Seul survivant politique parmi les trois hommes qui se disputent le pouvoir depuis 1995, Alassane Ouattara est favori pour remporter aisément l’élection présidentielle du 25 octobre.
Henri Konan Bédié, leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et ancien chef de l’État, a volontairement écarté son parti de la compétition pour faciliter la victoire du président sortant. Laurent Gbagbo, son adversaire en 2010, est en prison. Ses sept concurrents du moment n’ont ni l’envergure, ni le soutien d’un grand parti qui leur permettraient de gagner. L’enjeu n’est donc pas tant le résultat d’une élection à priori sans surprise que sa suite et les choix qu’effectuera le président Ouattara pour les cinq prochaines années s’il est réélu.
Sans un changement profond dans les domaines politique, sécuritaire et judiciaire, une nouvelle phase de crise violente reste possible en Côte d’Ivoire. Celle-ci pourrait intervenir en 2020 lors d’une élection ouverte et disputée où s’affrontera une nouvelle génération de politiciens issue des années de crise et de guerre ; ou avant si la santé de Ouattara ne lui permet pas d’aller au terme de son mandat.
L’exclusion politique est toujours de mise
Il y a deux manières de lire le bilan du premier mandat du président sortant. Après cinq mois d’un conflit armé qui a fait 3 000 morts, ce dernier a hérité, en mai 2011, d’un pays profondément divisé à l’économie affaiblie par les épisodes successifs d’une longue crise. Le président Ouattara a réussi à relancer la croissance économique et à réformer avec succès le secteur du cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial. Il a réunifié un pays coupé en deux espaces administratifs distincts depuis le coup d’État manqué de septembre 2002 et a, peu à peu, mis fin aux actes de guerre. Tel est le bilan dont se prévaut, à juste titre sans doute, le candidat Ouattara.
Mais ce bilan, revu dans ses détails, est moins positif qu’il n’y paraît. Il s’agit en fait d’un trompe-l’œil. Les raisons profondes ayant plongé la Côte d’Ivoire dans un conflit long et violent subsistent et le président Ouattara a fait finalement très peu pour démonter la mécanique infernale ayant mené à la « crise ivoirienne ».
L’une des premières causes de cette instabilité est l’exclusion d’une partie de la population de la représentation politique. La mise à l’écart d’Alassane Ouattara, originaire du Nord, lors des élections de 1995, a créé frustrations, divisions et rancœurs. Elle a conduit au putsch de décembre 1999, orchestré par une poignée de sous-officiers nordistes estimant que le rejet de Ouattara pour « nationalité douteuse » était finalement celui de tous les Ivoiriens du Nord. En 2000, l’exclusion de la présidentielle des candidats Ouattara et Bédié a eu des conséquences similaires et conduit, deux ans plus tard, à la partition du pays.
Malheureusement, l’exclusion politique est toujours de mise en Côte d’Ivoire.
Les présidents de l’Assemblée nationale, de la Commission électorale indépendante et du Conseil constitutionnel sont tous originaires du septentrion, comme d’ailleurs le ministre de la Justice et le directeur du Trésor.
Ce scrutin est marqué par l’auto-exclusion du PDCI qui ne présente pas de candidat. En convainquant Henri Konan Bédié de retirer sa formation de l’élection où elle ne participe qu’en tant qu’allié du parti présidentiel, Alassane Ouattara a écarté le seul adversaire qui pouvait encore l’empêcher de remporter un second mandat. Le troisième grand parti de la scène politique, le Front populaire ivoirien (FPI), est également profondément divisé. Son candidat est rejeté par la base et par une partie significative de la direction du parti qui a appelé au boycott de l’élection. Comme en 1995 et en 2000, un seul des trois grands partis ivoiriens sera donc pleinement représenté par un candidat lors de cette élection, le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Dès lors, pour beaucoup d’Ivoiriens, le choix politique est très restreint. Aucun candidat ne les représente. Nombreux seront aussi les Ivoiriens ne pouvant pas voter car la liste électorale reste limitée à 6,3 millions d’inscrits pour un pays de 17 millions de citoyens.
