Par Patrice Allégbé
Le prix moyen du kilogramme d’hévéa qui permettrait au planteur ivoirien « de s’en sortir est entre 350 et 500 Fcfa » contre 255 Fcfa actuellement pratiqué, en raison de la chute des cours mondiaux, estime le 1er vice-président de la Fédération nationale des sociétés coopératives d’hévéa de Côte d’Ivoire (Fenascooph-CI), Isaac Adi Kouamé, dans un entretien à Alerte info.
Quelles sont les difficultés réelles auxquelles les producteurs d’hévéa sont confrontés ?
Aujourd’hui, les cours mondiaux du caoutchouc ont considérablement baissé sur le marché international, c’est le premier facteur qui fait que nous avons des difficultés pour commercialiser nos produits.
Le kilogramme de caoutchouc humide est acheté à 255 FCFA au planteur. En 2011, on était allé de 1.000 F à 1.100 FCFA le kilo aux planteurs, c’était vraiment un bond extraordinaire.
Pour nous, la moyenne des prix qui permet aux planteurs de s’en sortir, c’est entre 350 et 500 Fcfa, mais aujourd’hui, nous sommes à 250 ou 255 FCFA et quand vous regardez les cours mondiaux, les prix ne font que chuter.
C’est le premier facteur qui aujourd’hui met la filière en difficulté. Au niveau international, ce qui joue sur les prix (c’est que) l’économie de l’Europe n’est pas très en berne, les Etats-Unis ont repris, mais ce n’est pas encore la grande forme, et la Chine qui supportait l’économie mondiale du caoutchouc, n’a plus une croissance à deux chiffres, mais plutôt une croissance à un seul chiffre.
Il y a deux mois, la Chine a dévalué à deux reprises sa monnaie, donc automatiquement les cours du caoutchouc ont chuté au niveau mondial. Il y a aussi le fait que les Chinois ont pratiquement un an de stocks, ce qui impacte la demande sur le marché international.
Au plan local, comment est ressentie cette chute des cours mondiaux du caoutchouc ?
Il faut noter qu’au niveau national, il y a une structure des prix qui est connue depuis belle lurette, c’est donc à partir de cette structure que le prix aux paysans est fixé.
Concernant les grandes lignes de cette structure de prix, vous avez d’abord une décote de 3% que moi je dénonce. Elle est affectée sur le prix en disant que le caoutchouc ivoirien est de mauvaise qualité, nous pensons que ce n’est pas d’actualité.
Ensuite, il y a le taux d’humidité dans le caoutchouc, on suppose que le caoutchouc que le planteur vend, vous avez environ 40% d’eau, donc le prix du caoutchouc est ramené à 60% aux planteurs, au lieu que le planteur soit payé en plein pot par rapport au prix international, c’est plutôt 60% qui lui est reversé. Donc, au niveau de la structure des prix, les choses sont à revoir.
Il y aussi des prélèvements de taxes : le planteur paie 2,5% d’impôt sur son revenu, ce n’est pas énorme, mais on peut négocier avec l’Etat comme les prix ont chuté pour ramener à le baisse ce taux à 1%, mais je dis que ce n’est pas ça qui impacte négativement le prix.
Concernant le taux de 5% sur l’exportation des usiniers, l’Etat de Côte d’Ivoire a pris des mesures, ce taux a été modulé en fonction du prix international. Lorsque vous êtes au-delà de 1.000 Fcfa vous payez l’impôt, mais tant que les prix sont en dessous de 1.000 Fcfa, il n’y a pas d’impôt, aujourd’hui où les prix internationaux sont en dessous, il n’y a pas d’impôt de 5%.
Il y a des tranches qui ont été fixées jusqu’à ce que vous soyez à 1.800 Fcfa, c’est à partir de ce moment là que la taxe remonte jusqu’à 5%, donc la fiscalité n’est pas en réalité un véritable problème qui pèse sur le prix d’achat bord champ des producteurs.
Qu’est-ce qui grippe alors la commercialisation des productions des paysans ?
C’est la volatilité des cours de cette matière première qui impacte le revenu des planteurs. Aujourd’hui, les paysans ont du mal à commercialiser leur caoutchouc, au niveau national, les usiniers ferment les ponts parce qu’ils disent qu’ils n’ont pas assez de trésorerie, ils ont tellement de stocks qu’ils ne peuvent pas prendre de caoutchouc.
Le planteur ne sait plus où vendre son caoutchouc, même quand le prix est à 200 Fcfa ou 150 Fcfa, il ne sait pas où vendre. Ca, c’est la première difficulté majeure au niveau local. Moi qui vous parle, ma production du mois d’octobre, je l’ai encore sous les hévéas parce qu’on n’arrive pas encore à l’écouler.
Tous nos partenaires usiniers qui prenaient le caoutchouc ont fermé. Donc, au niveau local, il faut trouver une solution pour que le planteur puisse vendre son caoutchouc. Le ministère de tutelle est en train de faire une étude pour voir s’il faut ouvrir l’exportation du latex parce que jusque là, ce n’est pas ouvert.
Il faut ouvrir l’exportation du latex, pour que même quel que soit le prix qui est homologué, le planteur puisse évacuer sa production, il puisse avoir plusieurs partenaires à qui vendre son caoutchouc.
Que proposez-vous au niveau de la structure du prix du caoutchouc ?
Au niveau de la fiscalité et de la parafiscalité, il va falloir s’asseoir pour revoir la structure des prix, ça c’est très important. Est-ce que le modèle qui est appliqué aujourd’hui répond ? IL y a pratiquement dix ans que ce modèle a été conçu.
Il faudrait absolument que le planteur puisse toucher entre 60 et 80% des prix mondiaux pour qu’il puisse avoir des revenus assez conséquents qui lui permettent de soutenir son exploitation. Il faut absolument que les acteurs se retrouvent, les scientifiques pour concevoir une autre structure des prix.
Au niveau de la fiscalité, il y a une imposition de 6 Fcfa par kilo reversée donc au FIRCA (Fonds interprofessionnel pour la recherche et le Conseil agricoles), 0,5 Fcfa par kilo pour le fonctionnement de l’APROMAC (Association des professionnels du caoutchouc naturel de Côte d’Ivoire) qui est la faîtière de l’organisation.
En tout, le planteur se retrouve avec 8,5 Fcfa par mois qu’on prélève sur son revenu. Ce que nous souhaitons, c’est que le prix soit modulé, y compris les prélèvements en fonction du prix.
Les usiniers souhaitent même que les 5% de taxe soient annulés, ainsi que la TVA qu’ils paient, parce que cela pèse sur eux. Normalement, ils ne devraient pas payer la TVA, même si derrière l’Etat doit rembourser. Pourquoi ne pas leur concéder le fait qu’ils ne paient pas de TVA.
La TVA agit aussi sur la trésorerie des usiniers et automatiquement sur les planteurs parce que quand l’usinier n’a pas d’argent, il n’achète pas le caoutchouc et les planteurs se retrouvent avec leurs stocks de latex.
PAL, avec DEK
Alerte info/Connectionivoirienne.net
Les commentaires sont fermés.