La vie institutionnelle, sociale et politique d’une nation, est rythmée par des élections. C’est pour elle, un exercice démocratique qui s’assimile à une sorte de respiration naturelle. Leur importance n’est pas liée uniquement aux enjeux de pouvoir (rapports de force et de domination pour l’accession au pouvoir) qu’elles sous-tendent en toile de fonds, mais également à la qualité de l’expression démocratique de la volonté du peuple (structures, mécanismes, transparence, crédibilité, exactitude, fidélité et sincérité du suffrage populaire). De ce point de vue, l’atteinte de cet objectif constitue également un enjeu majeur de la représentativité et de la légitimité du pouvoir, mais aussi de la solidité et de l’impartialité des Institutions de l’État. C’est de cette qualité qu’elles tirent leur capacité à assurer la continuité de l’État avec des alternances et des successions dans la paix et la stabilité, qui caractérisent les grandes nations démocratiques. C’est aussi surtout un moment, favorisant l’irruption d’un bouillon d’idées (visibilité des messages adressés aux dirigeants, débats partisans et idéologiques ; confrontation des projets et des programmes ; brassage des opinions et des idées, analyses critiques et comparatives). De ce point vue, la richesse de cette rencontre réside dans la qualité du dialogue social qu’il introduit dans la communauté nationale, qui se mobilise, sans distinction d’ethnie et de religion, autour d’intérêts collectifs et généraux (discussion thématique et sectorielle sur la gouvernance), et la pertinence des idées qui en émergent, pour structurer une vision et un objectif pour l’avenir, tels que actés par l’adhésion de la majorité du corps social à ceux-ci. La politisation de la communauté nationale à ce moment précis, est « un processus de socialisation politique qui conduit les individus à s’intéresser, à penser, à agir selon des critères politiques », correspondant à un corpus de valeurs (tolérance, égalité, liberté, paix, progrès, développement, inclusion socio-économique, solidarité sociale, etc.…). Cette fonction au-delà de la sélection qu’elle opère, entre les différents entrepreneurs et offres politiques en concurrence, contribue à la construction d’une culture politique (Meilleure information des citoyens, questionnement et démonstration du bien-fondé des actions entreprises et des choix proposés, partage de certaines valeurs et aspirations, apprentissage démocratique de la relativité et de la pluralité des idées et des opinions, acceptation des critiques, remise en cause des mesures et actions du pouvoir sortant, élévation de la conception de la nation et de l’intérêt supérieur de celle-ci). L’exercice de cette responsabilité citoyenne et de cette liberté démocratique, dans l’honnêteté, la paix et la tolérance, témoigne du degré de maturité politique qu’une société a atteint. C’est le troisième enjeu majeur d’une élection en Afrique. Construire une démocratie apaisée sur la base d’une culture politique, suffisante pour contenir les risques de « dérapage » (marchandisation de l’électorat, instrumentalisation des peurs et des haines, violence et intolérance dans les échanges, absence de « fair-play » des candidats) et induire un comportement républicain et « civilisé » (au sens de civilité). Cette compréhension de l’événement, élimine de fait dans notre entendement, toutes les questions portant sur la personne des candidats, les stratégies de positionnement et de communication, pour nous intéresser exclusivement aux idées novatrices et à la demande sociale, apparues à l’occasion de la campagne présidentielle 2015. Au niveau d’une nation, sans nier le rôle des hommes qui les portent ou les animent, seules les idées et les structures comptent réellement, pour forger son progrès et son futur.