La présidence Ouattara s’est en outre caractérisée par un accaparement des grands postes institutionnels et sécuritaires par des hommes originaires du Nord, ce qui perpétue le sentiment de rejet au sein d’une partie de la population. Les présidents de l’Assemblée nationale, de la Commission électorale indépendante et du Conseil constitutionnel sont tous originaires du septentrion, comme d’ailleurs le ministre de la Justice et le directeur du Trésor. De même, l’organigramme sécuritaire s’appuie sur un chef d’état-major des armées, un ministre de l’Intérieur et un chef des renseignements issus de la même zone géographique que le président Ouattara.
Les enjeux de l’après-élection
Un prochain mandat du président Ouattara devrait être l’occasion d’une franche redistribution des cartes et de la recherche d’un meilleur équilibrage politique entre les différentes régions et institutions du pays. La modification de la Constitution, qui donne un pouvoir exorbitant au président, très peu à l’Assemblée nationale et aux pouvoirs locaux et pas du tout à l’opposition, devrait également être à l’ordre du jour. Faute de représentation, d’accès aux finances publiques et aux prébendes, opposants et exclus du système risquent d’utiliser d’autres moyens que le vote pour accéder au pouvoir ou aux avantages qui lui sont associés.
Alassane Ouattara a échoué à réformer l’armée, où d’anciens responsables de la rébellion des Forces nouvelles (FN) occupent toujours une place prépondérante et où les anciens officiers pro-Gbagbo sont marginalisés.
L’un de ces moyens est la violence armée qui reste une option possible pour deux raisons. La première est le désordre qui règne toujours dans les forces armées, traversées par plusieurs chaines de commandement, et dont de nombreux éléments continuent d’obéir à d’anciens chefs de guerre et s’adonnent encore et toujours à la prédation. Alassane Ouattara a échoué à réformer l’armée, où d’anciens responsables de la rébellion des Forces nouvelles (FN) occupent toujours une place prépondérante et où les anciens officiers pro-Gbagbo sont marginalisés. En cas de nouvelle bataille pour la conquête du pouvoir, des morceaux entiers de cette armée sans unité sont susceptibles de se détacher et de rejoindre un camp ou un autre.
La seconde est la disponibilité des armes de guerre. En dépit d’une opération de désarmement officiellement achevée cet été, non seulement les armes circulent toujours en très grand nombre en Côte d’Ivoire mais des stocks de matériels militaires importants échappent au contrôle des pouvoirs publics. Ils sont aux mains d’opérateurs politiques et militaires régionaux ou nationaux. Le 25 mars dernier, le groupe d’experts des Nations unies a ainsi mis à jour l’existence d’un entrepôt de 60 tonnes de matériel militaire dans la région de Korogho, à l’extrême Nord du pays, et sous le contrôle de Martin Kouakou Fofié, un ancien chef rebelle sous sanctions onusiennes.
La question cruciale de l’impunité
Outre le danger pour la paix civile que laisse planer l’existence de tels arsenaux, ceux-ci posent la question cruciale de l’impunité. À ce jour aucun membre des anciennes Forces nouvelles n’a été jugé pour les crimes commis entre 2002 et 2012. La justice reste profondément partiale et déséquilibrée. Elle nourrit un fort sentiment d’injustice dans l’esprit de nombreux Ivoiriens et freine toute possibilité sérieuse de réconciliation.
Dans quelques jours ou semaines, le président Ouattara disposera très probablement de cinq ans supplémentaires pour faire passer son pays du stade actuel de la stabilisation à celui de la normalisation. Celle-ci sera accomplie quand l’éventualité d’une nouvelle lutte violente pour le pouvoir ne se posera plus en Côte d’Ivoire.
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