l’ancien Premier ministre ivoirien Seydou Diarra ainsi que des représentants d’institutions internationales, ONU, Union africaine et CEDEAO. Siégeaient à la table les partis politiques suivants : FPI, UDCY (pouvoir), MJP, MPCI, MPIGO (rébellion proche de l’opposition), PDCI-RDA, PIT, RDR, MFA, UDPCI (opposition).

Au terme de ces négociations, les parties ont de façon générale convenu ce qui suit:

le maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo, le président ivoirien dont l’élection en 2000 quoique démocratique avait été entachée par la disqualification de ses principaux opposants (dont Alassane Ouattara) par la Cour suprême, pour « défaut d’ivoirité » ;
la formation d’un gouvernement de « réconciliation nationale » comprenant 44 membres représentant tous les partis :
les rebelles du Nord obtiennent les ministères de la Défense et de l’Intérieur,
un Premier ministre est nommé de manière irrévocable jusqu’aux prochaines élections,
le FPI obtient 10 ministères, le RDR et le PDCI, 7 chacun ;
une révision de la Constitution, et notamment des critères d’éligibilité du président ;
une révision des critères d’admission à la citoyenneté, qui écarte trop d’Ivoiriens ;
le gouvernement de réconciliation nationale organisera le regroupement des forces en présence puis leur désarmement. Il s’assurera qu’aucun mercenaire ne séjourne plus sur le territoire national. ;
la traduction devant la Cour pénale internationale des responsables d’exécutions sommaires.

De plus, des lois et règlements doivent être pris afin d’améliorer la condition des étrangers et la protection de leurs biens et personnes.

13 ans après, quel bilan?

Si les parties au terme de ces négociations, le 23 janvier 2003, avaient chanté, main dans la main, « l’Abidjanaise », l’hymne nationale de la Côte d’Ivoire et sablé le champagne, elles auront, in fine, établit l’irresponsabilité de toute la classe politique d’alors, car aucune des parties signataires ne mettra un point d’honneur à appliquer les accords qui en seront issus.

Laurent Gbagbo ne déléguera aucun pouvoir significatif au premier ministre du gouvernement de réconciliation nationale et refusera dès son retour à Abidjan de céder les portefeuilles ministériels de la Défense et de l’Intérieur aux rebelles comme il l’avait accepté à Paris. En face les rebelles eux, ne désarmeront jamais, car mettant en doute la sincérité du président Laurent Gbagbo.

Tous les accords additionnels à ceux de Lina-Marcoussis signés à Accra au Ghana, à Prétoria en Afrique du Sud et à Ouagadoudou au Burkina-Faso, n’épargneront pas la Côte d’Ivoire de la guerre pour en finir avec la crise militaro-politique déclenchée en 2002. Cette guerre aura finalement et paradoxalement lieu après l’élection présidentielle de 2010, pourtant censée ramener la paix. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, s’étaient déclarés vainqueurs. Le premier sera finalement arrêté le 11 avril 2011, par les forces du second avec le soutien militaire de la France et de l’ONU.

En revanche, si Linas-Marcoussis n’a pas réussi à éviter à la Côte d’Ivoire la guerre, elle aura réussi à la retarder de 08 ans, et surtout à enrichir la classe politique au détriment du peuple. Les partis politiques s’étant partagés les portefeuilles ministériels dans un gouvernement qui pendant toutes ces années n’a eu pour priorité que la sortie de crise, rangeant au placard tous les projets de développement humain. Pouvait-il en être autrement, quand 75% des portefeuilles ministériels étaient tenus par l’opposition et 25% par le parti au pouvoir? Ces accords auront aussi permis aux rebelles d’atteindre l’objectif initial qu’ils s’étaient assignés: porter Alassane Ouattara au pouvoir.

Et s’il y a une autorité politique ivoirienne, qui avait très tôt décelé l’incapacité de la table ronde de Lina-Marcoussis à ramener la paix en Côte d’Ivoire, c’est bien Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée national ivoirienne d’alors. En effet, Il n’avait pas hésité à quitter la table ronde et à rejoindre précipitamment Abidjan avant la fin des travaux, qualifiant ces accords de « consensus à la Hussarde » et critiquant vertement la conduite des travaux par le ministre français Pierre Mazeaud et l’accusant d’être « trop favorable aux rebelles ». Il aura eu raison trop tôt. il déclarera par la suite sur RFI:

J’ai constaté que Pierre Mazeaud était en train de faire un coup d’Etat constitutionnel. Ce que les rebelles n’ont pas réussi à faire militairement, il le fait à Marcoussis, a déclaré mercredi matin Mamadou Koulibaly. Au lieu de rappeler les procédures constitutionnelles, de condamner l’usage des armes, M. Mazeaud a renversé le problème: ce ne sont plus les rebelles, c’est le peuple de Côte d’Ivoire qui se retrouve à la barre des accusés. La méthodologie de travail de Pierre Mazeaud, son comportement et ses propos au cours de la table ronde ne sont pas de nature à favoriser un travail serein, surtout pour quelqu’un comme moi. Il fait pression pour que nous changions nos textes pour plaire aux rebelles». Selon lui le médiateur «est trop favorable aux rebelles et au RDR». «C’est le président de la République qui est parti, par respect des textes, des juges et de la Constitution. Moi je ne pouvais pas accepter cela.

Lina-Marcoussis aura donc eu raison de Laurent Gbagbo, mais aucunement permis à la Côte d’Ivoire de repartir d’un bon pied. L’ivoirité « de » Laurent Gbagbo aura fait place au rattrapage ethnique d’Alassane Ouattara. Les ivoiriens restent plus que jamais divisés. Les prisonniers politiques et les exilés politiques sont innombrables et l’insécurité reste endémique.

Hervé Christ source Lider News

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