Côte-d’Ivoire Jeune Afrique condamné pour « diffamation » par la justice française, le diplomate ivoirien blanchi (jugement)

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Source: Lebanco.net

Dans l’affaire qui l’oppose à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, qu’il accuse de lui avoir prêté des propos qu’il n’a jamais tenus et qui ont causé son limogeage du poste d’ambassadeur de la Côte d’Ivoire auprès de l’ONU, Youssoufou Bamba a eu la faveur du verdict de la justice française.

Vu l’ordonnance sur requête rendue le 25 mars 2015, autorisant Youssoufou BAMBA à «assigner à » jour fixe pour l’audience du 16 septembre 2015, date à laquelle l’affaire a été renvoyée au 30 septembre 2015 ;
Vu l’assignation du 8 avril 2015, dénoncée au procureur de la République le 14 avril 2015, et les dernières conclusions du 3 septembre 2015, aux terme desquelles Youssoufou BAMBA demande au tribunal, sur le fondement des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et avec exécution provisoire, outre une mesure de publication judiciaire, de :
– condamner Marwane BEN YAHMED, en qualité de Directeur de la publication de l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE, à lui verser la somme de X euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant des atteintes portées à son honneur et à sa considération par des propos contenus dans un article publié en page 8 du numéro 2825 de JEUNE AFRIQUE daté du 1er au 7 mars 2015, ainsi que la somme de X euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux entiers dépens de l’instance ;
– déclarer civilement responsable la société SIFIJA, en sa qualité d’éditrice de la publication poursuivie.

C’est le verdict rendu par la justice française la justice française dans ce qu’il convint d’appeler l’Affaire Youssoufou Bamba.

Pour ce qui est du motif du jugement, il convint de rappeler qu’en page 8 de son numéro 2825, daté du 1er au 7 mars 2015, l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE a publié un bref article intitulé: « Côte d’Ivoire – Maroc on a frôlé la crise diplomatique », au sein duquel le demandeur poursuit comme étant diffamatoires à son égard les trois passages suivants :

-« Les relations bilatérales (…) ont souffert d’un gros couac diplomatique à propos du dossier toujours sensible du Sahara. » ;

–  » En octobre 2014 a` l’ONU, Youssoufou Bamba, l’ambassadeur ivoirien auprès de cette organisation, a qualifié le Sahara de « dernière colonie d’Afrique », expression que la diplomatie marocaine a aussitôt interprété comme un soutien implicite aux indépendantistes du Front Polisario. » ;

–  » Visiblement, l’ambassadeur a parlé sans en référer à sa hiérarchie et s’est placé en porte-à-faux avec la position officielle de son pays, qui n’a jamais reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD).

Toute chose qui a conduit le Chef d’Etat, Alassane Ouattara a révoqué l’ambassadeur Youssoufou Bamba en vue de rassurer le Maroc, pays avec lequel la Côte d’Ivoire entretient des relations privilégiées surtout depuis l’avènement du président Ouattara au pouvoir.

Selon les conclusions de la justice, le propos imputé au diplomate d’avoir tenu à l’ONU en qualifiant le Sahara de « dernière colonie d’Afrique », n’a jamais été tenu, ce qu’a reconnu JEUNE AFRIQUE dans un article mis en ligne sur son site le 13 mars 2015 « (…) il a qualifié le Sahara de « dernier territoire non autonome d’Afrique » (et non de « dernière colonie d’Afrique » comme nous l’avons rapporté). »
Contrairement à ce que Jeune-Afrique affirme le 13 mars, nous notons que l’Ambassadeur n’a jamais qualifié le Sahara de dernier territoire non autonome dans la mesure où il n’a jamais pris part à cette réunion.
– d’autre part, l’ambassadeur n’a pas participé à la réunion d’octobre 2014 aux Nations Unies au cours de laquelle il aurait personnellement tenu des propos contraires à la position diplomatique officielle de son pays, ce que l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE a reconnu dans son numéro 2828, daté du 22 au 28 mars 2015, sous le droit de réponse publié à la demande de Youssoufou BAMBA.

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe Contradictoire
En premier ressort
Vu l’ordonnance sur requête rendue le 25 mars 2015, autorisant Youssoufou BAMBA à assigner à jour fixe pour l’audience du 16 septembre 2015, date à laquelle l’affaire a été renvoyée au 30 septembre 2015 ;
Vu l’assignation du 8 avril 2015, dénoncée au procureur de la République le 14 avril 2015, et les dernières conclusions du 3 septembre 2015, aux terme desquelles Youssoufou BAMBA demande au tribunal, sur le fondement des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et avec exécution provisoire, outre une mesure de publication judiciaire, de :

