Par Marcel Amondji du Cercle Victor Biaka Boda
« La classe politique ivoirienne mérite-t-elle d’exister ? », te demandais-tu le 7 février 2003 dans Fraternité Matin, tandis que se multipliaient au-dessus de nos têtes les signes annonciateurs d’une interminable tragédie… « L’intention, continuais-tu, songeant à une fameuse « table ronde », était noble. La recherche de la paix, ce trésor inestimable. Mais quinze jours après la fermeture de « l’internat » de Linas-Marcoussis, le constat est là, douloureux, amer. La Côte d’Ivoire a perdu sa souveraineté, et sa classe politique son âme. »
Combien avais-tu raison de nous alerter ! Mais il était sans doute écrit que, telle Cassandre, tu aurais beau avertir, nul ne t’entendrait… Quand on voit ce qui se passe ces temps-ci au Front populaire ivoirien (Fpi), au Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (Pdci), au Mouvement des forces d’avenir (Mfa), au Parti ivoirien des travailleurs (Pit), dans toute la Côte d’Ivoire en somme, à l’approche des nouvelles farces électorales programmées pour la fin de cette année 2015, certes oui, on voudrait comme toi que tous ces politiciens de pacotille, qui semblent avoir fait leurs classes auprès d’un père Ubu, n’eussent jamais existé !
Mais pourquoi ai-je écrit « qui semblent » ? Tous ne se revendiquent-ils pas héritiers et continuateurs d’un authentique « Père Ubu » en chair et en os, plus malfaisant par conséquent que celui de papier qu’imagina Alfred Jarry ?
Oui, chère Michèle, combien avais-tu raison ! Car tout ce que nous avons vécu depuis ce 7 février 2003, date de ton cri d’indignation, montre que les deux plus grands malheurs de la Côte d’Ivoire sont bel et bien « la classe politique ivoirienne » et « la politique africaine » de la France, et que la Côte d’Ivoire risque d’en mourir, à moins que ses vraies filles et ses vrais fils ne se lèvent et, ensemble, unis comme les doigts de la main, n’y portent remède.
Avant d’aller plus loin, permets d’abord que je précise deux ou trois petites choses afin que ce qui vient te soit le plus intelligible possible. La première, c’est que Marcoussis n’est pas la vraie source de nos misères, même si, aujourd’hui, pour la plupart d’entre nous, son nom est certainement le vocable qui décrit le mieux ce dont il s’agit. En réalité, la première source de nos misères se situe bien en amont de la fameuse table ronde présidée par Pierre Mazeaud, alpiniste émérite et homme à tout faire de Jacques Chirac. Bien longtemps donc avant que, tels des envoutés, nous ne nous précipitions tête baissée dans cette nasse où nous voici piégés. La deuxième, c’est que les gens comme moi ont un grand avantage sur les dirigeants et la piétaille des deux camps qui se sont affrontés durant la crise consécutive au scrutin présidentiel truqué de 2010 : c’est de n’avoir jamais nourri d’illusions sur la « décolonisation ». Ce qui nous a permis de ne jamais tomber, même par inadvertance, dans ce théâtre des faux-semblants où de soi-disant « cadres de la nation », les uns se prétendant fils spirituels d’Houphouët, les autres se présentant comme des refondateurs − on se demande bien de quoi ! −, s’étripent pendant que sous leur nez, poussant devant eux des masses de Libanais avides de terrains à bâtir et de Sahéliens en quête de terres fertiles, les colonialistes français décidément incorrigibles font et défont ce qu’ils veulent dans notre malheureuse patrie. Accessoirement, j’ajouterai ceci : je crois les connaître suffisamment, qu’on les nomme « la classe politique » comme tu fais, ou « cadres de la nation » comme ils se désignent eux-mêmes, pour avoir le droit d’en parler en toute liberté. Même si, pour n’être que celui d’un observateur extérieur, mon avis pourrait ne pas peser bien lourd à leurs yeux. Ce que je comprends. Car, même si je suis par ma naissance et par mon éducation, incontestablement, une partie de la réalité que j’observe, il est tout aussi incontestable que j’ai, en partie par choix, vécu plus longtemps à l’étranger que dans ma patrie. Néanmoins, et que cela plaise ou pas, comme on dit chez nous, moi aussi je suis là ! D’ailleurs, par rapport à l’exilé-au-long-court-coupé-des-réalités-du-terrain, comme ils qualifient sans doute ceux qui ont le même parcours que moi, que sont-ils eux-mêmes, ces « cadres de la nation », sinon l’enveloppe du néant ? Ils n’encadrent rien, puisqu’en bons « disciples d’Houphouët », selon leur étrange croyance apprise justement de ce maître, plus d’un demi-siècle après l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance, la « nation ivoirienne… n’existerait » toujours pas ?
