Par Louis-Marie Kakdeu publié en collaboration avec Libre Afrique
Au moment où de grands ensembles mondiaux se constituent pour devenir économiquement plus puissants, le diagnostic des organisations régionales et sous régionales en Afrique montre qu’il y a plutôt une tendance à la balkanisation pourtant, en 1991, l’Afrique était le premier continent du monde à créer une Communauté Economique Africaine (CEA) dans l’intention de regrouper tous les Etats. Si en principe l’intégration régionale est pertinente, la façon par laquelle elle est actuellement menée en Afrique est contre-productive. La question est de savoir pourquoi les blocs régionaux freinent la convergence vers une meilleure organisation continentale.
La première raison est la multiplicité et la superposition des organisations régionales et sous régionales en Afrique. Il en existe une bonne quinzaine (CEDEAO, CEEAC, SADC, COMESA, UMA, CEN-SAD, EAC, IGAD, UEMOA, SACU, CEPGL, UFM, CEMAC, ALG, G5 du Sahel) qui crée l’effet « bol de spaghetti » (chevauchement et complexification des actions de coordination). Par exemple, sur le plan institutionnel, l’UEMOA, la CEDEAO et l’OHADA traînent des différences notables dans les procédés d’élaboration et d’application des normes (nature du droit produit et modalités du contrôle juridictionnel). Sur le plan sécuritaire, la lutte contre le terrorisme dans le sahel par exemple est discutée par plusieurs Etats et micro-organisations (CEDEAO, CEMAC, G5 du Sahel, CEN-SAD, etc.) qui devraient plutôt fédérer leurs forces. Pis, l’argument régional est fragilisé par l’appartenance de certains pays à plusieurs organisations. Par exemple, un archipel du golf de Guinée comme Sao Tomé et Principe est curieusement membre de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD). Aussi, la RDC appartient à la fois à la CEEAC, à la CEPGL et à la SADC. Le Swaziland appartient à la fois à la SADC, à la SACU et à la COMESA. Le Burundi appartient à quatre Communautés Economiques Régionales (CER) et à 3 Initiatives Régionales de Coopération (IRC).
La deuxième raison est la tendance souverainiste de certains Etats et organisations sous régionales. En effet, l’instrumentalisation du sens de la souveraineté annule la rationalité des solutions trouvées aux problèmes africains. Par exemple, l’instrumentalisation des différences linguistiques engendre des implications réelles en matière de sécurité. Entre 1989 et 1997, le Groupe de surveillance du cessez-le-feu au Libéria (ECOMOG) déployé par la CEDEAO n’avait pas pu empêcher le chef rebelle Charles Taylor à prendre le pouvoir à cause d’un désaccord entre le bloc anglophone et le bloc francophone. Ce scénario se reproduisit en 1998 en Sierra Léone où les pays anglophones sous l’impulsion du Nigéria soutenaient l’intervention militaire pour la restauration du pouvoir du Président déchu Ahmed Tejan Kabbah tandis que certains pays francophones sous l’impulsion du Burkina Faso de Blaise Compaoré s’y opposaient et soutenaient la Revolutionary United Front (RUF). Malgré la signature par les pays de la CEDEAO d’un protocole de non-agression en 1981, les pays francophones avaient préservé leur Accord de non-agression et d’assistance mutuelle (ANAD) qui leur permettait de conserver leur lien avec la France. C’est ainsi que lors de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire en 2010, il avait été difficile de trouver un fil conducteur entre les différents niveaux de souveraineté (nationale, sous régionale et africaine) et les accords de défense avec la France (intervention française).
Une troisième raison est le protectionnisme tarifaire et l’absence de passerelles entre les différents blocs où l’intégration économique, monétaire, fiscale, douanière n’est pas effective. L’un des exemples les plus frappants est le fonctionnement cloisonné de la zone franc : bien que les pays concernés soient attachés à leurs accords monétaires avec la France, la convertibilité n’existe pas entre le Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et le Franc CFA de l’Afrique centrale (BEAC), ce qui complexifie les échanges commerciaux entre ces blocs et freine la marche vers l’intégration globale. Pis, il existe un retard important dans l’application des accords et autres conventions d’intégration africaine. Par exemple, alors que s’était posée au Sommet de Banjul de 2006 la question de la rationalisation des organisations régionales, le Sommet d’Accra en juillet 2007 avait curieusement adopté un protocole sur les relations entre l’Union africaine et les Communautés économiques régionales. Or, l’institution de ces Communautés n’avait été admise qu’à titre transitoire conformément au Traité d’Abuja (1991) et au calendrier du Plan d’Action de Lagos (PAL) pour le développement économique de l’Afrique (1980-2000).
On note aussi l’instrumentalisation du principe de subsidiarité par les organisations sous régionales qui détourne ce principe des préoccupations démocratiques au profit des intérêts égoïstes. Par exemple, suite au coup d’Etat du 17 septembre 2015 au Burkina Faso, la CEDEAO avait invoqué ce principe pour tenter d’annuler les sanctions de l’Union africaine qui condamnaient fermement le putsch militaire. L’une des causes majeures de ce blocage institutionnel est l’existence des lobbies de présumés « hommes forts » appelés « panafricanistes » par certains qui gèrent le continent en fonction des intérêts « [néo]patrimoniaux ». Il revient à la société civile africaine de se renforcer comme au Burkina Faso en fin septembre 2015 pour imposer aux organisations régionales la primauté des institutions démocratiques plutôt que la négociation avec les « hommes forts ».
On peut citer enfin les guerres de leadership qui fragilisent les initiatives au niveau continental. Un des exemples les plus marquants est l’intégration tardive et l’abandon par la suite du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) qui était un programme ambitieux de développement participatif du continent. La place de ce programme avait été sujette à controverse dès sa création en raison du rôle démesuré joué par l’Afrique du Sud où est installé le Secrétariat. Ensuite en 2008 au Sénégal, il s’était développé un groupe de cinq principaux Chefs d’Etat revendiquant le projet à savoir : le Sud-Africain Thabo Mbeki, le Sénégalais Abdoulaye Wade, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, l’Égyptien Hosni Moubarak et le Nigérian Umaru Yar’Adua. Ce « micro-G5 » n’était pas de nature à faciliter l’appropriation du projet par le reste des Chefs d’Etat.
Par Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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