Côte d’Ivoire – La convocation de Soro devant une juridiction française est un mépris de type «colonial»

La convocation du Président de l’Assemblée Nationale ivoirienne, devant une juridiction française, est un mépris de type « colonial » à la dignité des peuples africains, et un « deni » de la souveraineté de leurs États.

Une tribune de Pierre Soumarey

assemblee_

La comparution d’un citoyen d’un État donné, devant un juge d’un autre État, soulève au plan juridique, des problèmes de recevabilité et de compétence, au plan politique, des problèmes, de souveraineté et de relation. À ceux-ci s’ajoutent, celui de la « justiciabilité » du sujet concerné, au regard de la conformité d’une telle procédure, avec le régime de la responsabilité pénale d’une personnalité d’un État souverain (membre de Gouvernement, représentants diplomatiques ou politiques), jouissant d’une immunité au plan du droit interne ou externe, et celui des règles de saisine en matière de relations internationales, qui posent in fine, le problème de l’application des instruments internationaux auxquels ces deux États sont soumis, en raison des conventions qu’ils ont librement ratifiées. La réciprocité doit être la règle cardinale en la matière. Privé de cet élément, nous assisterions à la transposition d’une discrimination de fait, dans le droit international, qui consacrerait le droit que peut s’arroger une puissance du Nord sur un pays du Sud, à travers un rapport de domination, un rapport d’enfant/mère ou père. En effet, une telle convention matérialiserait la cession d’un droit de souveraineté, sans garantie et sans une contrepartie équilibrée. Ce qui serait manifestement insupportable pour la Souveraineté d’un État indépendant. En effet, les statuts juridiques d’un citoyen ordinaire et d’une personnalité d’un État donné, de surcroit doté d’un mandat de représentation nationale (parlementaire), ne sont pas identiques, tant en droit national, qu’en droit international. Ils ne sont pas justiciables au même titre. Ignorer ce statut dans le cas présent, est au plan national, une entorse grave au droit, et au plan international, une insulte à la souveraineté d’un État.

Une Juridiction qui ne possède aucune compétence universelle, et qui ignore volontairement ces éléments, fait preuve d’une prétention démesurée, donc d’un mépris. Cette arrogance est vexatoire, tant elle s’assimile à une attitude « coloniale ». Je suis très surpris que l’État de Côte d’Ivoire n’ait élevé à ce jour, aucune protestation officielle. Cette façon de procéder est inadmissible et insultante. Peut-on imaginer le scénario inverse et la passivité de la France devant une telle offense ? Je suis également surpris, que le Président de L’Assemblée Nationale, lui-même, en sa qualité de principal intéressé, n’ait pas, par son conseil, opposer au Juge concerné, son incompétence et son intention de ne point déférer à sa Convocation. Ceci, même dans le cas où ladite Convocation ne lui serait pas parvenue, selon ses dires, mais du fait de la simple existence d’une telle procédure à son encontre (qu’il a bien entendu les moyens de vérifier, non pas auprès de la chancellerie en Côte D’Ivoire, mais directement auprès de la juridiction concernée). C’est ici, le choix d’exprimer sans attendre, sa profonde indignation devant un abus de droit caractérisé, et d’affirmer la philosophie politique de ne point s’installer dans une logique de « vassalisation ou de colonisation ». Nous sommes en présence d’un principe, et non seulement de vices, susceptibles d’affecter la régularité d’une procédure. Dès lors, l’on n’a nullement besoin d’attendre une plaidoirie « in limine litis » pour invoquer la nullité de ladite procédure et l’abandon des poursuites, car ce serait accepté de fait, le viol de la souveraineté d’un État.

1 – En règle générale, la compétence d’une juridiction, est déterminée par la nature du délit allégué, du lieu de commission de celui-ci, de la résidence des parties, et en considération du statut des personnes mises en cause.