Chaque fois que la conjoncture m’oblige à m’intéresser d’encore plus près que d’ordinaire aux ébats de ceux que tu nommes « la classe politique », comme c’est le cas en ce moment, je ne puis m’empêcher de songer aux origines, à ce moment originel de notre histoire nationale débutante et bégayante où le pli fut instillé en nous, puis savamment entretenu jusqu’à devenir comme notre ADN. Je me rappelle par exemple une réunion informelle à laquelle j’assistai à Paris, Maison des étudiants de la Côte d’Ivoire, chambre d’Emile Kéi Boguinard. C’était au lendemain de ce 3 juin 1960 où Houphouët annonça théâtralement son ralliement à l’idée d’indépendance que nous défendions et à laquelle il s’était jusqu’alors farouchement opposé. J’étais cette année-là le président de l’Union générale des étudiants de la Côte d’Ivoire (UGECI). Ce n’était pas en cette qualité que je me trouvais là ; aussi, lorsque je pus prendre la parole, je le fis selon mon intime conviction, en homme qui connaissait bien, depuis l’été précédent, l’extrême dépendance d’Houphouët vis-à-vis du système Foccart, et qui avait donc toutes les raisons de ne pas se fier à sa bonne foi. Je proposai à l’assistance une solution qui visait à mettre Houphouët au pied du mur. Elle consistait à déclarer publiquement, au nom de tous les étudiants, que ceux d’entre nous qui avaient terminé leurs études cette année-là ou qui les termineraient au cours des années prochaines ne rentreraient au pays que si la déclaration du 3 juin était suivie de mesures concrètes assurant effectivement à notre pays une indépendance réelle et totale vis-à-vis de la France. Dans mon idée, il s’agissait seulement de nous préparer, en tant que citoyens, à contrer le plus résolument et le plus efficacement possible toutes les entreprises de Foccart pour vider d’avance l’indépendance promise de toute substance. Et la première chose à faire à notre modeste niveau, c’était surtout de rester groupés. Quand j’ai eu fini de parler, l’hôte des lieux – c’est la seule réaction dont je me souviens – déclara sèchement qu’il ne pouvait pas partager cette manière de voir ; et il ajouta : « Mon pays a besoin de moi, je me dois de rentrer pour me mettre à son service ». Ce qu’il fit. Mais, une fois au pays, il dut attendre huit bons mois avant qu’on ne s’intéresse à lui. Et ce fut pour lui proposer l’ambassade du Liberia… A lui, l’expert en économie du développement, qui, très opportunément, multipliait alors dans Kô-Moë[1], notre organe mensuel, les articles sur cette matière comme autant d’offres de service… Ce cadeau indigne, on m’a dit qu’il le repoussa avec dédain. Il finit tout de même, sans doute après maintes couleuvres avalées, par intégrer le système à son plus haut niveau, jusqu’à devenir ministre d’Etat.
Quelques mois auparavant, à Abidjan pendant les grandes vacances de 1959, lors d’une rencontre entre le Comité d’organisation de notre congrès, que je présidais, et la direction de la Jeunesse du Rassemblement démocratique africain, section de la Côte d’Ivoire (JRDACI) dont plusieurs membres présents étaient aussi des membres du gouvernement autonome, je leur proposai de convenir avec nous d’une déclaration solennelle par laquelle nous nous engagerions, nous les étudiants à ne pas nous immiscer dans les débats politiques proprement dits et eux, qui étaient nos anciens, à ne pas soutenir contre nous certaines menées scissionnistes qui se dessinaient, excitées en sous-main par le gouvernement autonome dirigé par Houphouët. Dans mon idée, encore une fois, il s’agissait seulement de travailler ensemble à la sauvegarde de l’organisation à la création de laquelle ils avaient tous contribué et que beaucoup d’entre eux avaient même dirigée au plus haut niveau. Cette fois encore je n’ai conservé que le souvenir d’une seule réaction, celle de Jean Konan Banny, alors fringant ministre de la Défense et du Service civique : « En somme, me rétorqua-t-il en substance, ce que vous nous demandez, c’est de vous sacrifier, à vous qui nous combattez, ceux des étudiants qui ne refusent pas de travailler avec le gouvernement… Eh bien, vous pouvez toujours vous brosser ! ». Et la rencontre se termina là-dessus. Tu penses bien qu’aucun de ces messieurs n’a voulu prendre le moindre risque de donner à Houphouët, en se disputant avec son cher « neveux » à propos d’une matière aussi sensible, des verges pour se faire battre.
Ainsi, les deux fois, ma proposition d’une action collective concertée en vue de la plus grande efficacité possible mise au service de la nation ne fut absolument pas comprise pour ce qu’elle était. Chez l’un elle ne rencontra qu’une manifestation d’individualisme étriqué. Chez l’autre elle provoqua une véritable déclaration de guerre ; une guerre qui fut effectivement imposée à l’UGECI le lendemain même de mon élection, avant que ne s’achève la terrible année 1959.