A – L’expression d’une demande sociale
Il s’agit ici, d’évaluer le degré d’adhésion aux mesures et projets présentés durant la campagne. Pour le faire de manière, rationnelle et objective, il eut fallu procéder soit à une enquête journalistique, soit à une étude statistique (dresser un catalogue thématique synthétique, avec un questionnaire approprié), pour mesurer la force de leur écho dans l’opinion publique. Faute de pouvoir le faire (absence de volonté et de moyens logistiques, impossibilité d’agir dans le champ spatio-temporel de l’élection), nous pouvons néanmoins identifier les thèmes communs du discours politique de la campagne, à partir de leur récurrence et de leur prépondérance. Ces caractéristiques traduisent au moins, l’influence d’une réalité sociale sur la conscience des entrepreneurs politiques, qui à ce titre, l’intègrent dans leur rhétorique et leurs plans d’action, et au plus, une exigence socio-politique ou une valeur morale, partagée par tous les acteurs (partis, regroupement, et candidats). Ces sujets ou questions, s’imposent à eux par l’intensité de la force de la demande sociale, qu’ils rencontrent auprès de l’électorat en général (rencontres, sondages, débats). L’écart entre une analyse objective de l’importance thématique de la campagne (hiérarchisation et poids) et un effort personnel d’observation, laisse une place à la subjectivité, que le lecteur corrigera de lui-même.
1 – La réconciliation : L’élite politique joue un rôle décisif dans le centrage thématique de cette demande ou exigence, c’est selon, en faisant d’elle, une condition incontournable de la cohésion et de la paix sociale. L’unanimité qui se dégage au sein de la classe politique sur ce sujet (discours et programmes), questionne à la fois la volonté et la politique du Pouvoir sortant, et pointe de fait, son insuffisance, par l’existence même de propositions concurrentes et plus audacieuses en faveur de ce chantier, dont l’importance est reconnue de tous. Il s’agit d’aller plus loin qu’une décrispation ou qu’une détente politique, pour réintroduire tous les protagonistes de la crise dans le jeu politique, afin de parvenir à la résolution du conflit larvé qui persiste par le pardon réciproque, et une conciliation des points de vues pour embrasser le futur. Que faut-il en penser ?
La première erreur, est de vouloir réduire la réconciliation à une représentation symbolique, en dépit du rôle que joue la manipulation des symboles en politique, car nous en faisons un imaginaire, soutenu en réalité par des émotions et des intérêts partisans. Il est vrai que les politiques se sont fait la guerre, au sens figuré comme au sens propre du terme, mais toujours par personnes interposées (populations, militants, soldats). Vouloir ignorer ce média, dans le traitement de la réconciliation, est une erreur. On peut supposer raisonnablement, qu’une réconciliation par le haut (oligarchie politique et économique), produira nécessairement un effet d’entrainement dans le corps social tout entier. Cependant, c’est oublier du coup, la logique de conquête du pouvoir, qui porte en elle un antagonisme d’objectif et une opposition d’intérêt. Par ailleurs, l’option de dire on efface tout, on reprend les mêmes et on recommence, comme si de rien n’était, est une absurdité, en ce sens qu’elle dépénalise le crime, déresponsabilise les politiques, et insulte la mémoire des victimes. C’est mettre les éléments du conflit en veilleuse. Celle-ci ressurgira dans le temps, faute d’avoir été traitée correctement. C’est cela le risque de cette option. Il y a un intérêt évident à vider les contentieux. Nous avons l’obligation morale de tirer tous les enseignements de la crise, et de poser des garde-fous pour l’avenir, afin d’éviter sa répétition. Ceci passe par un dispositif extrêmement dissuasif (justice pénale), un strict encadrement législatif de l ‘activité politique (pénalisation des dérapages, comme l’incitation à la haine ou à la violence), et la reconnaissance formelle des fautes commises par les protagonistes de la crise. J’observe, que les politiques, ne reconnaissent pas encore pleinement leur responsabilité respective dans celle-ci. Mieux, ils attribuent constamment un caractère politique à des choses qui n’en ont pas à l’origine, soit pour exacerber le climat, soit pour récupérer des faits, quand on ne les « invente » pas de toutes pièces, en vue de décrédibiliser, voire diaboliser, l’une des parties au dialogue (pouvoir ou l’opposition), ou de conforter leur positionnement respectif (refus de participer à la vie politique institutionnelle, rapport de domination dans la définition des conditions de la paix). Cette attitude contreproductive, suscite un rejet de la part des partisans des uns à l’endroit des « autres », alors que, la réconciliation passe précisément par une modification de notre rapport à « l’autre », une modification de notre discours, de nos perceptions et de nos relations. Il n’y a donc ni volonté réelle, ni responsabilité réelle, ni confiance réciproque, dans cette classe politique, qui puisse faire penser à une réconciliation par le haut. Pour cela, il faut attendre le renouvellement du personnel politique et l’œuvre du temps. Dès lors, la réconciliation est l’affaire de la société civile et de l’économie solidaire.