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– condamner Marwane BEN YAHMED, en qualité de directeur de la publication de l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE, à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant des atteintes portées à son honneur et à sa considération par des propos contenus dans un article publié en page 8 du numéro 2825 de JEUNE AFRIQUE daté du 1er au 7 mars 2015, ainsi que la somme de 3. 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux entiers dépens de l’instance ;
– déclarer civilement responsable la société SIFIJA, en sa qualité d’éditrice de la publication poursuivie ;
Vu les conclusions récapitulatives prises le 7 septembre 2015 par Marwane BEN YAHMED, en sa qualité de directeur de la publication de JEUNE AFRIQUE, et par la société SIFIJA, en sa qualité d’éditrice, tendant à voir :
– débouter Youssoufou BAMBA de toutes ses demandes ;
– condamner le demandeur en tous les dépens de l’instance, ainsi qu’au paiement de la somme de 5.000 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DU JUGEMENT :
Sur la diffamation :
En page 8 de son numéro 2825, daté du 1er au 7 mars 2015, l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE a publié un bref article intitulé : “Côte d’Ivoire D Maroc On a frôlé la crise diplomatique”, au sein duquel le demandeur poursuit comme étant diffamatoires à son égard les trois passages suivants :
-“ Les relations bilatérales (…) ont souffert d’un gros couac diplomatique à propos du dossier toujours sensible du Sahara.” ;
– “ En octobre 2014 à l’ONU, Youssoufou Bamba, l’ambassadeur ivoirien auprès de cette organisation, a qualifié le Sahara de “dernière colonie d’Afrique”, expression que la diplomatie marocaine a aussitôt interprété comme un soutien implicite aux indépendantistes du Front Polisario.” ;

– “ Visiblement, l’ambassadeur a parlé sans en référer à sa hiérarchie et s’est placé en porte-à-faux avec la position officielle de son pays, qui n’a jamais reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Alassane Ouattara a donc dû le rappeler à l’ordre et s’employer à rassurer les Marocains.”
Il convient de rappeler que le premier alinéa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” , ledit fait devant être suffisamment précis pour pouvoir faire, sans difficulté, l’objet du débat sur la preuve de sa vérité organisé par les articles 35, 33 et 56 de la loi ; la diffamation, qui est caractérisée même si l’imputation est formulée sous forme déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation, se distingue ainsi aussi bien de l’injure, que l’alinéa 2 du même article 29 définit comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”, que de l’expression subjective d’une opinion, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées, mais dont la vérité ne saurait être prouvée.
En l’espèce, les trois passages poursuivis, qui se suivent dans l’article et forment un tout qui ne saurait être artificiellement scindé, imputent au demandeur d’avoir, en sa qualité d’ambassadeur de la Côte d’Ivoire auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU), tenu de son propre chef, en octobre 2014, devant cette organisation internationale, des propos sur le Sahara contraires à la position officielle de son pays, qui ont perturbé les relations bilatérales entre la Côte d’Ivoire et le Maroc et ont contraint le président de la République ivoirienne a “le rappeler à l’ordre” et à intervenir personnellement pour “rassurer les Marocains”, une telle imputation, qui porte sur des faits précis susceptibles de faire, sans difficulté, l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de leur vérité, est, en l’espèce, incontestablement attentatoire à la considération professionnelle du demandeur, en ce qu’il lui est imputé, en sa qualité de diplomate, un comportement et des propos délibérément contraires à la position du pays qu’il représente et dont il est la voix officielle auprès de l’organisation internationale devant laquelle il s’est exprimé.
Le bénéfice de la bonne foi invoqué en défense, et qui s’apprécie en la personne de l’auteur des propos incriminés, ne saurait, en l’espèce, être accordé au directeur de la publication, alors qu’il résulte des pièces produites aux débats :

– d’une part, que le propos qu’il est imputé au demandeur d’avoir tenu à l’ONU en qualifiant le Sahara de “dernière colonie d’Afrique”, n’a jamais été tenu, ce qu’a reconnu JEUNE AFRIQUE dans un article mis en ligne sur son site le 13 mars 2015 “(…) il a qualifié le Sahara de “dernier territoire non autonome d’Afrique” (et non de “dernière colonie d’Afrique” comme nous l’avons rapporté).”
– d’autre part, que le demandeur n’a pas participé à la réunion d’octobre 2014 aux Nations Unies au cours de laquelle il aurait personnellement tenu des propos contraires à la position diplomatique officielle de son pays, ce que l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE a reconnu dans son numéro 2828, daté du 22 au 28 mars 2015, sous le droit de réponse publié à la demande de Youssoufou BAMBA.
L’ensemble de ces erreurs, portant à la fois sur la teneur exacte des propos imputés au demandeur et sur le fait qu’il les aurait personnellement tenus, exclut qu’il puisse, en l’espèce, être fait application de l’excuse de bonne foi au directeur de la publication.
Sur le préjudice :

Si le demandeur n’impute pas dans son assignation et dans ses dernières conclusions, de manière parfaitement claire et explicite, son limogeage à la publication de l’article litigieux, la demande d’indemnisation qu’il forme – 50.000 euros “somme à mettre en perspective avec son traitement antérieur dont il a été brusquement privé”-s’interprète cependant comme établissant un lien direct entre cet article et le fait qu’il “a été remercié sans aucune forme de procès”.
Si la lettre du 2 mars 2015 produite en défense et adressée par le ministre des Affaires étrangères au président de la République de Côte d’Ivoire
– aux termes de laquelle le ministre écrit : “Suite au mail que Vous avez bien voulu me transmettre […] j’ai adressé, ce lundi 2 mars 2015, à l’Ambassadeur BAMBA Youssouf, Représentant Permanent de la Côte d’Ivoire auprès des Nations Unies à New York, un message l’informant de la fin immédiate de sa mission […]” – n’exclut pas la possibilité que cette cessation immédiate soit en lien avec l’article litigieux dont la publication date du 1er mars 2015, il convient cependant de constater que le demandeur n’oppose aucune réplique :

