En Côte d’Ivoire « la meilleure façon de s’enrichir reste de faire de la politique » (interview expert financier)

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Par Patrice Allégbé

En Côte d’Ivoire, « la meilleure façon de s’enrichir reste de faire de la politique ce qui est complètement dépassé », selon l’expert financier français Jean-Michel Lavoizard, directeur général du cabinet Aris-Intelligence, dans un entretien accordé à Alerte info/Connectionivoirienne.net.

Quelle analyse faites-vous l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire ?

Il y a un retour à une certaine stabilité et une normalité dans la vie professionnelle, sociale dans le pays en général et à Abidjan en particulier. Mais, le climat des affaires ne correspond pas aux effets d’annonces qui sont faites par les autorités officielles, et qui sont relayées par les médias et les organisations internationales.

C’est-à-dire que la Côte d’Ivoire a mis beaucoup l’accent sur la communication institutionnelle de manière à progresser sur les classements internationaux en particulier le Doing Business de la Banque mondiale, le classement Mo Ibrahim de la bonne gouvernance etc… de manière à soigner son image, rassurer la communauté internationale pour annuler des dettes et contracter de nouvelles dans des conditions avantageuses pour attirer des investisseurs.

La réactivation du CEPICI (Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire) comme guichet unique des investissements, guichet de création d’entreprises, est une sorte de compteur de création d’entreprises, mais aucune statistique, aucune analyse n’est faite en amont sur la viabilité, la pertinence des projets d’entreprises et des business-plans. Et aucune analyse n’est faite en aval sur l’avenir de ces entreprises créées.

Pour certaines d’ailleurs, elles n’ont jamais été et ne seront pas activées (…) parce que l’objet n’était pas de créer une entreprise mais plutôt de créer une raison sociale pour emprunter de l’argent ou mener des activités autres que celles que les entreprises étaient censées mener.

En outre, il n’y a aucune analyse et suivi statistique, alors que depuis trois ou quatre ans, on n’a pas vraiment d’idée sur le taux de survie et l’avenir de ces sociétés créées.

Donc, le CEPICI et bien d’autres mécanismes ont été mis en place essentiellement à des fins de communication institutionnelle et du coup les rapports des bailleurs de fonds du FMI, de la Banque Mondiale, de l’Union européenne et de bien d’autres finalement sont basés sur des informations qui sont déclarées par les autorités et qui en fait ne reflètent pas la réalité.

Simplement pour des raisons évoquées d’affichage pour la communauté internationale et électoraliste. Mais, malheureusement le climat des affaires est loin de correspondre à ce qui est dit tous les jours par les médias de tous formats locaux et internationaux.

Qu’est-ce qu’il faut améliorer pour une plus grande compétitivité de cet environnement ?

En réalité, une seule chose, c’est dépasser les discours, les déclarations et les promesses en réalité, passer aux actes et améliorer les pratiques. Il est facile d’endormir la communauté internationale, les diplomates, les observateurs et analystes du monde entier.

Concernant les pratiques, c’est d’une manière générale des appels d’offres, qui sont truqués de différentes manières, ce sont des formes de détournements d’argent public à tous les niveaux, à tous les étages, ce sont des tentatives parfois discrètes, mais parfois même agressives, jusqu’à des menaces physiques d’extorsion et puis c’est un système général qui est très dissuasif où l’Etat est omniprésent, prédateur et défaillant dans la plupart des secteurs où il devrait être au contraire le garant du bien public, c’est-à-dire la santé, l’éducation, la sécurité etc.

Ceci est l’image de la réalité qui est loin de correspondre au discours et aux rapports sur l’émergence. On se rend bien compte que tout cela n’est qu’un écran de fumée.

Quels sont selon vous les secteurs les plus prometteurs et ceux à assainir ?

Les secteurs un peu prometteurs, il y a d’abord ceux existants et historiques qu’il faut absolument moderniser, dont il faut améliorer dans un climat de concurrence internationale, la productivité. C’est tout ce qui touche à l’agro-industrie y compris le café et le cacao dont la Côte d’Ivoire est si fière, mais qui a bien besoin d’être largement modernisé et assaini du point de vue des pratiques. Dans tout ce qui touche à l’agro-industrie, la Côte d’Ivoire a le potentiel pour devenir autosuffisante.

Un gros défaut des pays africains en général et de la Côte d’ivoire en particulier c’est d’avoir du mal à se projeter dans l’avenir dans une politique acceptable durable et de long terme en privilégiant des profits de gains de court-terme et cela est extrêmement dissuasif et le marché international ne s’y trompe pas.

En réalité tous les secteurs sont à assainir du point de vue des pratiques et de la gouvernance. L’économie ivoirienne est comme un énorme gâteau dont chacun, chaque ministère, chaque administration considère que c’est une source de profit dans un pays où la meilleure façon de s’enrichir reste de faire de la politique, ce qui est complètement dépassé et n’aidera pas la Côte d’Ivoire à réellement émerger. De très nombreux opérateurs ivoiriens et non-ivoiriens disent plus ou moins ouvertement que leur principaux concurrents sont des ministres. C’est gravissime, c’est là que je dis que l’Etat ivoirien est un Etat prédateur, c’est d’ailleurs un (pouvoir) faussement libéral, et le climat des affaires est extrêmement contraignant, très difficile et extrêmement corrompu.

PAL

Alerte info/Connectionivoirienne.net

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