A cette époque, chère Michèle, je pense, tu n’étais pas née mais, pour pouvoir faire ton métier de ton mieux, tu as certainement dû t’imprégner de son histoire. Il faut lire ces deux anecdotes en ayant sans cesse à l’esprit les événements de ces temps ; ceux qui avaient suivi de près le référendum d’autodétermination, et ceux qui s’annonçaient depuis le 3e congrès du PDCI l’année suivante, qui avait vu le triomphe de Jean-Baptiste Mockey, soutenu par la jeunesse, sur Auguste Denise, alors l’alter ego d’Houphouët. De 1958 à 1964, la Côte d’Ivoire fera l’objet de plusieurs vagues de répression visant toutes à l’exorciser de son démon séculaire, ce que Gabriel Angoulvant, le gouverneur qui a introduit cette pratique politique ici, appelait son « instinct atavique d’indépendance ». Je ne sais ce qu’il en fut de Kéi Boguinard durant cette période ; j’ignore notamment s’il fut de ceux qu’Houphouët, poussé par Foccart, fit enfermer dans sa geôle privée d’Assabou, un quartier de Yamoussoukro. Je sais en revanche que jean Konan Banny en fut, et je sais quel douleur ce fut pour lui ; lui si proche de son bourreau ; lui qui, le jour qu’il me fit cette réponse péremptoire, ne paraissait pas douter qu’il pouvait tout et qu’il n’avait besoin de personne.
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J’ai encore d’autres anecdotes de même acabit qui, elles, datent du temps de mon errance ; je te les donne dans le désordre. La première a trait à ma rencontre avec Ehounoud Bilé et Fattoh Elleingand, deux hauts dirigeants du Sanwi insurgé de passage à Alger, où moi-même je venais d’arriver, troisième étape de mon chemin d’exil. Avec autant de naïveté que de sincérité, j’entrepris de les convaincre d’abandonner l’idée d’une sécession et de s’envisager plutôt comme l’une des parties prenantes du puissant mouvement antihouphouétiste « panivoirien » dont l’existence était pour moi une évidence, et dont j’étais profondément persuadé que l’éclosion au grand jour ne pouvait plus tarder. Mes deux interlocuteurs m’écoutaient poliment mais, sûrs de la détermination du peuple Sanwi, dont ils me fournirent d’ailleurs, indirectement, maintes preuves d’autant plus convaincantes, ils ne m’encouragèrent point à persévérer dans l’illusion qu’une alliance entre eux et « nous » était possible. Par ce « nous », j’entends non une organisation formelle, mais une nébuleuse qui englobait les étudiants, les syndicalistes, jusqu’à une large majorité de militants du PDCI, c’est-à-dire en un mot la grande majorité des Ivoiriens. C’est à cette nébuleuse que, aiguillonné par Jacques Foccart, Houphouët s’attaquera préventivement en janvier, puis en septembre 1963. Tu connais la suite et la triste fin de cette histoire. Quand j’ai quitté la modeste chambre d’hôtel où les émissaires du Sanwi m’avaient reçu à ma demande, j’étais évidemment très déçu, et je savais, malgré toute la sympathie et toute l’admiration qu’ils m’avaient inspirées, qu’en prétendant agir comme ils le faisaient dans le contexte de l’époque ─ et seuls qui plus est ! ─, ils couraient à l’échec. J’avais évidemment tort de jouer les prophètes de malheur en la circonstance, mais c’est qu’à cette époque, avec toutes nos illusions, nous étions prompts à jouer les donneurs de leçons. En fait, la défaite du mouvement séparatiste sanwi n’eut lieu que bien après la « nôtre »… qui était infiniment plus prévisible, mais que « nous » n’avions absolument pas prévue malgré tant de signes qui l’annonçaient depuis 1958. La défaite du Sanwi ne fut d’ailleurs vraiment consommée qu’en 1966, après la chute de Kwame Nkrumah dont elle fut l’une des conséquences, et grâce à l’intervention de l’armée française. « Nous » aussi y avons contribué d’une certaine manière, en accompagnant tacitement Houphouët dans sa dérive néocolonialiste, qui avait fait de la Côte d’Ivoire dès cette époque la base d’où partaient toutes les entreprises de déstabilisation programmées par la France à l’encontre des Etats qui résistaient à son emprise.
L’autre anecdote de cette époque se situe bien après la grande catastrophe de 1963, en plein « miracle ivoirien ». Je causais avec un compatriote, un de mes anciens compagnons de « l’Aventure 46 » mais dont le nom m’échappe. Il occupait une position importante dans une célèbre compagnie fruitière opérant depuis Abidjan, la Cobafruit. Il était venu finaliser un marché conclu avec un organisme algérien. A l’entendre la Côte d’Ivoire était une espèce d’Eldorado où personne n’avait plus lieu de se plaindre de rien. Il m’exhortait avec insistance à ne pas persévérer dans mon exil que d’après lui rien ne justifiait plus, s’il l’avait été un jour. Je tâchais de l’écouter comme quelqu’un qui était véritablement enchanté d’entendre d’aussi bonnes nouvelles, et il en rajoutait, persuadé peut-être de m’avoir déjà converti. A un certain moment, le téléphone sonna. Un appel de Paris, pour lui annoncer l’arrivée le lendemain du véritable négociateur, un toubab, que lui-même ne ferait donc qu’escorter. Je te laisse imaginer le changement d’ambiance, et de ton ! Ce fut pour moi l’occasion de vérifier que le sentiment révoltant d’être injustement dominés et exploités dans notre pays par la France des colonialistes impénitents, était bien la chose la mieux partagée parmi nous, les Ivoiriens. Cependant, je doute fort que mon camarade qui, dans un moment de colère m’avait fait découvrir cette vérité, se soit alors converti en anticolonialiste militant. Je sais qu’il poursuivit sa carrière ; c’est donc qu’il eut encore à avaler bien des couleuvres après celle d’Alger.