Cependant, il revient en dernier ressort au Pouvoir entrant, de prendre des initiatives fortes, dans le cadre des obligations mises à sa charge par la Constitution. En tant que garant de l’unité nationale et de la cohésion sociale, celui-ci doit, plus que tendre la main, créer les conditions de la réconciliation, à toutes les échelles de la société (justice impartiale et efficace, assistance et prise en charge des victimes, réunification de l’armée, sécurité et liberté des opposants, restitution des biens et avoirs, si rien ne s’y oppose sur la base d’un fondement légal, intégration et désenclavement géographique, inclusion sociale dans la Haute Administration, règlement des points de conflit, comme les occupations illicites des sites protégés, des bâtiments publics, des résidences privées, et des plantations villageoises, ces butins de guerre infâmants et moyenâgeux ; le règlement diligent des conflits fonciers, notamment à l’Ouest ; le démantèlement des réseaux mafieux issus de l’économie souterraine et parallèle de la rébellion et de la guerre civile, vestige d’un passé douloureux ; la protection des biens des personnes placées en détention ou en exil, pour faciliter leur réinsertion, car l’exploitation de ces biens rapportent gros à certains pions du système, et pas des moindres)
2 – Une meilleure répartition des fruits de la croissance :
Tandis que les politiques dénoncent une mauvaise qualité de la croissance (extravertie, pas assez inclusive, artificielle et dangereuse parce que financée par de l’endettement), les populations réclament une redistribution plus immédiate, plus concrète, et plus équitable. Ainsi donc, l’on peut dire qu’il y a une sorte de consensus, sur cette nécessité. Que faut-il en penser ? 3 choses :
2. 1 – « On ne développe pas, on se développe » (Joseph Ki-Zerbo). C’est toute la problématique du développement endogène qui ressurgit à cette occasion. Cette demande impose que l’on s’assure que l’économie puisse répondre aux besoins de bien-être de l’ensemble de la population, tout en continuant à progresser sur le long terme, pour faire face aux futurs défis de l’émergence, sans hypothéquer les ressources disponibles, et celles des générations à venir, par un endettement excessif et mal maitrisé. Elle implique aussi, que la part de la participation locale à la structure de cette croissance soit beaucoup plus forte, pour faire apparaître rapidement une masse critique de capitaines d’industrie, susceptible de tirer et de prendre en charge cette croissance. Un tel objectif, appelle toutes une série de mesures (politiques publiques) et d’investissements préalables, allant de la Recherche et développement à la formation d’une capacité technologique, en passant par l’intégration du secteur informel à l’économie institutionnelle, jusqu’à la réduction des coûts des intrants technologiques et des facteurs de production. Le débat public qui s’est engagé sur cette question est fondamental, car il représente un véritable choix de société. Cependant quel que soit le modèle adopté, il est impossible de recueillir des résultats probants, avant les étapes de mise en place et de maturation. Autrement dit, l’expérience du développement s’inscrit dans la durée (plusieurs mandats), le reste n’est que rhétorique, démagogie et récupération politique. Le problème est donc la stabilité et la continuité du modèle et de l’action de l’Etat dans la durée. Il n’y a pas de miracle en économie, les faits sont attachés à des règles et des lois.
