Côte d’Ivoire – Et si l’absence des observateurs de l’EU indiquait la fraude que prépare Ouattara et son clan ?

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(Par Connectionivoirienne.net/GDA)
Tous les indicateurs électoraux pour des observateurs sérieux [non corrompus ou non partisans], indiquent en Côte-d’Ivoire que le président sortant Alassane Ouattara et son groupement politique le RDR, s’apprêtent à effectuer un passage en force au 1er tour de la présidentielle du 25 octobre prochain. L’actualité politique ivoirienne des dernières semaines marquée par les retraits des candidats Essy Amara et Mamadou Koulibaly, a mis les mécanismes de fraude au centre des spot lights. Curieusement l’un des gros donneurs de leçon en matière de démocratie [voir cas Laurent Gbagbo 2005-2010], l’Union Européenne n’enverra pas d’observateurs. Pour plusieurs analystes et non des moindres, la fraude du clan Ouattara étant tellement évidente, l’UE ne souhaiterait pas gêner son « poulain » installé dans les conditions que nous savons au pouvoir en 2011. Nous vous proposons ici les conclusions des analyses du GROUPE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SUR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ basé à Louvain/Bruxelles en Belgique sur les motivations et les implications de l’absence des observateurs européens dans un pays encore profondément divisé, où la réconciliation entre les différences couches sociales suite à la grave crise de 2010-2011 demeure un leurre. Le rapport complet de 12 pages est consultable à ce lien: http://www.grip.org/en/node/1844

NOTE D’ANALYSE
Élections ivoiriennes de 2015 : l’UE aurait-elle dû observer le scrutin ?
Par Federico Santopinto, en collaboration avec Léa Gros
13 octobre 2015

L'Ambassadeur de l'Union européenne en Côte d'Ivoire, Jean-François Valette avec le Dircab de Ouattara, Amon Tanoh
L’Ambassadeur de l’Union européenne en Côte d’Ivoire, Jean-François Valette avec le Dircab de Ouattara, Marcel Amon Tanoh

Résumé
Si l’Afrique de l’Ouest reste la destination privilégiée des missions d’observation électorale de l’UE, les observateurs européens n’iront pas en Côte d’Ivoire pour
les présidentielles prévues le 25 octobre 2015. Ils étaient pourtant sur place lors du scrutin précédent, en 2010. Aussi, cette décision en aura surpris plus d’un.
Pour appréhender les motivations d’un tel choix, cette note analyse trois aspects du processus électoral ivoirien : le fonctionnement de la Commission électorale
indépendante, la rédaction de la liste électorale et la traçabilité des résultats. Ces trois prismes seront ensuite mis en adéquation avec les critères habituellement
pris en compte par l’UE lorsqu’elle doit décider du déploiement d’une mission. L’objectif étant de déterminer si le choix de ne pas être présent en Côte d’Ivoire
en 2015 est vraiment pertinent.

(…)

Conclusion

À la lumière du contexte exposé dans cette note, l’Union européenne devait-elle ou non observer les présidentielles ivoiriennes ? Pour répondre à cette question, il convient de rappeler la doctrine suivie par l’UE en matière d’observation électorale. Celle-ci, en effet, déploie habituellement ses missions à certaines conditions. Premièrement, elle doit être impliquée politiquement et financièrement dans le processus de démocratisation et de stabilisation du pays concerné, notamment à travers sa politique d’aide au développement. C’est bien le cas en Côte d’Ivoire.

Deuxièmement, cette implication doit généralement s’inscrire dans la durée. Consciente que la démocratie est un processus de longue haleine, l’UE procède souvent à l’envoi de missions électorales successives dans un même pays lors de ses différents scrutins. Rappelons à cet égard que les observateurs de l’UE étaient déjà présents en Côte d’Ivoire lors du scrutin controversé de 2010.

Enfin, la qualité du processus démocratique à observer doit présenter une certaine ambivalence : les conditions afin que des élections libres puissent se tenir doivent être réunies, tout en coexistant avec des incertitudes ou des foyers de tension qui justifient le déploiement d’observateurs européens. Ce troisième cas de figure correspond, lui aussi, au contexte ivoirien de 2015.

Car même si les présidentielles de 2015 en Côte d’Ivoire présentent des aspects encourageants, de nombreuses zones d’ombres persistent. Dès lors, sur base des lacunes et manquements abordés dans cette note, la décision de l’UE de ne pas envoyer ses observateurs ne semble pas correspondre aux critères qu’elle suit habituellement.

Et les progrès économiques réalisés par le pays ne justifient pas qu’on détourne le regard ailleurs. Pourquoi, donc, avoir déserté les présidentielles de 2015 ?