Cette histoire m’en rappelle une autre, qui est en quelque sorte son « deux », mais à l’envers… Toujours à Alger, durant l’ambassade d’Edmond Bouazzo Zégbéi que j’avais connu à Paris quand j’étais président de l’UGECI et dont, à cause de sa façon de me marquer littéralement à la culotte, je m’étais toujours méfié. Un jour, je reçus un appel de son épouse qui m’invitait à participer à une réception qu’elle allait offrir aux Ivoiriens d’Alger. Mon premier mouvement fut de m’excuser, et j’avais d’ailleurs un vrai motif. C’est bien dommage, me dit-elle, car c’est à l’occasion de la venue de Monsieur et Madame Donwahi, qui aimeraient bien vous voir. Ecoutez, dis-je en entendant ce nom, vraiment je ne pourrai pas me libérer demain, mais après-demain, si vous voulez bien reporter, ce sera avec le plus grand plaisir. Elle ne pouvait pas reporter, mais nous convînmes d’une soirée particulière le surlendemain avec nous et les Donwahi seuls. C’est la dernière fois que j’aurai vu Charles Donwahi qui, chaque fois qu’il venait en mission à Alger, ne manquait jamais de me faire signe. Et je tiens à marquer ici que, en homme qui avait éprouvé la nuisance d’Houphouët et aussi, par amitié peut-être, il ne m’a jamais exhorté ni incité à « rentrer ». Sa présence à Alger ces jours-là avait un motif des plus comiques. Un ministre algérien avait, au cours d’une visite en Côte d’Ivoire, envisagé l’achat d’une importante quantité de poutres en bois « lamellé-collé », un matériau réputé plus résistant que l’acier en cas d’incendie. Restait à finaliser la transaction, et cela devait se faire dans la capitale algérienne. Mais ne voilà-t-il pas que le jour venu, les Algériens voient débarquer un Français de France vrai de vrai ! « C’est avec la Côte d’Ivoire, non avec la France que nous avons traité. Pas question de conclure si ce n’est directement avec les Ivoiriens. » C’est ainsi que Charles Donwahi fut dépêché dare-dare à Alger afin que l’affaire ne capote pas. Cette histoire conforta en moi tout le mal que je pensais déjà du système Houphouët, que tant de gens essayent aujourd’hui de nous fourguer comme le nec plus ultra de la sagesse politique et de la bonne gouvernance.
Voilà l’école où s’est formée mon opinion sur le système Houphouët. Ce qu’on y apprend, c’est que dans ce pays, qui est notre patrie, notre patrimoine, nous ne sommes rien d’autre que des masques dont s’affublent nos anciens colonisateurs pour faire leurs affaires ou pour faire leurs sales coups.
Il y a quelques mois, tu as dû être comme moi bien surprise d’entendre l’un de ceux qui sont actuellement en compétition pour la présidence de la très improbable république ivoirienne, et le plus houphouélâtre d’entre eux tous, prononcer cette phrase dont je ne suis pas certain qu’il ait bien mesuré toute la portée (je cite de mémoire) : « Nous devons nous demander ce que nous sommes dans ce pays, et par rapport à ce pays ». Venant de sa part, ce propos qui eut fait honneur à tout autre que lui, ne pouvait pas suffire à sauver sa réputation. Pour qu’il le fût, il aurait fallu que Charles Konan Banny, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’interroge aussi sur le bien-fondé du culte quasi divin que lui et tant de ses semblables vouent à Houphouët, à ses pompes et à ses œuvres.