La compétence d’un juge est directement liée aux éléments ci-dessus. Or, cette affaire concerne deux Ivoiriens, un national et un binational, pour laquelle, les faits ayant motivés l’ouverture d’une information judiciaire, se sont déroulés sur le territoire de la République de Côte d’Ivoire. Dès lors, seule la nature de ceux-ci, peut donner compétence à une juridiction étrangère, dans certaines conditions précises, et sous réserve du statut des personnes visées par ladite procédure. C’est le cas des crimes contre l’humanité, au sens que leur donnent les Tribunaux Internationaux à vocation universelle. De toute évidence, une juridiction de compétence nationale, n’est compétente, que pour connaître des faits portant infraction à la législation nationale. En principe, les lois d’un pays s’appliquent à l’intérieur de ses frontières. Ainsi, la loi française est applicable à une infraction commise en France, quelle que soit la nationalité de son auteur. Elle n’a pas compétence universelle. Or, toutes les législations internes répriment expressément les traitements dégradants de la personne humaine et la torture, comme elles n’autorisent pas les représailles politiques et ethniques, entrainant le massacre systématique, massif, et généralisé des populations. Dès lors, elles sont réputées compétentes au plan national, pour connaître des infractions violant ces dispositions sur son Sol. Ce n’est qu’en l’absence d’une volonté de poursuite, et en présence d’une insuffisance avérée de sa justice nationale, que la saisine de la Justice internationale peut être valablement envisagée. C’est une Justice de complémentarité ou de substitution, à l’inverse de la Loi Française qui promeut une Justice de suprématie.

Le choix de saisir la justice Française, n’a été réalisé qu’au regard de la possession de la nationalité Française du requérant (Le Pr Michel Gbagbo). Cette qualité pose néanmoins la question de la résidence de l’intéressé, au regard de la compétence territoriale, et se heurte inversement, à la possession d’une nationalité étrangère de l’auteur présumé et à son statut (Nationalité Ivoirienne de M. Soro Guillaume G., et son immunité parlémentaire). Cette situation, rend nécessaire la mise en oeuvre par les autorités compétentes des deux Etats, dont sont originaires lesdits ressortissants, de la Convention d’assistance et d’entraide en matière pénale, qui pourrait lier ces deux États. L’objet d’une telle convention est précisément de définir et de régler entre ces deux Etats signataires, les conditions dans lesquelles ils conviennent de s’accorder mutuellement une aide judiciaire en matière pénale, pour l’accomplissement de certains actes judiciaires, dont au cas qui nous occupe, une audition dans le cadre d’une information. Ce n’est évidemment que dans l’hypothèse où elle aura été mise en oeuvre par les autorités compétentes de la France, que pourront être invoquées les diverses dispositions qu’elle contient, pour répondre ou ne pas déférer à cette convocation. Telle est pour l’instant la position du Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, voire du Gouvernement Ivoirien.

Or, il apparaît en l’état, compte tenu des dires de M. Soro Guillaume G. et des informations dont font état les médias, que ce dernier, n’a fait l’objet d’aucune citation ou convocation, dans les formes de ladite Convention. Il ressort de cette situation, que le Juge Français, n’a mis en oeuvre, aucun des mécanismes d’entraide prévus par ladite Convention. Une telle aide n’a jamais été requise auprès des autorités Ivoiriennes dans cette affaire, alors, qu’une telle Convention d’entraide a pour but, d’assurer la meilleure coopération entre ces deux Etats dans ce genre d’affaires. Pour l’instant, il nous est donné d’observer que la convocation du mis en examen, n’est pas intervenue dans les formes prévues par la Convention. Par conséquent, serait-elle illégale, nulle et non avenue ? Existe-il une procédure simplifiée, ou une clause prévue par le texte de cette Convention, qui autorise, quelles que soient les formes de la convocation, qu’un ressortissant étranger accepte spontanément de témoigner à la demande d’un Juge Français, ou de se faire volontairement auditionner en France dans le cadre d’une instruction, suite à une convocation ? C’est le cas de figure, le plus probable, et manifestement nous sommes dans cette situation. D’une part, M. Guillaume Soro G. refuse de déférer volontairement à cette convocation, qui le priverait du coup, du bénéfice des garanties de protection prévues par ladite convocation, et par son statut de parlementaire (immunités), car il ne pourra plus les invoquer par la suite, la procédure étant entière, et d’autre part, le Juge qui n’a pas constaté encore un refus persistant de sa part, de répondre à sa convocation, n’a pas souhaité, pour l’instant, actionner ladite Convocation, faute de chefs de poursuites précis, dirigés contre l’intéressé. Rappelons qu’il s’agit pour l’instant, d’une simple Instruction, d’une Information, d’une Audition. Elles sont destinées à recueillir les preuves relatives à la commission d’une infraction pénale, à déterminer si l’infraction est véritablement constituée, et si le mis en cause, en est réellement l’auteur ou le co-auteur. À ce niveau précoce de la procédure, peut-il lancer des poursuites, même s’il s’agit d’une dénonciation nominative ? En droit international, Il ne peut que déléguer son pouvoir aux autorités nationales Ivoiriennes par l’émission d’une commission rogatoire, ou se déplacer, pour accomplir à Abidjan, si la Convention le permet, les actes qu’il aurait accomplis à Paris. Dans le cadre d’une coopération judiciaire, la confiance réciproque s’impose aux parties signataires. Aussi, il n’est pas exclu de penser, qu’il ne veuille pas perdre la main sur le dossier, en actionnant ladite Convention ?

