Crise de l’endettement grec: quelles leçons pour l’Afrique ?

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Par Germain Kramo chercheur au CIRES- Côte d’Ivoire
Publié en collaboration avec Libre Afrique

Le 13 juillet 2015, la Grèce et ses créanciers sont parvenus à un accord sur un nouveau plan d’aide après plusieurs semaines de négociations. Les Africains ont applaudi le courage du gouvernement grec qui a tenu tête à ses puissants créanciers. Mais au-delà de l’appréciation du «courage» du gouvernement grec, quelles leçons l’Afrique peut-elle tirer de cette tragédie ?

La crise grecque est le résultat inéluctable de l’endettement insoutenable du pays. La dette publique grecque a ainsi atteint environ 320 milliards d’euros soit plus de 170% du PIB. Les causes de cette crise de la dette sont diverses. Premièrement, cette crise est la conséquence des politiques budgétaires expansionnistes. En effet, de 2000 à 2009, la Grèce avait un taux de croissance moyen des dépenses publiques égal à 3,7%[1] alors que ce taux était de 2,16% pour l’ensemble des pays de l’UE. Ce taux de croissance des dépenses publiques de la Grèce qui était supérieur à la moyenne de l’UE a contribué à l’accroissement de la dette du pays. Quant aux pays africains en développement au sud du Sahara, ce taux était de 6,86%. Si cette forte croissance des dépenses publiques n’est pas contrôlée, elle peut conduire les pays africains à une crise similaire à celle de la Grèce. Certes, l’initiative PPTE a permis l’allègement de la dette des pays africains les plus pauvres et les plus endettés ; mais la reconduite des politiques budgétaires expansionnistes pourraient conduire à nouveau à un surendettement de ces pays. Ceci est d’autant vrai que la croissance africaine est volatile puisque dépendante des fluctuations des cours des matières premières, ce qui pourrait conduire facilement à un ré-endettement rapide à cause de la volatilité des cours de ces matières premières. Il faut aussi noter que la dette interne, souscrite à des conditions bien moins favorables, fait peser une charge non négligeable sur les finances publiques. Les pays africains ont emprunté le même chemin que la Grèce, nous disons donc « halte aux politiques budgétaires expansives !».

Deuxièmement, en Grèce, l’opacité et le clientélisme ont favorisé la corruption, le gaspillage des fonds publics et le détournement des fonds de leurs objectifs. Selon le classement de Transparancy International la Grèce est le troisième pays le plus corrompu de l’Union Européenne en 2014. Nous avançons comme preuve le scandale des pots-de-vin versés pour faciliter la signature de contrats de ventes d’armes à la Grèce entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Il y a aussi les pots de vin versés par l’entreprise Siemens aux partis politiques grecs. Il faut aussi ajouter l’affaire Vatopediou qui a éclaté en 2008 et qui portait sur l’échange de terrains de grande valeur appartenant à l’État contre des terrains de moindre valeur appartenant à un monastère. Dans cette affaire, les pertes de l’État grec sont estimées à au moins 100 millions d’euros. Par ailleurs, les politiciens grecs utilisent depuis des années l’État comme un moyen pour distribuer des faveurs à leurs électeurs. Des licences sont distribuées selon l’appartenance politique et/ou les pots de vin. Ces pratiques sont aussi courantes en Afrique où les dirigeants investissent d’importantes ressources dans leur région d’origine et recrutent les membres de leur clan dans l’administration publique sans toujours tenir compte de leur compétence.

Troisièmement, les politiques redistributives aveugles sont néfastes. La multiplication des droits sociaux a entrainé celle des dépenses. Les contribuables grecs doivent supporter le financement de la caisse de sécurité sociale à hauteur de 1% du PIB. Selon les statistiques d’Eurostat de 2012, le coût des retraites est estimé à 17% du PIB. Ce chiffre est supérieur à la moyenne de l’UE qui est de 13%. En Afrique, l’État intervient régulièrement pour renflouer les caisses de sécurité sociale en déficit. Ce fut le cas à Madagascar en 2013 et au Togo depuis 2006. Ce financement du déficit des caisses de sécurité sociale contribue à alourdir les charges de l’État et partant la dette publique. La redistribution excessive tue l’incitation à se prendre en charge et favorise l’assistanat.

Quatrièmement, l’absence de l’état de droit a encouragé la mauvaise gouvernance des finances publiques. La Grèce a toujours été considérée comme le berceau de la démocratie. Mais comment comprendre que dans cette démocratie, le pouvoir judiciaire ait abdiqué face au pouvoir politique ? Cela transparait d’abord dans l’impuissance et/ou la complicité de la justice face aux dérives des politiciens. Les politiciens trouvent toujours l’échappatoire pour n’avoir jamais à rendre de comptes et la justice n’a pas de pouvoir. L’exemple le plus frappant c’est l’impunité des fonctionnaires qui ont manipulé les statistiques pour cacher la réalité de l’économie grecque. En Afrique, les scandales de corruption et les cas d’impunité dans la sphère politique sont légions. En Afrique du Sud, le président actuel a été cité dans un scandale de corruption lié au contrat d’armement. Au Nigéria, le président Goodluck Jonathan a été cité dans un scandale de plusieurs milliards de dollars au sein de la compagnie pétrolière nationale. L’absence de la reddition des comptes et de la responsabilité budgétaire encourage le gaspillage, la rente et in fine l’aggravation du déficit budgétaire avec son corollaire l’endettement.

Somme toute, pour sortir la Grèce de la crise, différentes politiques d’austérité ont été mises en œuvre. Ces politiques visent à stabiliser/corriger les déséquilibres économiques et financiers à court terme. Pour éviter une austérité brutale, il faudrait éviter en amont de faire de mauvais choix de politiques publiques pour une meilleure rationalisation des dépenses publiques. Ce qui implique une redéfinition des missions de l’État. Cela passe par la réduction de la taille de la fonction publique et une meilleure affectation des fonctionnaires. On pourra également économiser des ressources et réduire le recours systématique à l’endettement en combattant efficacement la corruption. Les politiques de redistributions doivent tenir compte de la capacité du pays à mobiliser les ressources internes. Les économies africaines sont sur le même chemin que la Grèce. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les gouvernants des pays africains doivent mener des politiques appropriées pour ne pas perdre leur souveraineté économique et politique comme c’est le cas de la Grèce actuellement.

Germain Kramo est chercheur au CIRES- Côte d’Ivoire.

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