– aux déclarations de JEUNE AFRIQUE publiées dans son numéro 2828 daté du 22 au 28 mars 2015, sous le droit de réponse du demandeur, déclarations reproduites dans les conclusions des défendeurs : “Il est en revanche inexact de laisser croire, ainsi que l’ont répété M.Bamba et son avocat (…) que c’est la publication de cet incident dans J.A. qui est à l’origine du limogeage de l’ambassadeur. Comme le démontre notre article, l’enquête interne concernant sa responsabilité dans cette affaire a été ouverte bien avant – ce que M. Bamba n’ignore pas” ;
– au contenu de l’article ci-dessus évoqué, article publié dans le même numéro, sous le titre : “L’affaire Youssoufou Bamba”, dans lequel on peut notamment lire : “Rabat, du coup, s’agace de l’absence de réaction des Ivoiriens et profite d’une visite du président Alassane Ouattara au Maroc, les 20 et 21 février 2015, pour s’en étonner. A partir de là, tout s’accélère pour Youssoufou Bamba. Mi-février, Charles Diby Koffi, le ministre ivoirien des Affaires étrangères, lui adresse, sur instruction de la présidence, une demande d’explications […] Le chef de la diplomatie ivoirienne a un temps envisagé de lui permettre de rester en fonction jusqu’à la fin de l’année scolaire, mais Alassane Ouattara en a décidé autrement […] D’où son limogeage, qui lui a été notifié fin février”.
Il convient ainsi de constater que le demandeur, auquel incombe la charge de la preuve, ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la cessation de ses fonctions d’ambassadeur auprès des Nations Unies et la publication de l’article litigieux.
Seul un préjudice moral résultant de la diffamation dont il a été victime à raison de la publication en cause pourra, en l’espèce, être réparé.
A ce titre, et en tenant compte du droit de réponse déjà publié dans le numéro 2828 daté du 22 au 28 mars 2015, il sera alloué au demandeur, à titre de dommages et intérêts, la somme de 1.500 euros , au paiement de laquelle seront solidairement condamnés les deux défendeurs, et il sera fait droit à la demande de publication judiciaire, selon les termes ci- après précisés dans le dispositif.
Les défendeurs seront condamnés aux entiers dépens de l’instance et verront ainsi rejetée leur demande d’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur le même fondement, les deux défendeurs seront condamnés in solidum à payer au demandeur la somme de 3.000 euros.
Compatible avec la nature de l’affaire et justifiée par les faits de la cause, l’exécution provisoire du jugement sera ordonnée en toutes ses dispositions

PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort :
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Condamne solidairement Marwane BEN YAHMED, en qualité de directeur de la publication de l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE, et la société SIFIJA, en qualité de civilement responsable, à payer à Youssoufou BAMBA le somme de mille cinq cents euros (1.500 euros) à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral résultant de la diffamation publique dont il a été victime par la publication de propos dans le numéro 2825 de JEUNE AFRIQUE, daté du 1er au 7 mars 2015 ;
Ordonne, à titre de réparation complémentaire, la publication, en page de sommaire du premier numéro de JEUNE AFRIQUE a paraître à l’expiration d’un délai de 15 jours faisant suite à la signification du présent jugement, du communiqué suivant :

Par jugement du 18 novembre 2015, le Tribunal de grande instance de Paris – 17ème chambre, chambre civile de la Presse – a condamné
Marwane BEN YAHMED, en qualité de directeur de la publication de l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE, et la société éditrice SIFIJA, à verser à Youssoufou BAMBA des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de propos diffamatoires à son égard publiés en page 8 du numéro 2825 de JEUNE AFRIQUE, daté
du 1er au 7 mars 2015, dans un article intitulé : “Côte d’Ivoire – Maroc On a frôlé la crise diplomatique”.

Dit que ce communiqué sera publié, dans un encadré noir sur fond blanc, occupant toute la largeur inférieure de la page de sommaire, en caractères gras et noirs, de taille et d’épaisseur identiques à celles utilisées dans l’article litigieux, sous le titre : CONDAMNATION JUDICIAIRE, écrit en caractères majuscules, gras et rouges, d’une taille et d’une épaisseur identiques à celles utilisées pour les lettres majuscules composant le titre de l’article poursuivi ;

Condamne in solidum Marwane BEN YAHMED et la société SIFIJA, en qualité respective de directeur de la publication et d’éditrice de l’hebdomadaire JEUNE AFRIQUE, aux entiers dépens de l’instance, ainsi qu’au paiement à Youssoufou BAMBA de la somme de trois mille euros (3.000 euros) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les défendeurs de leur demande d’application de l’article 700 susvisé ;
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement en toutes ses dispositions ;

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