2 – La recevabilité de l’action, au regard de la compétence du Juge Français, pose un problème de réciprocité et de souveraineté.

Sans préjuger du fonds, car c’est parfaitement le droit du requérant, en l’occurrence le Pr. Michel Gbagbo, de saisir la justice des préjudices et sévices qu’il a subi, de se les faire reconnaître par la Justice, et d’en exiger réparation et sanction pour les auteurs, on peut néanmoins, s’interroger sur la recevabilité de son action, au regard de la compétence du Juge Français. La légitimité de l’initiative procédurale du plaignant n’est pas questionnée ici. C’est à la justice de se prononcer sur son bien-fondé et sa compétence. De la même manière, il ne s’agit pas de la volonté de soustraire le Président de l’Assemblée Nationale d’une procédure de justice, à plus forte raison, de chercher à l’innocenter. C’est à la justice d’apprécier sa responsabilité pénale, d’établir son innocence ou sa culpabilité, et nul n’est au-dessus d’elle. L’objet de mon propos ne porte pas sur les personnes, ni sur le fond de l’affaire. Ce qui est questionné ici, c’est la compétence de la juridiction française. Celle-ci en jugeant l’action recevable, se déclare de fait compétente, et contrevient par conséquent, à la doctrine du Droit International. Il s’agit de la reconnaissance unilatérale de la compétence de la Juridiction Française, en la matière, alors qu‘elle n’a pas de compétence universelle. À supposer qu’il existe en droit Français, une disposition interne, visant à protéger ses ressortissants vivant à l’extérieur, une telle disposition existe d’ailleurs, en cas de menace de massacre de masse de sa population vivant dans un territoire étranger donné, il ne demeure pas moins, que la Côte d’Ivoire n’est ni partie prenante à ce texte, ni assujettie à une telle disposition, pour qu’elle puisse s’imposer à elle. D’où un telle Loi nationale, tirerait sa force contraignante à l’égard d’un pays tiers ?

Les États ont l’obligation d’agir à travers les instruments internationaux de protection de la dignité humaine. Or la France, dispose dans son Code Pénal d’un arsenal (Art. 113-1 à 113-12) posant un certains nombres de principes, qui, combinés au principe du droit international de la solidarité entre États en matière pénale, donnent à ses lois une portée très élargie, permettant leur application quel que soit le lieu de leur commission, et dont la première conséquence est d’établir la compétence des Juridictions Françaises, en ces matières. C’est une façon de rattacher par un lien juridique, des territoires étrangers (lieux de commission) au territoire Français. Autant dire un lien de type colonial. Mépris suprême ? En effet, comment comprendre, que des États, s’arrogent unilatéralement le pouvoir d’instruire sur leur territoire des cas relatifs à des étrangers, pour des faits ayant eu lieu à l’étranger, sans recourir aux instruments internationaux, motif tiré de ce qu’ils se considèrent eux-mêmes, comme des puissances n’ayant de comptes à rendre à qui que ce soit, et que de par leur puissance, leurs lois s’imposent aux autres États, parce que plus élaborées, « plus civilisées », plus « universalistes ». Il faut observer que cette règle, s’applique dans la pratique, uniquement lorsque les États tiers concernés, sont faibles ou qu’ils font partie de leur ancien empire colonial.

Lorsqu’un acte (violation ou infraction) est perpétré exclusivement et entièrement à l’étranger, sans que rien ne puisse en droit (indivisibilité de l’acte, ou principe jurisprudentiel relatif à un acte principal ou précédent), le relier au territoire français, le principe de la territorialité de la Loi pénale ne justifie plus l’application du droit français. Considérer que si l’auteur ou la victime de l’acte, possède la nationalité Française, le droit Français s’applique de plein droit, en leur qualité de sujets de droit français, revient à accorder de fait, à ses ressortissants, une sorte de supériorité et d’immunité extraterritoriale, alors que toute personne vivant sur un territoire donné, est soumise aux lois de cet État. En disposant dans son droit interne d’un principe dit « de la personnalité passive » (la personne ne peut que subir dans un tel environnement), l’infraction commise à l’étranger sur une victime possédant la nationalité française, rend la loi française compétente et ce, peu importe que l’auteur de l’infraction soit de nationalité française ou étrangère. Il s’agit là, ni plus, ni moins, d’une discrimination devant la Loi nationale, et du principe de la primauté de la Loi Française, sur toute législation étrangère.