Un modèle plus centré sur nos propres forces et atouts, semble correspondre à une demande de plus en plus affirmée, que la trajectoire des pays émergents corrobore pleinement. L’industrialisation ayant permis leur décollage économique ne leur est pas venue de l’extérieur. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une transformation locale plus poussée, d’une urbanisation pourvue d’une capacité d’emploi (usines et services), faut-il également savoir comment on valorise notre génie inventif et notre savoir-faire? Comment on crée un gisement de savoir ? Comment on fait évoluer les stocks d’actifs productifs ? Comment on accroit l’épargne locale pour financer les initiatives, l’innovation, et soutenir l’émergence d’un entreprenariat dynamique et compétitif au plan national et international ? Comment on développe les ressources humaines et technologiques pour transformer ?
Contrairement à ce qu’on entend ici et là, la qualité de notre croissance n’est pas si mauvaise, c’est même le contraire, car elle est très transformatrice. Elle a, en effet, entrainé des modifications structurelles de notre économie, assez significatives. En considérant, d’une part, l’articulation entre la production de richesse et la répartition sectorielle de l’activité, et d’autre part, l’articulation entre les infrastructures socio-économiques et l’accroissement du volume d’activité, nous constatons partout une très nette progression. Le maillage s’opère bien, et monte en puissance. Il y a une intégration sectorielle, une extension spatiale de l’activité, et une diversification de la production, malgré la persistance de zones sinistrées (certains pans entiers de l’économie et certaines régions). Il est aberrant par exemple, que certaines activités industrielles en difficulté, ne soient pas soutenues financièrement avec un plan de restructuration viable, ou que certaines régions ne connaissent aucune activité pourvoyeuse d’emplois. Par contre, elle présente des faiblesses criardes, quant à l’absence des outils nécessaires à la formation d’une capacité endogène de développement. Autrement dit notre économie est encore trop extravertie. Il convient de lui apporter une inflexion forte au niveau des politiques publiques visant des objectifs d’autonomie (fiscalité et législation favorisant l’émergence d’une classe d’homme d’affaires locaux et suffisamment attractive pour susciter des joint-ventures et accueillir des délocalisations, accroissement des financements publics sur fonds propres et de la sous-traitance locale dans les grands travaux, investissements substantiels dans la recherche et développement, relèvement significatif de la formation technique et professionnelle, abaissement des coûts d’entrée des intrants technologiques, soutien aux brevets d’invention, aux industries de montage, de substitution, de transformation et de création.) On se limitera pour le moment, à ces seuls aspects.
2. 2 – Sans infrastructures, point de développement, et sans développement, il ne peut y avoir d’amélioration du niveau de vie. Le relèvement du pouvoir d’achat, indicateur retenu par la population, pour mesurer l’amélioration de ses conditions de vie, en est la principale demande. Or, l’augmentation du pouvoir d’achat ne passe pas nécessairement par une distribution monétaire, en la forme d’un revenu additionnel, parce que les avantages en nature (biens et services socio-économiques) que ces infrastructures procurent, constituent une épargne, dont l’équivalent en termes de « revenus dépensés » , n’est pas négligeable (mise à disposition gratuite ou abaissement du cout de certains services et biens de base, baisse du coût de revient des produits de consommation courante, participation inférieure à la valeur réelle de certains services). En un mot, elles permettent aux citoyens de faire l’économie de frais et dépenses qu’ils auraient supporté en leur absence. Leurs revenus auraient été grevés ou ponctionnés, si ces infrastructures et services n’existaient pas, de sorte que leurs revenus nets disponibles seraient de beaucoup, inférieurs à ce qu’ils perçoivent aujourd’hui. Le différentiel constitue l’amélioration du pouvoir d’achat, car la quantité de biens et services, que l’on peut acquérir a augmenté pour un même niveau de revenu nominal. Le défi de cette option est de pouvoir s’assurer que ces marges de développement bénéficient effectivement aux consommateurs finaux auxquels elles sont destinées, et non aux intermédiaires d’un circuit donné (transporteurs, distributeurs, prestataires, etc. …). Une politique d’encadrement des prix (blocage relatif ou absolu, en cas d’absence de moyens de contrôle) peut être envisagée, pour s’assurer de la répercussion mécanique de ces marges de développement, sur le coût de la vie. L’amélioration du cadre de vie (logements sociaux, adduction d’eau, voirie, routes, eau courante, électricité) et des services publics (santé, éducation, transport, sécurité) participent de la qualité de vie. Le niveau de vie n’est pas seulement une notion quantitative, mais également qualitative.