Au nombre de ses œuvres il y a, par exemple, cette affirmation : « Nous avons hérité de la France non pas d’une nation – la nation se construit, c’est une œuvre de grande haleine –. Nous avons hérité d’un Etat. »[2] Depuis qu’a été proférée cette bêtise solennelle, c’est à qui la reprendrait à son compte en essayant de lui imprimer sa marque d’originalité. Nul ne paraît même se douter que cela revient seulement à dire, soit que notre pays n’a pas encore de souverain, pas de peuple donc, soit que la souveraineté y appartient légitimement à d’autres gens que ses habitants naturels. Ainsi, qu’ils en aient conscience ou non, ceux qui ont adopté ce credo absurde parlent et agissent comme si l’histoire des habitants naturels de ce pays a commencé seulement du jour où un décret du gouvernement français créa une entité géographique fictive baptisée « colonie de la côte d’ivoire ». J’en veux pour preuve ce propos de feu Harris Mémel Fotê, qui sonne si bizarrement dans la bouche d’un homme comme lui, et que je choisis exprès précisément à cause de cette dissonance : « Moi, j’ai expliqué à mes amis que moi, je suis Ivoirien, mais mon père et ma mère ne sont pas Ivoiriens comme moi. Ce sont des sujets français. Et mon grand frère n’est pas Ivoirien ». Cela se trouve dans un ouvrage collectif[3] traitant de l’attitude des intellectuels ivoiriens face à la crise. Comment comprendre de tels propos ? Mémel Fotê pensait-il sérieusement qu’avant que les naturels de nos contrées ne soient devenus, certains des sujets français, d’autres des sujets anglais, portugais ou espagnols, ils n’existaient point ni comme peuples ni même, peut-être, comme individus ? Evidemment, je ne puis le croire. Mais, quoi qu’il en soit, il y a un fait qu’on ne peut contester : le 7 aout 1960 à minuit, de sujets français qu’ils étaient supposés être encore l’instant d’avant, tous les individus alors vivants et qui avaient toutes leurs tombes dans la portion d’Afrique dont on proclamait l’indépendance cette nuit-là, devinrent ipso facto des citoyens du nouvel Etat ainsi fondé, sans qu’il fût nécessaire de les soumettre individuellement à aucune autre sorte de formalité. Et, ce jour-là, ils étaient les seuls à pouvoir se dire citoyens de la Côte d’Ivoire − puisque tel était le nom de cet Etat −, car il n’y avait encore ni naturalisés ni binationaux. Et comme ces naturels représentaient l’écrasante majorité des femmes et des hommes vivant et travaillant dans ce nouveau pays, non seulement il était normal que ce fût en leur nom, comme le souverain collectif du nouvel Etat, qu’on légiférât, mais encore il était normal que cela se fît en considérant prioritairement, voire exclusivement, leurs intérêts collectifs et individuels. Agir ainsi, ce n’était point léser les ressortissants étrangers qui vivaient et travaillaient parmi nous, et qui, d’ailleurs, acquéraient ce même jour le droit de devenir, s’ils le souhaitaient, par naturalisation ou par déclaration, des citoyens ivoiriens à part entière.
Telles auraient dû et pu être en effet les suites logiques de l’acte solennel du 7 aout 1960, si du moins ceux qui proclamèrent notre indépendance avaient été eux-mêmes indépendants. Mais ils ne l’étaient pas[4], et nous le savons tous aujourd’hui avec la plus grande certitude. Si aujourd’hui, un demi-siècle après l’indépendance, certains en sont encore à pinailler sur le point de savoir qui est un citoyen de ce pays et qui ne l’est pas, et si beaucoup ne crurent pas se déshonorer en allant à Marcoussis palabrer avec les traitres du soi-disant Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire sous l’aiguillon de nos pires ennemis déguisés en médiateurs, nous savons bien à qui la faute. Quoi que… Car ce serait une excuse trop facile. Ce n’est pas parce que notre père nous a nourris de foin que, devenus adultes, nous devrions fatalement nous conduire comme des bœufs juste bons à porter le joug ou à se laisser mener à l’abattoir sans regimber…
Ce que je vais dire maintenant pour conclure ce point va te paraître terrible ; peut-être, d’ailleurs, parce que c’est la stricte vérité. Le court règne de Robert Guéi et de ses « jeunes gens » fut incontestablement un temps d’anarchie et d’anomie, mais ce qui en était véritablement la principale caractéristique, et qui condamna irrémédiablement le naïf et infortuné général aux yeux de la Françafrique, c’est l’indépendance sourcilleuse que ses « jeunes gens » ont toujours affichée vis-à-vis d’elle. Le régime issu du coup d’Etat du 24 décembre 1999 – un « coup d’Etat » piloté du début à la fin par la barbouzerie française, qui ne s’en était même pas cachée[5] – aura ainsi été le seul épisode de notre histoire nationale où la puissance exécutive réelle, même réduite à cette parodie grotesque, fut totalement libérée de toute influence directe ou indirecte du néocolonialisme français. Le symbole de cette indépendance, c’était le fameux sergent-major Ibrahima Coulibaly, dit IB, qu’ils n’ont d’ailleurs pas raté quand, une fois tous leurs objectifs atteints – largement grâce à son charisme –, il leur était devenu plus encombrant qu’utile à cause de ses prétentions à vouloir jouer un rôle de premier plan dans le nouveau système en récompense de ses services, et surtout à cause de son esprit d’indépendance.
Quel enseignement tirer de tout cela ? Avant de répondre, il faut, premièrement, bien se rappeler que cette crise dont on nous a menés chercher le remède à Marcoussis après Lomé, puis en d’autres lieu encore, a commencé en 1990, l’année où Houphouët ayant définitivement et irrémédiablement perdu la confiance des Ivoiriens, son système fut à deux doigts de s’effondrer, et ne fut sauvé de la catastrophe que parce qu’il nous manqua une force alternative capable de vaincre le signe indien d’un dispositif françafricain invétéré, multiforme, tentaculaire. Deuxièmement, bien comprendre que les drames successifs – et apparemment indépendants les uns des autres
– de 1999, 2000, 2002, 2004 et 2011 n’en furent que des péripéties. Troisièmement, bien se mettre dans la tête que cette crise n’est pas une banale crise ivoiro-ivoirienne, comme on a voulu nous en persuader – notamment, avec ces histoires de réconciliation dont l’inanité a fini par éclater au grand jour avec l’échec de leur Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) –, mais bien une crise des relations franco-ivoiriennes telles qu’elles furent conçues et telles qu’elles furent pratiquées sous le règne d’Houphouët, avec sa complicité active et celle mi-contrainte, mi-volontaire d’une partie des prétendus « cadres de la nation ». Quatrièmement, que ce pays est notre patrie et que normalement c’est à nous d’y faire la loi et non les Français, les Burkinabè, les Sénégalais ou je ne sais qui d’autres. Cinquièmement, que sans la trahison d’Houphouët, aucun Ivoirien n’aurait à s’interroger sur ce qu’il est pour la Côte d’Ivoire ou ce que la Côte d’Ivoire est pour lui.
