Par Louis-Marie Kakdeu publié en collaboration avec Libre Afrique
Depuis la chute de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, une Commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation en Côte d’Ivoire (CDVR) avait été mise sur pied entre septembre 2011 et décembre 2014. Sans publier son rapport, une autre Commission Nationale pour la Réconciliation et l’Indemnisation des Victimes (CONARIV) a été créée le 24 mars 2015. De commissions en commissions et de discours en discours, il convient de se demander quelles sont les conditions d’une réelle réconciliation.
La réconciliation renvoie à la résolution de conflit qui consiste à choisir une solution à un affrontement et à assurer sa mise en œuvre. Le conflit est la rupture d’un contrat ou d’un équilibre social. La réconciliation suppose donc le retour à l’ordre social perdu ou la construction d’un nouvel ordre social consensuel. L’existence d’une volonté d’imposer un nouvel ordre social non-consensuel n’est pas propice à la réconciliation. Cela semble être le cas en Côte d’Ivoire où l’on crie à la justice des vainqueurs. La question de la réconciliation est donc aussi une question d’inclusion et de justice. Il convient d’évaluer les forces en présence et les conditions de justice sans volonté d’exclusion car, la résolution d’un conflit ne saurait être envisagée en dehors du conflit lui-même : sa nature, ses causes, les personnes qui le vivent, le contexte dans lequel il se passe, etc.
La réconciliation suppose l’acceptation de la négociation et des compromis. Trois approches de négociation sont courantes : l’approche distributive (ce que l’on retire à l’un et on le donne à l’autre), l’approche intégrative (l’on intègre l’autre) et l’approche contributive (l’on met l’un à côté de l’autre). En Côte d’Ivoire, les différents accords de paix étaient soit distributifs soit contributifs au lieu d’être intégratifs. L’on excluait une partie ou l’on demandait aux différentes parties de travailler l’une aux côtés de l’autre sans se réconcilier. En 2011, l’approche a été distributive : ce que le camp Gbagbo a perdu, on l’a donné au Camp Ouattara. Or, dans la sagesse africaine, lorsque deux enfants luttent, on les sépare d’abord quel que soit le cas ; on n’attrape pas les mains de l’un et laisse l’autre le frapper. Gbagbo et ses compagnons sont « asphyxiés » par les sanctions de la Communauté internationale et le Camp Ouattara les frappe sans pardon. Cette logique hégémonique est non-propice pour la réconciliation.
La réconciliation suppose l’acceptation de la libre compétition comme règle sociale. Or, l’instrumentalisation de l’ivoirité par les gouvernements successifs depuis 1994 a conduit à la méfiance à tel point que l’appel au dialogue a été perçu comme une tactique politique visant à endormir l’adversaire. Il faudrait donc rouvrir le jeu politique en Côte d’Ivoire et rejeter la domination (par la force physique) ou la soumission (par les sanctions) comme outil de résolution des conflits. Au contraire, il faudrait œuvrer pour la libre participation et veiller à la victoire du plus compétitif.
La réconciliation suppose la recherche d’une solution basée sur la Mémoire et la Vérité. Or, les Commissions de réconciliation mises sur pied depuis 2011 par exemple s’appuient beaucoup plus sur la version des vainqueurs. Dans son rapport du 4 août 2015, Human Right Watch charge le gouvernement ivoirien et la CPI sur la discrimination des victimes et la manipulation politicienne de l’approche séquentielle des poursuites à la CPI (poursuite d’un camp avant la poursuite de l’autre). Réconcilier les Ivoiriens, c’est organiser une espèce de Marcoussis 2 (hors France) pour déconstruire les premières assises de 2003 qui avaient débouché sur la distribution tendancieuse des cartes justifiant la situation actuelle du pays.
Pour cela, il faudrait convoquer les hommes de réconciliation. Il s’agit des Doyens de la scène politique ivoirienne qui connaissent les dossiers et à qui les événements de la vie ont appris la sagesse. Ce sont des personnes qui connaissent mieux les acteurs, les intérêts en présence, les secrets d’Etat et qui peuvent regarder chaque acteur dans les yeux et lui dire ses vérités. Ce sont surtout des personnes qui connaissent le contexte dans lequel tous les problèmes se sont posés et qui savent comment faire des compensations ou organiser des compromis. Certaines de ces personnes sont actuellement en prison ou en exil ; il faudrait les libérer afin qu’elles jouent leur rôle de Doyen.
La Côte d’Ivoire est un pays très croyant et il faut en prendre acte dans l’équation technique de réconciliation. Les chrétiens parlent de Sacrement de pénitence et de réconciliation qui est l’un des sept sacrements ayant pour objectif que Dieu pardonne les péchés au pénitent. En l’état, ce sont les vainqueurs qui pardonnent alors que c’est Dieu qui doit pardonner (Mc 2, 7). Dans le Coran (8.1), il est écrit que si vous craignez Dieu, alors vous devez maintenir la concorde entre vous. Dieu dit dans Mathieu 5, 24 : « Va d’abord te réconcilier avec ton frère ». Allah (Gloire à lui) dit : « Les croyants ne sont que des frères, établissez la concorde entre vos frères » (Coran 49.10). Or, on ne peut pas vouloir organiser la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire en absence d’autres « frères » en exil ou en prison.
On ne peut pas aussi parler de la réconciliation en Côte d’Ivoire dans l’ignorance de la tradition africaine dans laquelle le fait de tuer est une souillure devant être « lavée ». Le sang humain versé est une malédiction en Afrique subsaharienne où l’on croit que les morts ne sont pas morts. Monseigneur Dieudonné Watio écrivait dans sa thèse de doctorat intitulée « Le culte des ancêtres chez les Ngyemba » : « Aujourd’hui encore, les ancêtres exercent sur les Africains, y compris des chrétiens, une influence indéniable. Ils habitent le psychisme des vivants, peuplent leur culture et la structure sociale dont ils sont les fondements et les garants. » Ainsi en Côte d’Ivoire, il faudrait organiser le deuil national (funérailles) pour permettre aux vivants de maintenir le lien avec leurs morts.
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