Ceci dit, un énorme effort a été consenti en numéraire en faveur du pouvoir d’achat (déblocage des salaires, revalorisation du Smig, hausse des revenus agricoles, etc.) cumulé à une bonne maîtrise de l’inflation. Dès lors, cet effort s’adresse en priorité au monde du travail de l’économie formelle, elle n’a pas pu se diffuser dans le secteur informel et surtout dans la catégorie des sans emplois, difficiles à toucher. Néanmoins, les mesures de soutien à l’auto-entreprenariat dans ces secteurs (Fafci, et Fonds Jeune) viennent corriger ou compenser ces insuffisances. Il convient de leur donner une véritable forme institutionnelle, au sens d’un ministère d’État dont ce serait la fonction, et non d’une organisation humanitaire.
2.3 – On ne peut distribuer que la richesse dont on dispose, après avoir assumé le fonctionnement régulier de l’État (missions régaliennes et socio-culturelles) et les investissements, nécessaires au maintien et à l’expansion de l’activité, à la modernisation des équipements et des modes de production. Ne pas respecter cette règle, revient à renoncer à son avenir et au progrès. En revanche, il y a lieu de démocratiser les retombées de cette croissance, en sortant le bénéfice de cette dernière, des cercles restreints du pouvoir (transparence des marchés, de la sous-traitance et des offres, lutte contre les prises d’intérêt, les retro commissions, les sociétés écrans, les personnes porteuses d’intérêts interposés, le racket éhonté des sociétés par les ministères de tutelle, les passe-droits, etc. ….). Enfin, il convient de se livrer à une chasse sans merci, contre le gaspillage (dimensionnement optimal des cabinets ministériels, suppression des postes honorifiques et de complaisance, réduction du train de vie de l’État, notamment des frais de mission, des frais d’ambassade, des opérations de prestige et de publicité politique). Le véritable problème est l’opacité et la complexité du secteur informel, au regard de son inadéquation à l’offre, tant du marché de l’emploi que du marché des travaux. Seule « l’école pour tous ou obligatoire » permettra à terme, de résoudre cet épineux problème, en brisant le cycle générationnel de la pauvreté, qui se tapisse dans ce secteur « de la débrouillardise ».