Une fois la cause de cette crise bien reconnue, le doute n’est plus permis : ce qui est en jeu, c’est bien notre devenir en tant que peuple, ou en tant que nation, face au monstre qui nous tient à sa merci depuis plus d’un demi-siècle et qui a nom : le colonialisme français. Alors, de deux choses, l’une : ou bien continuer de plus belle notre lutte pour la reconquête de notre dignité et de nos droits spoliés, que l’« indépendance » ne nous a pas rendus ; ou bien nous coucher définitivement devant ce qui serait donc une fatalité contre laquelle nous serions de toute façon voués à ne rien pouvoir faire. Car, et contrairement à ce que semblent croire, par exemple, l’ensemble des candidats à cette élection présidentielle, il n’y a pas une troisième voie qui, par exemple, nous permettrait de réaliser nos rêves d’indépendance et de développement autonome tout en restant couchés aux pieds de nos anciens maîtres comme nous le sommes aujourd’hui.
En disant qu’il n’y a pas de troisième voie, je ne veux pas dire que personne n’a jamais essayé d’emprunter des raccourcis, des biais, des chemins détournés, afin de ne pas avoir à combattre frontalement un ennemi réputé « trop fort », ou que, ce faisant, personne ne se soit (ou n’ait) donné l’illusion d’y gagner beaucoup. Je dis seulement que ça ne mène jamais durablement nulle part ; que tout compte fait il vaut mieux soit y aller franco quand on sent que c’est jouable – et même si on n’a pas l’absolue garantie qu’on triomphera –, soit attendre que le bon moment arrive, tout en ne négligeant rien pour le hâter et pour être fin prêt quand il sera venu.
Le plus bel exemple de l’inutilité et de l’absurdité des « troisièmes voies », c’est Félix Houphouët. Quand on considère sa soumission totale au colonialisme français depuis 1948 jusqu’à sa mort, à quoi cela l’a-t-il mené en définitive, lui personnellement (je compte exprès pour rien cette gloire factice dont il était revêtu par ses griots de toutes les couleurs, qui a tant impressionné – et impressionne toujours – tant de nos compatriotes) ? Et à quoi cela a-t-il mené la société ivoirienne dans son ensemble ? Eh bien, nous l’avons, là, sous nos yeux ! Et, il faut le crier très fort pour réveiller certaines consciences somnolentes, cette honteuse posture de l’homme en lequel tout un peuple avait mis sa confiance, ne pouvait nous mener que dans cette impasse tragique !
Maintenant, revenons à toi
Je dois te confesser que quand je demandais où tu étais, je n’étais pas tout à fait honnête avec toi, parce que je sais bien où – j’entends : dans quelle situation, professionnellement parlant – tu te trouves présentement ; une situation pas mauvaise a priori, du moins à ce qu’il m’a semblé, où tu t’es donc retrouvée, peut-être à ton corps défendant – je préférerais ; car je ne puis croire que tu aies pu décider de toi-même, de gaité de cœur, sans aucune contrainte ni pression d’aucune sorte, d’abandonner ce beau métier de journaliste que tu exerçais avec la passion de la vérité, et dans lequel tu démontrais un talent prometteur, pour devenir la présidente d’un improbable « Réseau d’action sur les armes légères d’Afrique de l’Ouest » (RASALAO-Côte d’Ivoire) – juste après ton fameux coup de gueule.
« La classe politique ivoirienne mérite-t-elle d’exister ? » Mais, que croyais-tu donc ? Qu’une telle question, qui dut sonner à certaines oreilles comme un cri de guerre, n’entraînerait aucune conséquence pour toi, seule plume sincère et courageuse perdue au milieu d’un ramassis de lâches et de déhontés arrivistes ; toi, la fille de Paul Pépé, qui t’a certainement élevée dans la nostalgie de la brève mais si noble épopée de la Ligue des originaires de la Côte d’Ivoire (LOCI) de sa jeunesse ? Car j’imagine qu’outre ta propre audace, cette parenté, avec tous les souvenirs qui se rattachent au nom que tu portes, dut aussi jouer contre toi. Mais, surtout, c’est le fait que, quand tu lançais ton cri d’indignation, tu étais bien seule dans la rédaction de Fraternité Matin, l’organe de ce qu’ils appellent « consensus » mais qu’il serait bien plus juste de nommer « omerta »… J’imagine que ton cri de révolte y fit scandale du sommet au plus bas de la rédaction, et que tu n’y trouvas personne pour te soutenir. Alors peut-être t’es-tu dit : « Hé !, à quoi bon ? », quand il s’est agi de choisir entre aller jusqu’au bout de ta démarche téméraire et solitaire, et rendre les armes. Et tu auras choisi de rendre les armes. Ce ne fut pas une capitulation, mais une reddition avec les honneurs, puisqu’en échange tu reçus cette présidence, même si cette « RASALAO » ressemble furieusement à un lot de consolation, voire à une mise au placard.