Formellement, l’Union n’aurait pas été invitée par le gouvernement de la Côte d’Ivoire, quand bien même les diplomates européens auraient timidement sondé leurs
homologues ivoiriens à ce propos.

Il est vrai que Bruxelles doit être invitée par le pays concerné si elle veut suivre son processus électoral. Mais il est tout aussi vrai qu’en tant que plus grand bailleur de fonds au monde en aide au développement, l’UE sait généralement comment s’y prendre pour « se faire inviter », lorsqu’il s’agit d’observer une élection…

La décision de ne pas se rendre en Côte d’Ivoire en 2015 ne vient donc pas d’Afrique, mais bien d’Europe. Quant aux motivations de fond, elles ne reposeraient pas tant sur les prétendues bonnes conditions démocratiques ivoiriennes, comme affirmé par le Chef de la Délégation de l’UE. D’un point de vue politico-administratif, au fond, celles-ci ne sont pas si différentes qu’en 2010 : la CEI demeure politisée, la liste électorale est du même acabit, la traçabilité des résultats n’est toujours pas assurée.

Ce qui a changé, au contraire, c’est le contexte politique, qui semble en apparence plus apaisé, quoi qu’il demeure encore incertain. L’absence d’un candidat d’opposition de poids face à Ouattara (et donc une victoire prévisible de ce dernier) y est sans doute pour quelque chose. Ainsi, comme mentionné dans l’introduction, les Européens considèrent-ils sans doute que les présidentielles à venir ne constituent pas un réel d’enjeu. Cette analyse semble toutefois aller vite en besogne, surtout si l’on considère qu’une partie du principal parti d’opposition (le FPI), ne reconnait pas la légalité du processus électoral. De plus, une telle hypothèse ne prend pas en compte le fait que, théoriquement, l’objectif d’une mission d’observation électorale n’est pas celui de constater si telle ou telle personne sera élue, mais plutôt de comprendre comment elle sera élue. D’ailleurs l’UE, dans le passé, a souvent observé des élections dont les résultats étaient prévisibles (Rwanda en 2003, RDC en 2011, Égypte en 2014…).

La réelle motivation derrière la décision de l’UE pourrait donc être encore différente. Elle pourrait avoir trait à la crainte qu’une évaluation électorale perçue comme négative puisse avoir un effet déstabilisant sur le pays. La Côte d’Ivoire, au fond, est en voie de stabilisation : ce n’est pas le moment de la bousculer. Pourtant, les missions d’observation électorale de l’UE ne portent jamais de jugements politiques sur les scrutins monitorés. Elles se gardent d’affirmer explicitement si un scrutin est démocratique ou non, s’il correspond ou contredit les normes internationales en la matière, s’il légitime ou délégitime le pouvoir qui en ressort. Les observateurs européens doivent se limiter à fournir une analyse purement technique, formulée à travers un langage diplomatique approprié et spécifiquement étudié pour éviter toute manipulation. C’est d’ailleurs pour cette raison que les rapports finaux des observateurs sont généralement si indigestes à lire…

Les missions de l’UE permettent néanmoins de fournir une masse d’information précieuse sur l’évolution démocratique d’un pays ; des informations que les diplomates et la communauté internationale devront ensuite gérer avec les précautions qui s’imposent, certes, mais aussi avec la lucidité qu’elles requièrent, en bonne connaissance de cause. Or, de telles informations récoltées sur la Côte d’Ivoire auraient été certainement précieuses. D’autant que l’UE s’est beaucoup investie dans la réconciliation ivoirienne, bien qu’elle n’ait pas financé les consultations de 2015. Comme mentionné dans l’introduction de cet article, si l’espoir est permis en Côte d’Ivoire, rien n’est encore acquis. Ainsi, selon Doudou Diène, expert des Nations unies pour les droits de l’homme, les élections présidentielles ivoiriennes représentent un défi décisif : « le test ultime pour la reconstruction du pays»

Le principal sponsor de cette reconstruction, toutefois, ne sera pas présent ce jour-là.

Les auteurs
Federico Santopinto est chef de recherche au GRIP. Il est spécialisé dans la politique extérieure de l’UE en matière de prévention et de gestion des conflits, ainsi que dans
l’intégration européenne dans le domaine de la défense. Il a en outre effectué de nombreuses missions d’observation électorale pour l’UE et l’OSCE de 2001 à 2007. Léa Gros est chercheure stagiaire au GRIP. Diplômée de Sciences Politiques (Université Libre de Bruxelles), elle se spécialise dans l’analyse des élections et les questions de stabilisation post-conflit.

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