3 – Un système électoral sécurisé, paisible, impartial, et crédible (désistement, participation, abstention, adhésion, désaveu)
Une partie importante de l’opposition a contesté sur la base d’un à-priori (principes), et parfois d’indices, la transparence, la crédibilité, et l’indépendance du processus. Les faits à-postériori, leur ont donné tort dans leur majorité. Exiger la perfection est utopique, le système s’améliore, et la démocratie est une conquête de tous les jours. L’un des poisons de la vie politique en Afrique, est à la fois ces préjugés négatifs, ce manque de confiance dans nos propres Institutions, le non respect du droit par les parties prenantes, et les abus de pouvoir. L’ensemble des acteurs et animateurs de la vie politique doivent évoluer sur ces points, qu’on soit au pouvoir ou dans l’opposition, pour rendre cette confiance possible. A cet égard, il est toujours plus judicieux d’inviter les citoyens à s’exprimer eux-mêmes par un vote positif, et non par l’abstention comme certains leaders l’ont fait. On ne peut pas démontrer un fait négatif. Aujourd’hui, le taux d’abstention n’est pas lisible, car le phénomène possède une origine multiple et des dimensions très variées, souvent situées en dehors du périmètre des préoccupations politiques. Pour marquer son désaveu vis de la gouvernance actuelle, son rejet du processus électoral en l’état, sa condamnation du bilan du pouvoir sortant, il eut fallu l’exprimer positivement par un vote blanc, car c’est un vote valide qui a le mérite d’exprimer quelque chose. Non seulement on accomplit un devoir citoyen, on exerce un droit civique, mais on exprime la volonté de participer au débat démocratique ou au processus électoral, tout en refusant les conditions de son organisation ou les offres politiques qui nous sont faites. Dès lors, l’importance de ce vote devient audible, et constitue un véritable message. A l’inverse l’abstention est contreproductive. Ce n’est pas un vote sanction, et il n’exprime rien, à part un empêchement ou un désintérêt. Non seulement elle renforce l’impression d’une adhésion massive au programme de gouvernement de celui qui est élu, mais elle prive les instigateurs d’une base sociale et électorale, qui soit clairement identifiable, mesurable et représentative. Etait-ce le but ?
L’urne doit être la seule voix de la démocratie pluraliste et représentative. Vouloir par la suite s’attribuer une base sociale et une représentativité qui n’est pas déterminée par l’urne, n’est pas crédible et frise l’imposture. Imaginons, un taux de participation de 80% avec 25 % de vote blanc, pour respecter la proportion du taux de participation de 55%, en supposant que cette catégorie de 25 % de vote blanc existe réellement, et qu’elle se soit effectivement abstenue, le pourcentage de l’élection du Président Alassane Ouattara aurait été moins écrasant. Le message, qui lui aurait été adressé, aurait été plus audible et différent. Les données à prendre en compte pour la poursuite de son action également. Dès lors, qu’on ne pourra jamais savoir la structure de cette abstention (ventilation), et accéder à la pensée et la volonté qui l’ont motivée, contrairement au geste, nous sommes ramenés à la conjecture et la spéculation, avec tout ce que cela comporte de oisif et de nocif, à la place et lieu d’un véritable contrôle démocratique sur la mise en œuvre d’un projet de société. Désormais, il faudra se faire entendre au Parlement, si tant est qu’on veut entrer dans la République, ou alors dans la Rue sur la base des droits et libertés du citoyen. Cette dernière ayant échouée, à maintes reprises, il apparaît clairement que c’est désormais l’opposition qui soit invitée à revoir sa copie, et non le Pouvoir. De toute évidence, elle sort de cette épreuve électorale très affaiblie, au seuil de la rupture. À ‘inverse, les élections se sont très bien déroulées, à la grande satisfaction de tous les observateurs, et les Ivoiriens dans leur immense majorité, ont démontré qu’ils aspiraient à la paix. C’est le message audible et sans équivoque qui est adressé à toute la classe politique. Ne pas en tenir compte serait une grave erreur. Le mandat du Président Alassane Ouattara a été non seulement renouvelé, mais considérablement renforcé, à la limite d’un plébiscite en faveur de son programme et de sa gouvernance.
Nonobstant cette situation (prime au sortant sur la base de son bilan, et absence de stratégie claire et efficace de l’opposition), celui-ci peut, voire doit, écouter avec humilité et ouverture d’esprit, le débat électoral qui a eu lieu, pour s’enrichir de certaines propositions et critiques, qu’on pourrait juger de pertinentes, parce que reprises par l’ensemble des candidats ou parce que originales et audacieuses. Ce sera l’objet de la seconde partie de notre contribution.
SOUMAREY Pierre
Essayiste
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