Comprends-moi bien, ce n’est pas une critique ni même un reproche, encore moins un dénigrement. Que pouvais-tu faire d’autre ? Personne ne saura résoudre un problème s’il n’est pas correctement posé. Et à l’impossible, nul n’est tenu. Voilà pourquoi il peut arriver, comme quelque chose de très banal, que l’une accepte de lâcher le journalisme de combat pour présider une section du « RASALAO », les autres d’aller à Marcoussis palabrer avec des traitres et leurs commanditaires, sans doute en sachant parfaitement qu’ils s’y déshonoreraient, et qu’il n’en résulterait pas le moindre bénéfice pour la nation.
Je ne suis pas, tu l’as compris, de ceux qui disent : « Hou là là !, ils sont trop forts, faut pas les défier ! ». Mais je ne suis pas non plus un adepte de la bagarre pour la bagarre. Je comprends, j’admets que celui qui ne se sent pas prêt au combat, ou qui sait qu’il n’y est pas encore suffisamment préparé, accepte la solution qui lui conserve l’essentiel de son être et de ses moyens jusqu’au moment où sa situation, ou celle de l’adversaire, étant changée à son avantage, il pourra tenter sa chance avec de véritables espérances de succès. Je comprends et j’accepte qu’on recherche un compromis quand on ne peut pas prétendre à mieux. Mais, attention ! La marge est étroite entre « compromis » et « capitulation ». Notre histoire nationale foisonne d’exemples où trop souvent l’une a été donnée pour l’autre. Souviens-toi du repli tactique d’Houphouët, toujours lui ! Ce fut le premier exemple, qui en entraina une flopée d’autres. Nous sommes un pays où on ne s’interroge pas sur les motivations de ceux que tu appelles « la classe politique ». Du moment que l’un d’eux l’a emporté sur les autres, peu importe comment il s’y est pris, qui l’appuyait depuis quelque capitale étrangère ; peu importe aussi ce qu’il fait du pouvoir, si c’est conforme ou non à ses promesses, si ça respecte les aspirations et les intérêts de la nation. Il est de facto au-dessus de toute critique, voire au-dessus des lois ! Or, de cela, je crois qu’on peut dire que nous tous sommes responsables, car souvent et dans la dernière période notamment, nous l’avons laissé faire, et même nous nous en sommes félicités. Tu te rappelles ce truc surréaliste dénommé l’APO (Accord politique de Ouagadougou) et le séjour triomphal du soi-disant facilitateur Blaise Compaoré à Yamoussoukro et Abidjan qui s’en suivit ? Combien de nos compatriotes nous ont crus quand nous les avertissions que ce n’était qu’un leurre, un faux semblant, un rideau de fumée destiné à cacher les préparatifs déjà très avancés d’un vaste complot international contre notre peuple ? C’est pourquoi il ne me parait pas juste de charger la seule « classe politique » de fautes dont notre société entière est comptable d’une certaine manière. Même si, comme dirait l’autre, nous – la société – ne le sommes qu’à l’insu de notre plein gré, pour avoir été conditionnés tout exprès par Houphouët et ses complices afin que cela nous devienne comme une seconde nature.
Dans ma langue maternelle, nous avons ce joli dicton : « Lépan brê, lépan pin ! », ce qui peut se traduire par « Seul, un homme (au sens d’être humain) n’est jamais qu’une portion d’homme ». Une façon joliment lyrique, sous sa forme originale, de dire : « l’union fait la force »… De tous nos proverbes dont mon enfance fut nourrie, c’est celui-là que j’ai entendu le plus souvent. C’est dire à quel point la solidarité et l’union dans l’action, l’unité d’action, l’agir ensemble, étaient des notions prégnantes dans la culture de nos ancêtres − car je ne doute pas qu’il en est de même dans tous les idiomes parlés en Côte d’Ivoire − ; et c’est la mesure de la distance qui nous sépare d’eux à cet égard aussi. Regarde ce qui se passe en ce moment dans la fameuse Coalition nationale pour le changement (CNC) à peine sortie des limbes. Ce devait être, clamaient ses créateurs, l’arme fatale contre le fantoche en place. Mais au train où elle va, ce ne sera qu’une cage compartimentée semblable à celles qu’on voit sur les champs de course, d’où chacun pour soi les chevaux s’élancent à la poursuite de leur destin. Sauf qu’une élection présidentielle n’est pas une course de pur-sang, même si ici aussi, avant l’épreuve, les candidats n’affichent aucune différence apparente réellement significative, tous se donnant pour des avatars de Félix Houphouët, ou se promettant de le ressusciter.
