Par Manuella Yapi
« En temps normal on serait ensemble en train de discuter avec certains, mais en ce moment chacun reste à sa place », lance machinalement un habitant de Olodio dans le département de Tabou au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, montrant du regard des militaires postés à un corridor.
Depuis l’attaque armée qui a causé mercredi la mort de sept soldats ivoiriens dont quatre membres des Forces spéciales, dans cette sous-préfecture située à une centaine de kilomètres de la frontière avec le Libéria, les populations et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, armée) semblent s’éviter.
Des habitants « moins nombreux dehors que d’habitude » selon K.S un jeune homme, pressent le pas en allant d’un sens à un autre de la localité, sans jeter un regard aux soldats postés à l’entrée: »c’est mieux comme ça, on ne veut plus de problèmes », lance A.D, une habitante.
Les habitants soupçonnés de « collaborer avec les ennemis »
« En général à Olodio les assaillants attaquent les villages plus proches de la frontière mais cette fois ils sont descendus jusqu’au niveau de la sous-préfecture. Ils ont été aidés, il n’y a pas une explication plus claire », déduit un soldat sur un ton grave, soutenant qu’il est « impossible que personne (n’ait) vu ces gens arriver ».
« La population ne joue pas franc-jeu » avec l’armée, selon lui, ajoutant ne pas comprendre « comment et pourquoi le même scénario se produit chaque fois » qu’il y a une attaque dans cette zone du pays, fragilisée depuis quelques années sur le plan sécuritaire.
Ces Frci disent ne pas comprendre la « méfiance » des habitants qui, a « quelques exceptions » près, « font semblant de les apprécier alors qu’en réalité » ces derniers « n’acceptent pas (leur) présence ».
« Nous sommes là pour protéger la population, on a d’ailleurs de bons amis parmi eux. Mais tant que tout n’est pas encore clair dans cette histoire on considère qu’on ne connaît personne », avance, nerveux, un agent des forces de défense qui dit évoque une éventuelle « complicité entre certains villageois et les ennemis » qu’ils « protègent » et « hébergent ».
Des interpellations « sans preuves » dénoncées
« On ne peut pas héberger chez nous des gens qui veulent déstabiliser Olodio », lance, catégorique, le président des jeunes, Simplice Kaissai Blokoui, estimant qu’il est « difficile » de savoir d’où viennent ceux qui attaquent et où ils dorment, étant donné qu’ils opèrent la nuit.
Même s’il concède qu’il y a des « brebis galeuses (qui) vivent dans le passé », M. Kaissai dénonce les interpellations « sans preuves » de certains habitants, « obligés parfois de quitter leurs campements et villages », comme à « Dewaké », par crainte de se faire arrêter.
« A Abidjan il y a des microbes qui agressent. Est-ce que cela signifie que tous leurs parents ont voulu qu’ils soient microbes? », interroge-t-il, insistant sur le fait qu’il serait le « premier à dénoncer » un assaillant s’il en rencontrait un.
« Tu vas au champ, on t’arrête; tu marches vers la brousse on t’arrête! », s’exclame, l’air exaspréré, une habitante pour qui « ce sont les innocents qui paient les pots cassés », prenant pour exemple l’interpellation d’un « frère en Christ » sur le chemin de l’église « vers 5h », soit près d’une heure après le début de l’attaque ou encore celle d’un déséquilibré mental, Kapé Wéré, « qui ne peut même pas parler correctement ».
Visiblement très remonté, M. Djéré, partisan du Front populaire ivoirien (FPI, ex-parti au pouvoir) dénonce l’interpellation de son fils prénommé Félix Daudéhé qui a été « battu (…) sans preuve » selon lui, alors qu’il rendait visite à sa sœur avant de retourner à Abidjan où il est « étudiant ».
« Je considère qu’on est en présence d’une armée d’occupation », hausse-t-il le ton. « Au lieu de chercher les assaillants, maintenant on s’en prend aux villageois (…) qui n’ont rien à voir » avec l’attaque, ajoute-t-il, regrettant de n’avoir pas eu l’occasion de voir son fils parce qu’il a été « directement envoyé à Abidjan comme beaucoup » d’autres.
Mercredi aux environs de 4h, des individus armés ont attaqué des positions de l’armée ivoirienne à Olodio, faisant 11 morts dont quatre dans le camp des assaillants. Selon les populations, ce sont « plus de trente personnes » dont de nombreux villageois, qui ont été interpellés et « envoyés directement à Abidjan ».
Les localités du département de Tabou, notamment les sous-préfectures Olodio et Grabo (attaquée le 10 janvier), ont plusieurs fois essuyé des attaques armées en provenance de la frontière libérienne ces dernières années.
MYA
Alerte info/Connectionivoirienne.net
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