Ce monopole de la justice que s’attribuent certains États, n’est assorti d’aucune réciprocité, ni d’aucune concession sur leur souveraineté. Ils dénient parallèlement toute compétente aux juridictions étrangères pour juger leurs ressortissants, à plus forte raison, pour des faits commis sur leur Sol. Imagines t-on un Juge Ivoirien, recevoir une plainte d’un Franco-Ivoirien, convoquer sur cette base, le second Personnage de la République Française, pour une affaire ayant eu lieu en France, entre ce Franco-Ivoirien et cette personnalité Française ? On aurait immédiatement parlé de plaisanterie de mauvais goût, et demander gentiment au Gouvernement Ivoirien de calmer les ardeurs de son Juge. Serait-on dans la logique d’une justice à deux vitesses ou d’un partenariat déséquilibré ? Une sorte de prolongement moderne de l’État colonial ? Faut-il pousser les choses jusqu’au ridicule ? Il est une évidence, Le Président Guillaume Soro G. n’a nullement l’intention de comparaître de lui-même devant le Juge Français, ou de déférer à sa convocation en dehors du Cadre de la Convention de Coopération et d’entraide judiciaire, en matière pénale, signée entre la France et la Côte d’Ivoire. En contrepartie, il est peu probable que le Juge Français lance en réaction à ce refus, un mandat international d’arrêt, sans la demande explicite de la France, et le consentement de la Côte d’Ivoire. Hypothèse donc hautement improbable, à moins que …….. (ce serait un scénario déjà observé ailleurs et tout près de nous en Afrique., car commettre des infractions hors de France, en l’état actuel des droits nationaux et du rapport de force entre le Nord et le Sud, ne met pas nécessairement comme nous l’avons vu, à l’abri de la Justice pénale française.). Cependant, nous ne serions plus dans l’hypothèse d’un tel scénario, fortement improbable, dans le droit, mais dans la politique, en instrumentalisant la Justice. En tout état de cause, nous voyons bien qu’il faudra passer au final, par la case « Etat », et que le Juge en question n’est pas si libre qu’il le croit, pour agir comme il le fait. Et dès lors, que les États s’en mêlent, il y a des intérêts économiques, des pressions diplomatiques et des considérations politiques qui rentrent en jeu. Dès lors aussi, il n’y plus de justice crédible, quel que soit l’État auquel elle se rattache.

En matière de torture et de traitements dégradants de la personne humaine, il existe des Conventions que la Côte d’Ivoire a ratifiées, ce sont elles qui ont vocation à s’appliquer au cas d’espèce, pour respecter l’égalité des États en droit, et la souveraineté de ceux-ci. L’enjeu ne consiste pas à remettre en cause la procédure actuelle, telle qu’elle se déroule, mais d’interpeller les fondements du Droit National Français et du Droit International, en tant que système de complémentarité et de concurrence, entre États souverains, mais aussi de questionner les relations entre puissances et pays faibles, sous le rapport du droit. Les limites de la souveraineté des États dans la nouvelle mondialisation, nécessitent de nouveaux équilibrages, afin qu’elles ne violent pas, sur la base de constructions inacceptables, le Droit des États. Il existe déjà de véhémentes discussions (éthique, politique, et juridique) sur la Justice Internationale dans sa forme institutionnelle, nonobstant le fait que les États qui contestent son fonctionnement y ont librement adhéré et s’y sont soumis, pour qu’on maintienne et accepte dans le concert des nations, une ou des justices nationales, à compétence internationale. L’incrimination d’individus au travers de la compétence universelle, est la seule voie compatible avec la souveraineté, au sens de la construction d’un système de normes impératives, de caractère universel, susceptibles de traduire les fondements de la Civilisation que nous voulons bâtir ensemble pour l’humanité . Cela suppose des valeurs de partage et des intérêts réciproques, et non un système admettant une domination de fait, et la supériorité d’une citoyenneté sur une autre, ou d’une justice nationale sur une autre, comme mode de relation entre États.

Commentaires Facebook

Les commentaires sont fermés.