C’est, malheureusement une illusion très vaine, mais aussi très ivoirienne, de croire qu’un individu peut tout, même quand il agit seul, pourvu qu’il soit exceptionnellement doué. Tel était, parait-il, Houphouët selon ses disciples. Lesquels curieusement ne semblent pas douter pour autant qu’ils sont capables de faire aussi bien, sinon mieux, que lui. Ce qui en dit long sur leur sincérité quand ils vantent son génie. Mais, passons…
Tous se revendiquent houphouétistes, ai-je dit ? C’est injuste pour Pascal Affi NGuessan. Lui ne se réfère jamais ouvertement à Houphouët comme à son maître à penser. Pourtant, de tous, il est le seul dont la démarche ressemble vraiment à celle qui propulsa Houphouët loin au-dessus de ses rivaux au début des années 1950. Que dit en effet le président du Front populaire ivoirien ? « La situation est difficile. Aujourd’hui, il faut savoir que ce n’est plus le FPI de 2010 que nous avons. La population nous soutient, mais on a beaucoup d’adversaires devant nous. Ceux qui nous ont fait la guerre et qui ont jeté Laurent Gbagbo en prison sont toujours-là avec leur fusil en main prêts à nous enterrer. Il faut qu’on fasse preuve d’intelligence pour pouvoir nous en sortir. Face à cela, il y en a qui disent, non, allons les affronter. Nous ne voulons même pas les voir. Il ne faut pas leur parler. Ils sont nos ennemis. Aujourd’hui, demain et après-demain, on ne parlera jamais avec eux. Mais si nous refusons de parler avec toute la communauté internationale comment allons-nous nous prendre pour obtenir la libération du Président Gbagbo ? Car, en réalité, c’est eux qui ont la clé de la prison dans laquelle se trouve Laurent Gbagbo. Il faut parler avec eux. Si on ne peut pas leur faire la guerre, il faut qu’on parle avec eux pour libérer Gbagbo. » Mutatis mutandis, c’est exactement ce que Félix Houphouët disait pour justifier sa capitulation. Affi en ce moment est, lui aussi, en plein « repli tactique »…
Rappelons donc à tous ces imitateurs d’Houphouët, avoués ou non, qui se disputent le fauteuil présidentiel, que, pour faire le vrai Houphouët il a fallu d’abord que la ferveur de tout un peuple le distingue, qu’André Latrille l’impose ensuite comme candidat à la constituante de 1945, puis qu’en 1950 François Mitterrand le retourne et, enfin, que Jacques Foccart se l’asservisse complètement après 1958. Pour le refaire à l’identique, il faudra pouvoir retrouver et mixer tous ces ingrédients en respectant leurs exactes proportions dans l’original. Et puis, surtout, il faudra trouver le moyen de faire mentir Karl Marx, qui a écrit au tout début de son « 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte » : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce… ».
A l’heure où je mets le point final à cette lettre, nul ne sait qui sortira vainqueur de ce scrutin présidentiel, puisqu’aussi bien tous les candidats encore en lice se disent sûrs et certains de gagner. En revanche, chère Michèle, une chose ne fait point de doute compte tenu de tout ce que nous savons toi et moi de ces gens, c’est qu’il n’y aura qu’un seul vaincu. Et, comme toujours depuis 1949, ce sera « nous », le peuple ivoirien.
Marcel Amondji
[1] – Comme la Comoé, le plus long cours d’eau du pays, celui qui « va le plus loin » (en agni) et qui fait vraiment le lien entre l’extrême Nord et le Sud. Ce nom fut choisi vers 1956, l’année de la création de l’UGECI et de l’affirmation de sa vocation nationaliste et indépendantiste, pour symboliser l’unité et la solidarité de tous les peuples et de toutes les régions de la Côte d’Ivoire.
[2] – Fraternité Hebdo du 15 mars 1990. P. 10.
[3] – Idriss Diabaté, Ousmane Dembélé et Francis Akindès, Les intellectuels ivoiriens face à la crise, Karthala, Paris 2005.
[4] – Cf. le mot cruel du général de Gaulle à propos de l’un de ces fantoches, que Jean Lacouture rapporte dans De Gaulle, le souverain 1959-1970 (Seuil, 1986) : « Ne me dites pas l’indépendance. On dit que l’abbé Fulbert Youlou est indépendant. Mais c’est moi qui paie sa solde. Alors, pour moi, l’abbé Fulbert Youlou n’est pas indépendant ».
[5] – Il y a quelques années, un de mes vieux camarades du temps de l’UGECI m’a dit un jour que se trouvant dans une fête chez des amis en grande banlieue parisienne, il avait fait la connaissance d’un Franco-Béninois portant le même patronyme qu’un grand reporter bien connu des lecteurs de Jeune Afrique, qui lui a dit spontanément qu’il se trouvait à Abidjan une ou deux semaines avant le « coup d’Etat » de Robert Guéi, et qu’une fois le coup fait, il était devenu l’un de ses « conseillers ». Quelques jours après cette confidence, mon ami eut la surprise d’apprendre en lisant La Lettre du Continent que sa nouvelle connaissance était l’un des invités d’honneur de Jacques Chirac lors de la garden-party du 14-Juillet de cette année-là, en compagnie d’autres personnages dont deux ou trois avaient défrayé la chronique lors de l’affaire de l’avion de Laurent Gbagbo prêté au député gaullo-foccartien Didier Julia.
Publié par CERCLE VICTOR BIAKA BODA
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